Litak du clan de la Forêt Sombre - Chapitre XXXIX
XXXIX
Elle courait. Depuis
combien de temps ? Elle ne saurait le dire, mais elle courait. Elle
sentait que quelqu'un la menaçait. Une créature maléfique qu'elle devait
absolument fuir. Soudain, des voix, des dizaines de voix qui
l'imploraient :
— Ne nous abandonne pas !
— Aide-nous !
— Nous ne survivrons pas si tu nous laisses ici...
Paniquée, elle leva les yeux et vit des cages flotter en l'air tout
autour d'elle. Des cages par dizaines, par centaines peut-être. Dans
chaque cage, des orques, jeunes, vieux, des mères, des pères, des
enfants et, là, juste à côté d'elle, Siléa. Paniquée, elle tenta
d'ouvrir la cage de son amie, elle tira, poussa aussi fort qu'elle put,
mais rien n'y fit.
Soudain, un homme apparut, grand, solidement
bâti, des cheveux noirs et blancs en catogan. Un rire sinistre. Le
catogan ondulait derrière sa tête qui grossissait encore et encore. Dans
une nouvelle ondulation, les cheveux de l'homme vinrent s'enrouler
autour de ses poignets. Elle hurla de terreur. Elle était attirée vers
cette tête énorme. Le rictus de l'homme dévoila des dents acérées vers
lesquelles le catogan l'entraînait. Elle savait qu'elle serait bientôt
broyée entre ces mâchoires impitoyables. Rien de ce qu'elle pouvait
faire ne lui permettait de desserrer ses liens...
— Qui es-tu ?
Cette voix douce, amicale, réconfortante lui semblait incongrue.
— Qui es-tu ?
Elle se réveilla en sursaut, trempée de sueur et une douleur fulgurante à la poitrine lui arracha un cri.
Il lui fallut quelques instants pour reprendre ses esprits. Ses
poignets étaient liés et douloureux, elle était entourée par les murs
sombres et sales de sa cellule. Tout lui revint : l'attaque du clan, la
capture, la tentative d'évasion, Xartak, ce lieu sinistre.
— Qui es-tu ?
Elle tenta de répondre, sans savoir si cette voix percevrait la sienne :
— Je suis Litak, du clan de la Forêt Sombre.
— Oh ! Le grand clan de Tornarok !
— Tornarok est mort depuis longtemps, Bratog est le chef maintenant.
— Et qu'est devenu Corg, le fils de Tornarok, celui dont la compagne humaine avait mis au monde un étrange bébé ?
Litak
fut surprise qu'un inconnu –elle était certaine de ne pas connaître
celui qui lui parlait– en sache autant sur elle et ses parents.
Méfiante, elle voulait en savoir plus avant de se dévoiler :
— Qui es-tu pour en savoir autant sur mon clan ?
— Je suis Bénobog du clan des Trois Pics.
— Je ne connais pas ce clan.
—
C'est normal, ce clan n'existe plus depuis la première guerre des
clans. La plupart de nos guerriers sont morts durant la bataille de la
Plaine Sanglante. Les mères sont retournées dans leurs clans de
naissance avec leurs petits et le peu qui restait n'a pas échappé aux
rafleurs.
— Tu es ici depuis si longtemps ?
— Non,
seulement depuis dix jours. Je viens de très loin. J'essayais de
retrouver ton clan. Je pensais être sur votre territoire, mais je n'ai
rencontré que le clan de la Rivière Rouge, puis j'ai été capturé par des
rafleurs qui semblaient aussi vous chercher.
— Ils ont fini par nous trouver il y a deux jours.
— Oh ! Je suis désolé...
Il semblait l'être réellement, comme s'il était lui-même touché par la tragédie qui frappait son clan.
— Combien d'entre vous ont été capturés ?
— Beaucoup de mères et d'enfants, ainsi que les filles. J'ai pu en
sauver quelques-uns pendant l'attaque, d'autres se sont échappés la
première nuit. Les chasseurs ont combattu les rafleurs hier...
Elle hésita à parler de l'aide de Sharle...
— Le Hurleur était avec eux...
— Il faisait partie des rafleurs ?
L'autre semblait horrifié.
— Non, il était avec les chasseurs du clan. Il les a aidés pour attaquer les rafleurs.
— Oh ! ... Voilà qui est étrange... Et que s'est-il passé ?
Elle ne connaissait pas la réponse et elle en éprouvait une profonde angoisse.
— Je ne sais pas. Le chef des rafleurs nous a séparées du clan, Siléa et moi, la nuit de notre tentative d'évasion.
— Pourquoi ?
— Je crois qu'il savait que les chasseurs allaient l'attaquer. Je l'ai
entendu dire qu'il avait senti la présence du Hurleur... C'est étrange.
— Et pourquoi vous deux ?
— Siléa parce qu'elle est belle et qu'il pense qu'elle a de la valeur.
Moi, parce que je lui avais déjà causé bien des ennuis... Je crois que
j'ai tué une dizaine de ses hommes. Il me hait, mais il pense que j'ai
aussi de la valeur parce que...
Elle hésita un instant.
— Je suis différente.
Elle perçut une pointe d'espoir chez son interlocuteur.
— Es-tu la demi-orque ?
C'était bien la première fois que quelqu'un l'appelait ainsi et elle
aimait cela. Elle était une demi-orque, pas une chose, une créature ni
un monstre. Mais ce qu'elle trouvait étrange, c'est qu'il avait dit cela
avec un profond respect, comme si le fait d'être métisse la rendait
exceptionnelle.
— Oui.
Elle sentit du soulagement chez Bénobog :
— Tout cela n'aura finalement pas été vain ! C'est toi que je cherchais !
Litak ne comprenait pas.
— Comment ça ? Pourquoi moi ?
Un homme vint ouvrir la porte de sa cellule.
— La sieste est terminée sale bête !
Elle sursauta, car elle ne l'avait pas entendu arriver. L'homme crut qu'elle avait peur de lui.
— Tu commences à comprendre ! C'est une bonne chose.
Trop confiant, il la saisit par le bras et tenta de la tirer hors de la
cellule. Elle résista en se laissant tomber au sol. Il la tira pour la
forcer à se lever, elle en profita pour bondir violemment, cornes en
avant et elle percuta l'homme à l'abdomen. Il s'écroula, plié par
l'impact et elle se précipita hors de ces murs. Halbair l'attendait
dehors. Il la frappa du poing à l'estomac, ce qui lui coupa le souffle
et raviva sa douleur aux côtes. Elle s'écroula, incapable de respirer.
Le premier homme sortit par la porte, une main sur son ventre, une tache
de sang sur sa chemise. Halbair le toisa :
— Imbécile ! Je t'avais dit qu'elle était dangereuse ! Ramasse-la, va l'attacher au pilori. Et tâche de ne pas me l'abîmer !
L'autre
s'exécuta, traînant Litak au sol jusqu'à un grand mât au centre de la
cour, à la vue de toutes les cellules. Là, il attacha les mains de la
demi-orque à des anneaux, qu'il remonta ensuite à l'aide d'un système de
cordes et de poulies, de manière que ses pieds ne touchent plus le sol.
Halbair fixa sur elle un regard glacial, jusqu'à ce qu'elle puisse à
nouveau respirer naturellement. Il s'approcha alors pour lui murmurer à
l'oreille :
— Je me suis demandé de quelle manière j'allais m'y
prendre pour te dresser. J'en suis venu à me dire qu'il ne servirait à
rien de te frapper à longueur de journée, aussi plaisant que cela puisse
être. J'en ai déjà vu passer des coriaces comme toi ici, bien plus que
tu ne saurais l'imaginer. Pour la plupart, je les ai brisés, les
autres...
Il était si près d'elle qu'elle en eu la nausée.
— ... ne sont plus là pour en parler. Que veux-tu, il faut bien que le jeu cesse à un moment.
Il saisit le menton de Litak entre son pouce et son index et planta son regard dans ses yeux.
— Et c'est un jeu où je gagne toujours !
Il s'écarta un instant et cria :
— Amenez-les !
Des hommes vinrent, tenant un novice et une toute jeune orque par une chaîne. Ils les attachèrent de la même manière que Litak.
Halbair s'approcha à nouveau d'elle.
— Tu vois ce jeune animal ? Il est un peu comme toi, sauvage, dangereux
et hermétique au dressage. À partir de cet instant, chaque fois que tu
te rebelleras contre moi ou mes hommes, je lui ferai donner le fouet.
Il fit un signe de tête et le frère de Paharvis fit claquer sa longue
lanière de cuir sur le dos du novice, une fois, deux fois. Litak
enrageait, se débattait. Elle voulait de toutes ses forces venir en aide
au jeune orque.
Entre deux claquements, celui-ci parvenait à se faire comprendre :
— Ne cède pas ! Jamais ! Je préfère mourir que de vivre en esclave !
Les coups s'enchaînaient et le novice persistait :
— Je serai libre ou mort ! Rien d'autre !
Litak le sentait de plus en plus faible, mais par respect pour son courage, elle serra les dents pour s'empêcher de hurler.
Le novice finit par perdre connaissance. Litak pleurait, mais elle n'avait rien dit.
Halbair avait néanmoins le sourire.
— Je me doutais bien que cela finirait comme ça, mais comme je te l'ai
dit, c'est toujours moi qui gagne à la fin. Alors non seulement il sera
fouetté chaque fois que tu feras la sauvage, mais en plus, sa petite
sœur le sera aussi.
Il fit un nouveau signe de la tête. Litak vit la terreur dans le regard de la petite.
— Non ! Arrête !
Il leva la main et le bourreau baissa son bras.
— Pourquoi devrais-je arrêter ?
Il s'approcha de la demi-orque et lui asséna un violent uppercut à l'estomac.
— Leçon numéro un : Les hommes sont les maîtres, ils font ce qu'ils veulent, quand ils veulent.
Il fit un signe de la main et le bourreau fit claquer son fouet dans un sourire malsain. La petite orque hurla de douleur.
La métisse s'en voulait, elle se sentait responsable de ce qui arrivait
à cette enfant et à son frère, mais aurait-elle du laisser-faire les
rafleurs sans chercher à protéger son clan, ses amis ? Non ! Elle
n'avait pas à s'en vouloir. Ces hommes étaient responsables, jamais elle
ne se soumettrait, jamais elle ne leur pardonnerait ! Elle lança un
regard assassin à Halbair, qui répliqua par un nouveau coup de poing à
l'estomac, puis un second au visage.
— Leçon numéro deux : les animaux doivent respect et soumission aux hommes. Tu finiras par l'apprendre.
Il saisit une trique et sous les yeux horrifiés de Litak, il frappa un à
un tous les orques présents, mères, jeunes filles, enfants. Litak
hurlait :
— Non ! Arrête !
Mais il continua. Puis il s'approcha enfin de la demi-orque :
— Leçon numéro trois : Ici, tu ne sauveras personne... Et personne ne te sauvera.
Elle baissa la tête, les larmes aux yeux. Elle perçut que Halbair exultait.
— On progresse, c'est bien.
Il
se tourna vers le bourreau. Range ton fouet, mais tu les laisses
accrochés là tous les trois, pour être certain que la leçon rentre bien.
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