Les cendres de Tirwendel - Chapitre XLV
XLV
En approchant de
Tirwendel, Shack'Gan et Lak'Mor sentirent l'odeur de bois brûlé et ils
s'en inquiétèrent. Rapidement, ils aperçurent des patrouilles de trolls,
ce qui les rassura un peu, au moins, la horde tenait toujours la cité
des elfes. Mais plus ils s'approchaient, plus le vent du Nord leur
apportait une odeur nauséabonde de charogne. Intrigué, ils se laissèrent
guider par leur flair pour en trouver la provenance et, après une bonne
heure de marche, ils découvrirent enfin la source de cette odeur
insupportable. Des cadavres par milliers étaient entassés dans une
cuvette naturelle. Au milieu de ces corps en décomposition, des rats,
des charognards et toute sorte de vermine pullulaient et profitaient de
cette source de nourriture. Le mage tituba et se raccrocha à un arbre
proche, tandis que Lak'Mor se retourna pour vomir.
Passé l'instant de stupeur, Shack'Gan posa une main sur l'épaule du jeune guerrier :
— Ne restons pas ici. Je dois parler à Ort'Kan !
En
approchant du campement de la horde, Shack'Gan constata rapidement que
leurs semblables avaient détruit la cité entière de Tirwendel par le
feu. En temps normal, il s'en serait offusqué, mais cela lui importait
désormais bien peu. Il se dirigea d'un pas décidé vers l'immense tente
de Ort'Kan, repoussa les gardes en invoquant un vent puissant et pénétra
sous le chapiteau royal. Là, il s'inclina face à son souverain puis il
demanda sans cérémonie :
— Pourquoi avoir massacré ces elfes ? Nous avons gagné cette guerre, alors pourquoi ces morts inutiles ?
Les gardes étaient déjà revenus et encadraient le mage avec un regard
sombre. Ort'Kan, d'abord surpris par cette intervention inopinée, se
cala sur son trône, leva la main pour demander aux gardes de laisser
l'intrus s'exprimer, puis il se pencha légèrement en arrière et sur sa
gauche. Shack'Gan put alors apercevoir, le Noiraud caché dans l'ombre.
Le mystérieux conseiller personnel du roi, dont personne n'avait jamais
vu le visage, bougea négligemment la main tout en chuchotant quelque
chose à l'oreille de Ort'Kan, qui se redressa et se pencha vers le mage :
— Nous n'avons pas encore gagné cette guerre. Tant que nous
n'aurons pas retrouvé cette elfe fugitive, tous nos efforts seront
vains. Alors, nous ne pouvons nous permettre de garder nos ennemis en
vie si près de nous. Cela nous a permis d'envoyer un message fort aux
autres cités elfiques : "Voyez ce qui vous arrivera si vous tentez de
nous résister !"
Shack'Gan ne pouvait admettre ce genre d'argument :
— Mais c'est juste une honte pour la horde ! Jamais les trolls ne tuent leurs prisonniers ! Jamais ! Ce sont nos lois !
Le noiraud remua encore derrière le roi avant qu'il ne réplique :
— Malgré toute ta sagesse, tu fais une erreur Shack'Gan. Nos lois ne
s'appliquent qu'aux trolls. Nous ne nous sommes débarrassés que de
quelques elfes, rien qui ne porte à conséquence. Et puis, nous avons
quand même épargné les enfants. Tu vois, nous savons aussi faire preuve
de générosité.
Ort'Kan se pencha vers lui en plissant les yeux :
— Mais dis-moi, tu étais censé être avec Zol'Kor... Où est-il ? Pourquoi n'est-il pas venu au rapport ?
Le noiraud se pencha à l'oreille de Ort'Kan qui poursuivit :
— A-t-il retrouvé cette fugitive ?
Le mage prit une seconde de réflexion, afin de s'assurer de ne pas commettre une erreur qu'il pourrait regretter par la suite :
— Je ne pense pas.
Ort'Kan le fixa de manière si intense que Shack'Gan eut l'impression
qu'il tentait d'entrer dans son esprit, et qu'une brume sombre, froide
et angoissante s'abattait sur lui. Le roi insista
— Comment-ça ? N'étais-tu pas avec lui ?
Le mage tenta de reprendre le contrôle de ses pensées, mais il était
dans un tel état de confusion qu'il ne savait plus ce qu'il devait
faire. Il lutta de longues minutes avant de s'écrouler à genoux :
—
Les traces des fugitifs nous ont menés vers une rivière, où elles ont
disparu. Zol'Kor a décidé de scinder ses forces en deux groupes pour
aller chercher un pont ou un gué en aval et en amont.
— Et toi, qu'as-tu fait ?
— J'ai traversé la rivière avec Lak'Mor. J'étais persuadé que c'était ce qu'avaient fait l'elfe et ses amis.
Malgré la brume qui obscurcissait son esprit, Shack'Gan vit le Noiraud
faire un léger mouvement de recul, comme s'il était surpris par cette
information. Le mystérieux conseiller se pencha alors vers le roi qui
poursuivit :
— Et après ? Qu'as-tu fait ?
Le mage ne voulait pas
répondre à cette question, mais la brume devint si intense, si froide
et si compacte, qu'il fut incapable de comprendre les mots qu'il
s'entendit prononcer.
— Qu'est-ce qui s'est passé ?
Shack'Gan secoua la tête. La brume était toujours présente, mais suffisamment diffuse pour qu'il puisse répondre :
— Ort'Kan voulait que tous les elfes sachent ce qu'il en coûte de résister à la horde.
Lak'Mor semblait surpris par cette réponse :
— Je voulais dire, qu'est-ce qui s'est passé pour que tout le camp soit en alerte comme ça ?
Le mage observa l'agitation tout autour de lui avant de hausser les épaules :
— Je n'en sais rien.
Il fronça les sourcils, à la recherche de ses souvenirs, en vain. Lak'Mor insista :
— Pourtant, tu es sorti de la tente juste avant que Ort'Kan n'appelle
tous ses chefs de guerre. Après ça, ils ont tous organisés ces
patrouilles qui ont l'air de vouloir fouiller la forêt jusqu'à son
dernier brin d'herbe.
— Je ne sais pas. Ort'Kan est le roi, il fait ce qu'il veut.
Le calme et la désinvolture de son ami inquiétèrent le jeune guerrier :
— Tu es sûr que ça va ?
Le mage semblait soucieux :
— Non. J'ai l'impression qu'il s'est passé quelque chose, mais je ne parviens pas à m'en souvenir.
Lak'Mor regarda autours de lui pour vérifier s'il pouvait être entendu. Lorsqu'il fut rassuré, il proposa :
— Tu pourrais peut-être utiliser ce remède qui m'a permis de retrouver la mémoire.
Shack'Gan lui lança un regard sans expression, réfléchit quelques secondes avant de secouer la tête :
— Non. Ça me permet d'entrer dans les souvenirs d'un autre, pas de puiser dans les miens.
Le mage fouillait dans sa besace lorsqu'une patrouille fit son
apparition. Zol'Kor était de retour, et il avait manifestement l'air
contrarié. Un de ses guerriers aperçut Lak'Mor et Shack'Gan. Il prévint
immédiatement le chef de guerre qui se tourna vers eux et leur lança un
regard sombre. Il s'approcha et Lak'Mor se prépara à subir sa colère :
— Depuis quand êtes-vous ici ? Comment avez-vous fait pour arriver avant nous ?
Shack'Gan leva à peine son regard vers lui :
— Nous avons traversé la rivière là où tu nous as abandonnés.
Le chef de guerre s'énerva :
— Ne me raconte pas d'histoire ! La rivière était trop large ! Vous vous y seriez noyés !
Le mage lui répondit sur un ton neutre :
— J'ai pourtant l'impression d'être bien en vie. Et toi, qu'est-ce qui t'amène ici ?
Zol'Kor était sur le point d'exploser :
— Nous avons retrouvé vos traces de l'autre côté de la rivière, ainsi
que celles des fugitifs. Nous avons suivi la piste jusqu'ici. Pourquoi
n'as-tu pas rattrapé cette elfe ?
— Parce que les traces étaient
difficiles à suivre. Nous les avons perdues un peu avant d'arriver ici.
Nous avons supposé que l'elfe voulait venir ici pour y voir son roi.
Zol'Kor le fixa d'un regard glacial et pénétrant :
— Pourquoi n'es-tu pas à sa recherche ?
Shack'Gan affronta son regard, indifférent :
— Je suis mage, pas pisteur. Je ne saurais pas faire la différence
entre les traces de ceux que nous cherchons et celles de ceux qui
vivaient ici.
Le chef
de guerre inclina la tête en scrutant le mage du regard. Il s'apprêtait
à poser une nouvelle question lorsqu'un garde royal vint le chercher :
— Le roi veut te parler.
Comme il semblait toujours vouloir interroger le mage, le garde insista :
— Maintenant !
Avant de le suivre, le chef de guerre ordonna à Perk'Ort :
— Tu me surveilles ces deux-là. Leur histoire n'est pas très claire.
Zol'Kor
passa une bonne partie de la journée dans la tente royale, alors que
des coureurs arrivaient régulièrement pour rendre compte de l'avancement
des recherches. En fin d'après-midi enfin, il sortit de la tente royale
et interpella immédiatement ses guerriers :
— Plus le temps de nous
reposer. Nous repartons immédiatement. L'elfe fugitive aurait été
repérée vers le nord-ouest. Nous allons lui donner la chasse.
Un guerrier plus âgé que les autres demanda :
— On est bien sûr que c'est l'elfe que nous cherchons ?
Zol'Kor lui lança un regard noir :
— Tu le sauras quand nous lui mettrons la main dessus.
Puis, se tournant vers ses guerriers :
— On repart maintenant !
Il s'adressa enfin à Shack'Gan sur un ton sardonique :
— Toi, tu nous accompagnes. Ordre du roi !
Le mage semblait préoccupé, il releva à peine la tête :
— Il me manque des plantes.
Le jeune guerrier était surpris par son indifférence :
— Qu'est-ce qui t'arrive ? Tu es étrange depuis que nous sommes arrivés ici.
Shack'Gan se tourna vers lui, le regard vide, et haussa les épaules :
— Il faut que je trouve des racines de gardo et des feuilles de petron.
Commentaires
Enregistrer un commentaire