Litak du clan de la Forêt Sombre - Chapitre XXXVII
XXXVII
Litak avait compris que
Halbair n'avait pas tout dit à son second. Il voulait sortir de Valfond
le plus vite possible et il n'avait pas hésité un seul instant pour
sacrifier ses hommes.
Ils reprirent la route. Halbair marchait
devant, Litak et Siléa derrière, encadrés par les trois hommes en arme.
Elle essayait de suivre le rythme en évitant de déclencher sa douleur à
la poitrine, mais il prenait un plaisir malsain à la bousculer
régulièrement et il éclatait de rire chaque fois qu'elle ne pouvait
cacher sa souffrance.
Litak glissa sur une pierre alors qu'ils
traversaient un nouveau torrent et tomba dans l'eau. Elle eut beaucoup
de peine à se relever. Lorsqu'elle fut enfin sur ses pieds, elle
constata que les rafleurs étaient hilares. Halbair tira alors violemment
sur sa corde, manquant de peu de faire à nouveau tomber la jeune
métisse. N'en pouvant plus, elle explosa :
— Pourquoi fais-tu ça ? Pourquoi nous traites-tu comme des animaux ?
— Parce que vous n'êtes que des animaux et il faut bien que quelqu'un
vous dresse. Et j'adore dresser les bêtes sauvages comme toi, pour leur
faire comprendre que nous sommes les maîtres.
— Jamais tu ne seras mon maître !
— Si, crois-moi. Je te briserai et tu deviendras ma chose, aussi douce et obéissante qu'un glapis laineux.
— Jamais ! Plutôt mourir !
— Ne t'inquiète pas, quand il faudra en arriver là, je m'en chargerai
personnellement, très lentement et en savourant chaque instant de ton
agonie.
Il afficha un sourire sinistre et elle perçut que la simple
évocation de cette hypothèse lui procurait une grande satisfaction. Il
était clair à présent qu'il n'avait pas l'intention de la laisser vivre
et que le sort qu'il réservait aux siens n'était pas plus envieux. Elle
eut la nausée. Elle se jura que puisque tel était le destin qu'il lui
réservait, elle le tuerait à la moindre occasion.
La journée se déroula comme elle avait commencé, Halbair s'amusait à la faire souffrir et elle percevait toute la haine, tout le plaisir malsain qu'il pouvait ressentir à chaque fois qu'il lui arrachait un cri de douleur.
À la nuit tombée, ils continuèrent à avancer. Litak et Siléa étaient au bord de l'épuisement, mais Halbair tirait sans cesse sur les cordes, ne leur laissant aucun instant de répit et le peu qu'elles pouvaient percevoir des autres rafleurs leur indiquait qu'ils auraient volontiers pris le relais.
Ils
parvinrent enfin dans la plaine, longeant le torrent qui se jetait dans
une rivière à proximité d'un pont qu'ils franchirent. Arrivés au bout,
ils furent stoppés par des hommes en uniforme formant un mur devant eux.
Cinq d'entre eux étaient armés d'un lourd bouclier rond dans lequel
était pratiquée une petite encoche servant d'appuis pour la hampe d'une
longue pique. Ils portaient en outre un casque en forme d'ogive et Litak
pouvait apercevoir une cotte de maille portée sous une tunique aux
couleurs des Belles Landes : Un cercle vert recouvert d'une épée dorée
pointée vers le haut. Le sixième était armé d'une simple épée et son
casque comportait un plumier rouge à son sommet. D'une main, il portait
une torche, de l'autre un cor, dont Litak pensait qu'il devait servir à
donner l'alerte en cas d'agression. Le chef au plumier leva haut sa
torche.
— Halte là ! Qui êtes-vous et que voulez-vous ?
Le chef de rafleurs se montra à la lueur de la torche.
— C'est moi, Halbair. Je rentre d'une expédition.
Le sergent des Belles Landes était manifestement surpris :
— Hé bien, d'habitude, tu emmènes plus d'hommes avec toi et tu reviens plus chargé que ça.
— Nous sommes poursuivis, les mâles et quelques soldats de Valfond.
— Ça devait arriver, je t'avais prévenu, aller braconner là-bas, c'est s'attirer des ennuis.
Halbair s'impatientait.
— Bon, on reste là à discuter toute la nuit ou tu nous laisses passer ?
— C'est bon. Dis-nous juste à combien de lézards on doit s'attendre.
— Une bonne dizaine. Les soldats de Valfond, je ne sais pas.
— Rien que ça ! Je te préviens que si on perd des hommes à cause de tes
idées stupides, je viendrai personnellement te réclamer des comptes !
Les soldats s'écartèrent et les laissèrent passer. Litak entendit encore le sergent donner un ordre à l'un des soldats :
—
Cours au camp et informe le capitaine que nous risquons de subir une
attaque d'une dizaine d'orques associés à des soldats de Valfond.
L'homme claqua des talons et les dépassa en courant pour se perdre dans la nuit.
Halbair les conduisit jusqu'à un carrefour. Un peu plus loin dans la plaine du sud, on pouvait deviner la présence d'une ville. Les rafleurs bifurquèrent vers l'ouest et les montagnes. Ils marchèrent jusqu'au petit jour, où ils arrivèrent à ce qui semblait être un village avec une fortification en son centre. Litak et Siléa s'aperçurent vite que les remparts n'avaient pas pour vocation d'empêcher d'entrer, mais d'interdire de sortir.
La jeune métisse eut la surprise de percevoir le bruit de fond qui l'avait intriguée à Valfond. Ce bruit la mettait mal à l'aise, bien plus que sur le pont qui menait à la cité de Sharle, alors qu'il était bien plus faible. Puis, elle réalisa qu'il régnait dans cet endroit une ambiance de peur, de souffrance et de désespoir, qui émanait d'une centaine d'orques captifs.
La
première chose qu'elle et Siléa virent en passant la porte d'enceinte
les plongea dans l'horreur : des dizaines de cages suspendues à trois
mètres du sol et certaines d'entre elles renfermaient des orques,
chasseurs, mère et même enfants. Tous avaient le regard éteint.
Un homme vint à leur rencontre :
— Content de te revoir Halbair !
Puis, réalisant que personne ne l'avait suivi, il se décomposa :
— Mais, où sont les autres ?
— Probablement morts. Une embuscade.
L'autre devint livide :
— Et Paharvis ?
L'homme au catogan désigna Litak :
— Ton frère ? Cette chose-là l'a tué pendant l'attaque de leurs nids.
L'autre dévisagea enfin les captives. Il fut pris d'un sentiment d'horreur et voyant la métisse.
— Qu'est-ce que c'est que ça ?
— Une chose dangereuse à plus d'un titre.
Litak percevait que Halbair n'évoquait pas seulement ses prouesses au
combat, mais elle était trop épuisée pour essayer de comprendre de quoi
il s'agissait.
— Enferme-les séparément et méfie-toi de celle-là.
L'homme les conduisit vers les premières cellules disponibles, les
mains toujours attachées dans le dos. Il jeta sans ménagement la petite
métisse dans la première qu'il ouvrit.
— Et tiens-toi tranquille, ou je te jure que je te ferai payer très cher la mort de mon frère.
Elle tomba à terre dans un cri atroce alors qu'une douleur fulgurante
lui déchirait la poitrine. La tête lui tournait et il lui fallut un long
moment pour retrouver ses esprits.
— Litak ? Ça va ? Réponds-moi !
Siléa était paniquée. Litak prit encore un instant avant de répondre :
— Je suis là... Leur chef a dû me casser une côte hier... Et je me suis fait mal en tombant. Et toi, comment ça va ?
— J'ai peur. Que va-t-on faire ?
La
métisse se releva avec une grimace de douleur. Elle était dans une
petite cellule dont la porte à barreau donnait sur la cour de la
fortification. Face à elle, deux tours reliées par un mur sur lequel se
déplaçaient des archers qui surveillaient les cellules. Au pied du mur,
une rangée de portes à barreaux semblables à celle qui fermait sa
cellule. Avec la lumière de l'aurore, elle put deviner la présence
d'orques derrière la plupart des portes.
— Litak ?
— Je ne sais pas.
Elle
tenta de se détacher les mains, en vain, puis elle chercha dans la
petite pièce tout ce dont elle pourrait se servir. Hélas, elle ne
contenait rien, si ce n'est de la poussière au sol.
— Pour
l'instant, on peut essayer de dormir. Je pense qu'il vaudra mieux que
nous soyons en forme pour affronter ce qui nous attend.
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