Les cendres de Tirwendel - Chapitre XLIII

 

XLIII

Zol'Kor s'impatientait. Depuis la matinée, les pisteurs suivaient une trace fraîche qui les menait vers l'est à travers la forêt. Ils avançaient à marche forcée et pourtant, ils n'avaient toujours pas rattrapé les fugitifs, malgré la blessure avérée de l'une d'entre eux. Il héla l'un des pisteurs :
— Tu es certain de suivre la bonne piste ?
Le jeune guerrier hésita un court instant :
— Nous suivons la piste d'un elfe ou d'un humain, nous n'avons aucun doute à ce sujet.
— Eh bien, dépêchez-vous de le retrouver ! C'est trop long !
Le pisteur hocha la tête et courut vers l'avant de la colonne.
Lak'Mor qui avait assisté à la scène se pencha vers Shack'Gan pour chuchoter :
— Ce qui me paraît surprenant, c'est de ne trouver la trace que de l'un d'entre eux. Ils sont quatre. Où sont passés les trois autres ?
— Ils se sont peut-être séparés. Ces pieds sont trop grands pour être ceux de la naine, et les empreintes sont trop profondes pour être celles de l'elfe. C'est donc l'un des deux humains.
Le jeune guerrier puisa dans ses souvenirs toujours un peu flous :
— Ce n'est pas logique. Les deux humains ont l'air trop protecteurs envers l'elfe et la naine. Je ne vois pas l'un d'entre eux les abandonner.
La remarque était pertinente. Le mage finit pourtant par sourire :
— À moins qu'il n'ait quitté le groupe pour mieux les protéger.
— Tu penses à un leurre ?
Shack'Gan lui montra un affleurement de granite gris d'une dizaine de mètres de haut qui leur barrait le passage :
— Nous serons bientôt fixés.

Un éclaireur s'approcha de Zol'Kor lorsque la colonne s'arrêta devant les rochers. Il lui dit quelques mots qui le firent exploser de rage :
— Comment-ça plus de trace ?
Le plus expérimenté des pisteurs baissa la tête :
— Il n'y a plus de trace au sol. Nous pensons qu'ils ont escaladé ces rochers. Il ne peut y avoir aucune trace sur ce genre de terrain, alors nous devons en faire le tour pour essayer de retrouver la piste de l'autre côté.
— Alors allez-y ! Dépêchez-vous !
Le chef de guerre interpella un guerrier :
— Toi ! Monte là-haut et surveille le moindre mouvement, le moindre signe. Si tu vois quelque chose de suspect, préviens-moi !
Le troll s'exécuta sans rechigner et entreprit d'escalader le promontoire rocheux.
Lak'Mor se pencha vers Shack'Gan :
— Malgré tout le courage dont elle peut faire preuve, je ne vois pas comment Rulna pourrait franchir cet obstacle.

Après une longue attente, le chef des pisteurs s'approcha de Zol'Kor, les épaules tombantes et le regard bas :
— Nous n'avons retrouvé aucune trace. La piste s'arrête ici.
Le chef de guerre interrogea du regard le guerrier en haut du promontoire. Celui-ci haussa les épaules en écartant les mains. Le chef de guerre resta immobile quelques instants qui parurent une éternité puis, sans le moindre signe d'avertissement, il frappa le pisteur si violemment qu'il tomba à la renverse. Il se tourna alors vers les guerriers :
— Retrouvez-les ! C'est un ordre ! Personne n'aura le droit de se reposer tant que nous ne les aurons pas retrouvés !
Les guerriers s'élancèrent dans toutes les directions par groupes de quatre tandis que les pisteurs tentaient de comprendre ce qui leur avait échappé.

Les trolls revinrent en fin de journée, sans rien avoir trouvé. Zol'Kor rongeait son frein, tournant en rond comme un loup pris au piège, pendant que les guerriers restaient prudemment à distance. Les quatre derniers rentrèrent juste avant la tombée de la nuit. L'un d'eux s'approcha du chef de guerre :
— Nous avons peut-être trouvé quelque chose.
Zol'Kor s'immobilisa et le fixa d'un regard noir :
— Vas-y, parle !
— Nous avons trouvé trois empreintes, loin vers l'ouest. Nous n'en sommes pas certains, mais nous pensons qu'il s'agit des mêmes que celles qui nous ont menés jusqu'ici.
— Quelle direction ?
— Vers la grande rivière. Celui qui nous a attirés ici voulait certainement nous leurrer.
Zol'Kor poussa un cri de rage, puis il invectiva ses guerriers :
— Nous avons un jour de retard à rattraper ! En route !
Il lança un regard vers Shack'Gan et Lak'Mor :
— Pas question d'attendre les traînards !

Les guerriers repartirent au pas de course, distançant rapidement Lak'Mor et Shack'Gan. Le jeune guerrier se reprochait sa lenteur :
— Je me traîne. Ils vont finir par les retrouver avant nous !
Le mage le rassura :
— Je pense que l'elfe et ses amis ont bien plus de ressources que ne l'imagine Zol'Kor. Au moins, nous n'avons pas de difficulté à suivre les traces de nos compagnons.
Lorsqu'ils arrivèrent au bord de la rivière, ils constatèrent que Zol'Kor avait scindé ses forces en deux. Un groupe s'était dirigé vers l'amont, l'autre vers l'aval. Après avoir étudié les nombreuses traces laissées au sol, Lak'Mor parvint à reconnaître une empreinte, plus petite que les autres, montrant des signes manifestes de boiterie. Les traces disparaissaient au bord de l'eau. Il s'interrogea alors à voix haute :
— Et maintenant, comment savoir quelle direction prendre ?
Shack'Gan observa la rivière quelques instants avant de lui répondre :
— Zol'Kor doit penser que les fugitifs ont cherché à traverser en empruntant un pont. Pour ma part, je pense que l'elfe est suffisamment intelligente pour savoir que les ponts sont gardés par nos guerriers. Ils ont donc traversé la rivière, et le courant les aura certainement entraînés vers l'aval.
Le jeune guerrier observa son ami incrédule :
— Mais ce serait du suicide ! S'ils ont fait ça, c'est des cadavres qu'on retrouvera en aval !
— N'oublie pas que l'elfe était blessée et prise dans tes bolas au fond de l'eau. Pourtant, ce jeune humain, Tilou, l'en a sortie, alors il doit être capable de nager en portant une elfe.
Lak'Mor observa l'autre berge et tenta d'en évaluer la distance :
— Je ne sais pas pour les humains, mais moi, je n'ai rien d'un poisson. Tu ne comptes quand même pas faire comme eux ?
Le mage observa la berge opposée quelques instants avant de répondre avec un sourire peu rassurant :
— Si !
Il invoqua le froid, bien plus longtemps que d'habitude, puis il fit geler l'eau stagnante au bord de la rivière. Lorsque la plaque de glace ainsi créée lui sembla suffisamment grande et épaisse, il s'avança dessus sous le regard stupéfait de son ami :
— Allez, viens ! La glace ne tiendra pas toute la journée !
Lak'Mor n'avait aucune envie de suivre son ami dans cette entreprise insensée :
— Comment peux-tu être certain que ça nous portera jusqu'au bout ? Et comment veux-tu faire avancer ça sur l'eau ?
Shack'Gan lui tendit la main :
— Viens et tu le sauras.
Lak'Mor hésita encore un instant, comme s'il cherchait à lire les pensées de son ami. Le mage, qui paraissait calme et confiant, lui tendait toujours la main. Le jeune troll finit alors par s'avancer. Il posa prudemment un pied sur l'étrange radeau, testa sa résistance quelques secondes avant de s'y engager totalement :
— Tu sais que tu es complètement fou ?
Shack'Gan lui répondit amusé :
— Lequel est le plus fou ? Le fou, où celui qui le suit en toute conscience ?
Lak'Mor se contenta de bougonner avant de s'approcher du centre de l'improbable radeau.
— Maintenant, accroche-toi, ça risque de bouger.
Sans lui laisser le temps de répondre, Shack'Gan invoqua le vent et projeta une légère brise vers la berge. Lorsque leur embarcation de fortune commença à se mettre en mouvement, il intensifia progressivement la force du souffle et ils prirent de la vitesse.
Lak'Mor réalisa soudain que, non contentes de les entraîner dans un désagréable mouvement de roulis, certaines vagues parvenaient à submerger la plaque de glace, ce qui la rendait encore plus glissante. Paniqué à l'idée de tomber à l'eau, il se laissa tomber à genoux et chercha à s'agripper du mieux possible à la moindre aspérité.
Après quelques minutes qui lui semblèrent une éternité, un choc violent le fit rouler sur le radeau. Il tenta de se rétablir en plantant ses griffes dans la glace, tout en réfrénant à grand-peine un cri de terreur. C'est alors qu'il entendit Shack'Gan :
— Pour quelqu'un qui ne voulait pas monter sur mon radeau, je trouve que tu ne montres aucun empressement à le quitter !
Lak'Mor releva la tête et aperçut le mage, amusé, qui se tenait debout sur la berge :
— Allez viens, nous avons une piste à retrouver ! Je pense que nous les retrouverons plus loin en aval.
Le jeune troll se tourna vers la rive d'où ils venaient, étonné d'être déjà arrivé.
— Tu avais déjà fait ça ? Traverser une rivière de cette façon ?
— Non, mais je pensais bien que ça devait être possible.
Lak'Mor était sidéré par cette réponse :
— Tu es complètement fou ! Génial, mais fou !

Ils progressaient le long de la rivière, récoltant en chemin de quoi manger. Ils venaient de sortir d'une zone boueuse où poussaient d'innombrables joncs, où l'horizon, bouché par cette végétation dense, avait obligé le jeune troll à maintenir tous ses sens en éveil, afin de repérer la moindre trace des fugitifs ou d'un danger quelconque. Profitant de la vue dégagée sur la rivière, Lak'Mor se détendit enfin et il fit part de ses craintes à son ami :
— Depuis le temps qu'on les cherche de ce côté, je commence à penser que s'ils ont traversé, ils se sont noyés. S'ils sont restés de l'autre côté pour trouver un pont, tôt ou tard, ils se feront prendre par la horde.
Shack'Gan ne partageait pas l'avis de son jeune compagnon :
— Tout est possible. Si tu as raison, nous ne pouvons plus rien pour eux. En revanche, je persiste à penser qu'ils ont réussi la traversée. Quoi qu'il en soit, nous devons continuer à les chercher de ce côté. Peut-être que nos efforts seront vains, mais c'est notre seule chance de les retrouver en vie.
Lak'Mor leva les yeux au ciel :
— De toute façon, je n'ai rien d'autre à faire aujourd'hui. Mais nous allons bientôt devoir nous arrêter. La nuit va tomber.
Il observa la berge devant lui :
— Là ! Il y a une crique. Nous devrions pouvoir y passer la nuit.
Shack'Gan acquiesça :
— Ça me semble un bon endroit. La forêt n'est pas très loin, nous devrions y trouver de quoi allumer un feu.

 

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