Les cendres de Tirwendel - Chapitre XLVII
XLVII
Ils prirent la direction
du nord-ouest. Shack'Gan semblait toujours aussi perdu, mais il suivait
la colonne sans peine, alors Lak'Mor décida de se porter en avant avec
les pisteurs, afin de tenter d'en savoir plus.
Les guerriers de
Zol'Kor le virent arriver avec suspicion et ils cessèrent immédiatement
de parler entre eux, afin de ne lui laisser aucun indice quant à leur
destination. Cependant, le jeune guerrier, bon pisteur lui aussi,
comprit rapidement qu'ils suivaient de nombreux elfes, plus légers et
plus petits que les combattants, encadrés par des guerriers trolls. De
temps en temps, il apercevait aussi les traces plus lourdes et plus
grandes qu'il commençait à bien connaître, qui se superposaient aux
autres.
En fin de
journée, Zol'Kor fit arrêter ses guerriers sur le site d'un ancien
bivouac, délaissé depuis quelques jours seulement. Lak'Mor décida de
faire part de ses observations à Shack'Gan :
— Des trolls emmènent de nombreux elfes, certainement des enfants, vers le nord-ouest. Les fugitifs les suivent.
— Comment le sais-tu ?
— Des traces d'humains recouvrent les traces des elfes et des trolls. Ils sont donc passés après eux.
Lak'Mor observa son ami quelques instants :
— Et toi, comment vas-tu ?
Shack'Gan le fixa d'un regard vide :
— Je crois que je vais mieux. Depuis que nous avons quitté Tirwendel,
la brume a disparu. Mais je n'ai toujours aucun souvenir de mon entrevue
avec Ort'Kan...
Il lui tendit une poignée de plantes aux longues feuilles d'un vert sombre et cireux :
— Mais j'ai trouvé des feuilles de petron.
Lak'Mor s'inquiétait de plus en plus pour son ami qui semblait apathique, détaché de tout et étranger à la moindre émotion :
— Est-ce que tu as mangé ce soir ?
Le mage le fixa, surpris :
— Mangé ? ... Je ne sais pas...
Le jeune guerrier se releva en tentant de contrôler sa colère :
— Reste ici, je vais te chercher quelque chose.
Le jeune guerrier s'éloigna dans la forêt, espérant trouver du gibier
ou quelques racines pour son ami. La présence des trolls ayant effrayé
les animaux, il dut s'éloigner plus qu'il ne l'aurait voulu.
En
cherchant les traces d'une éventuelle proie, il finit par trouver
l'emplacement d'un autre bivouac, bien plus petit que celui où s'étaient
arrêtés les guerriers de Zol'Kor. Il se doutait bien évidemment de
l'identité de ceux qui l'avaient occupé, mais il souhaitait éclaircir
certains doutes. Toute la journée, il avait bien identifié les traces de
pas des deux humains, plus longues et plus profondes que celles des
elfes, mais plus petites et plus légères que celles des trolls. En
revanche, il n'était pas parvenu à trouver celles de Naëwen ni celles de
Rulna parmi les innombrables empreintes des prisonniers. Il étudia donc
minutieusement le campement qu'il avait sous les yeux et repéra enfin
la présence de l'elfe et de la naine, qui ne présentait plus qu'une
légère trace de claudication. Il sourit, soulagé de les savoir tous les
quatre en vie, puis il se reposa la question qui le hantait depuis qu'il
avait partagé quelques mots avec eux : Que ferait-il lorsqu'il les
retrouverait ?
Ils se
remirent en route aux premières lueurs du jour, suivant la piste des
prisonniers au pas de course, ne laissant aucun moment de répit à
Lak'Mor pour chercher les traces des quatre fugitifs.
Ils trouvèrent
un nouveau campement provisoire en milieu de journée, qu'ils laissèrent
derrière eux sans y porter la moindre attention, et ne firent halte
qu'à la tombée de la nuit, après avoir trouvé un second campement.
Lak'Mor entendit alors Zol'Kor qui s'adressait à son second :
— À ce rythme-là, nous les aurons rattrapés dans trois jours, juste
avant qu'ils n'arrivent sur l'île. Avec un peu de chance, nous mettrons
la main sur eux et nous pourrons enfin savourer notre victoire.
Le
jeune guerrier ne prit pas le risque d'épier plus longuement leur
conversation, car il n'avait aucune envie de provoquer la colère du chef
de guerre ou pire encore, se voir interdire de progresser avec les
pisteurs.
Il rejoignit Shack'Gan, toujours aussi absent. Lorsqu'il le vit approcher, le Mage lui fit un vague sourire :
— Je n'ai toujours pas trouvé de gardo. C'est une plante délicate qui a
besoin de beaucoup de lumière et de peu d'eau... J'ai bien peur de ne
jamais en trouver dans cette forêt...
Lak'Mor commençait à
désespérer de retrouver le vrai Shack'Gan. Il n'était désormais plus
qu'une enveloppe sans consistance, sans volonté, incapable de la moindre
initiative. Le jeune guerrier s'assit à côté de lui :
— Que feras-tu lorsque nous trouverons les fugitifs ?
Le mage lui répondit avec un regard absent :
— Quels fugitifs ?
Lak'Mor serra les dents :
— L'elfe, Naëwen, la naine Rulna et les deux humains.
Dans un effort de concentration, Shack'Gan fronça les sourcils :
— Ort'Kan les veut, morts ou vifs.
— Je le sais bien, mais toi ? Que feras-tu à ce moment-là ?
Le mage ouvrit sa besace :
— J'ai déjà des feuilles de petron... Il me faudrait des racines de gardo...
Excédé par ces deux journées de marche forcée et par l'indifférence de
son ami, Lak'Mor se releva, animé d'une envie de se défouler sur
quelqu'un. Il serra les poings si fort qu'il aurait brisé la tête d'un
elfe entre ses mains. Il inspira un grand coup et empoigna sa masse :
— Je vais chasser.
Il
avait surpris une harde de sangliers qui couraient dans sa direction en
cherchant probablement à échapper à d'autres trolls. D'un coup de
masse, il abattit une bête et la chargea sur son dos, avant de
poursuivre ses recherches. La chasse était un bon prétexte pour
s'enfoncer dans la forêt, à la recherche du bivouac des fugitifs. Il
était partagé entre le souhait d'en apprendre plus sur eux, et l'espoir
qu'ils avaient changé de route, afin d'échapper à l'implacable poursuite
que Zol'Kor menait contre eux.
Dépité, il trouva l'endroit où ils
avaient passé la nuit. Il réalisa rapidement qu'un des deux humains
avait quitté ses amis pour avancer vers le bivouac des prisonniers. Il
en conclu avec amertume que les quatre fugitifs devaient avoir le projet
fou de libérer les enfants elfes. Ils couraient d'eux même vers une
mort aussi certaine qu'inutile, et il n'avait aucun moyen d'y changer
quoi que ce soit.
Au
soir du troisième jour, ils trouvèrent un nouveau bivouac, mais cette
fois-ci, l'un des pisteurs identifia clairement des traces de pas qui ne
provenaient ni d'un elfe, ni d'un troll. Après les avoir rapidement
observées, il trouva les traces d'un elfe, peut-être adulte, et d'un
autre humain, plus léger que le premier. Le second s'étonna :
— Il n'y avait pas une enfant avec eux ?
Zol'Kor s'emporta :
— Imbécile ! Tu ne te souviens pas du piège ? Elle a dû être blessée,
avec un peu de chance, l'infection l'aura achevée. Mais celle qui nous
intéresse avant tout, c'est l'elfe !
Il pointa les plus petites traces du doigt :
— Et elle, elle est toujours en vie ! Nous allons devoir corriger ça au plus vite ! En route !
Le chef des pisteurs objecta :
— Mais il va bientôt faire nuit noire. Nous ne pourrons pas voir les traces des fugitifs.
Le chef de guerre leva le poing, prêt à le frapper, mais, d'un regard, le second l'en dissuada et répondit :
— Inutile de chercher les traces des fugitifs. S'ils sont venus
jusqu'ici, c'est bien pour suivre les prisonniers. Ces traces-là sont
faciles à suivre. Demain, quand il fera jour, nous pourrons à nouveau
chercher la piste de ces trois-là.
Au
petit matin, ils arrivèrent sur les berges du fleuve, et n'eurent guère
de difficulté à retrouver les traces de l'elfe et des deux humains.
Zol'Kor ordonna d'accélérer, ignorant les quelques protestations émises
par les plus fatigués :
— Je me moque bien de savoir si vous êtes fatigués ! Plus vite nous leur tomberons dessus, plus vite vous pourrez vous reposer !
Il repartit au pas de course, certain de trouver ses proies au bout de la piste.
En
arrivant en vue de l'île, les traces bifurquèrent pourtant vers la
forêt, où même les meilleurs pisteurs finirent par ne plus trouver
aucune empreinte, ni aucun indice de passage. De rage, Zol'Kor ordonna de
fouiller toute la zone, expliquant très clairement qu'il n'y aurait
aucun répit tant qu'ils n'auraient pas retrouvé la piste des fugitifs.
Commentaires
Enregistrer un commentaire