Liatk du clan de la Forêt Sombre - Chapitre XXXVIII
XXXVIII
Ils avaient marché toute
la journée sans prendre le moindre repos. À la nuit tombée, ils
décidèrent de continuer, car ils ne voulaient pas laisser à Halbair la
possibilité de sortir du territoire. Néanmoins, au petit jour,
lorsqu'ils arrivèrent en vue de la frontière, la mort dans l'âme, ils
durent admettre qu'ils avaient échoué.
Ils longeaient le torrent et
parvinrent à un pont, peu après que le torrent se soit jeté dans la
rivière blanche qui marquait la frontière des Belles Landes. Corg et
Darlak allaient s'y engager lorsque Farabert les arrêta :
— Attendez, ce n'est pas normal !
Darlak était fatigué par la marche, le manque de sommeil et l'angoisse de ne pas retrouver sa fille :
— Toi pas arrêter Darlak ! Darlak aller chercher Siléa !
Le jeune homme insista :
— Non, attendez ! Il devrait y avoir des gardes-frontière. Il y en a toujours.
Sharle devait admettre que Farabert avait raison et il s'en voulut de ne pas avoir remarqué l'anomalie.
— Je vais m'engager sur le pont avec mes hommes pour vérifier. Si des
soldats nous attendent, ils devraient se montrer. Je ne pense pas qu'ils
oseraient nous attaquer si je m'identifie.
Darlak ne voulait perdre aucun instant.
— Nous allons passer. Je ne laisserai aucun humain m'empêcher d'aller chercher ma fille !
Urog était partagé. Il ne craignait pas d'affronter les soldats, mais il ne connaissait pas leur nombre.
—
Laissons le Général faire. Nous ne savons pas ce qui nous attend là-bas
et nous ne sommes pas très nombreux. Nous ne sommes pas en position de
force, nous devons être prudents.
Darlak s'emporta :
— Ne me dis pas que tu as peur de quelques malheureux humains ! Personne ne m'interdira d'avancer !
Corg sentit que Urog se faisait violence pour ne pas lui faire ravaler ses paroles. Il jugea bon de calmer le père de Siléa :
—
Ma fille aussi est là-bas. Mais nous ne leur serons d'aucune aide si
nous mourons ici. Nous arrivons aux Belles Landes et ces gens nous
détestent. Le courage ne nous sera d'aucune utilité si nous manquons de
prudence. Mieux vaut perdre quelques instants pour vérifier si la voie
est libre.
Les mots de Corg avaient ramené Darlak à la raison et il vit de la reconnaissance dans le regard de Urog.
Sharle
s'avança sur le pont à la tête de ses archers. Il stoppa au milieu et
attendit. Il était aux aguets, cherchant à percevoir la présence des
hommes. Et il sut qu'il y en avait un grand nombre, il percevait
quantité de sentiments différents, lassitude de l'attente, excitation et
angoisse précédant la bataille et même soulagement de voir les
guerriers orques attendre de l'autre côté du pont. Il se concentra sur
ce qu'il percevait. Il devint évident que tous les soldats, cachés
derrière les rochers, les bosquets, les buissons, ou encore dans des
fossés, étaient en attente d'un ordre. Après quelques instants, il
acquit la certitude que tous étaient tournés vers un gros rocher. Sharle
écrivit un court texte sur un petit parchemin, emprunta une flèche à
son meilleur archer sur laquelle il enroula son message.
— Peux-tu tirer cette flèche au pied de ce rocher, pour que celui qui se cache derrière puisse le lire.
— Bien sûr, mon seigneur.
L'homme
encocha sa flèche, tira la corde jusqu'à son menton, affina sa visée et
décocha. Le projectile monta dans les airs, pour retomber juste un
mètre en arrière du rocher et sur son côté. Sharle perçut la surprise,
puis l'énervement de l'homme à qui était destiné le message. Une main se
saisit de la flèche. Quelques instants plus tard, le capitaine des
Belles Landes se montra. Il semblait furieux. Sharle l'interpella :
— Désolé de vous déranger de si bonne heure, nous sommes à la recherche de Halbair de Mont Noir.
— Que lui voulez-vous ?
— Cet individu a commis plusieurs crimes à Valfond, nous le recherchons pour lui faire subir le sort qu'il mérite.
— Nous ne connaissons pas cet homme.
Sharle se concentra sur cet homme. Quelques images lui parvinrent. Une
bourse échangée contre une promesse de gains futurs... Cet homme mentait
manifestement. Sharle décida de ne pas le ménager :
— Il me semble pourtant que vous avez investi une bonne partie de votre solde dans ses activités.
L'homme encaissa avec surprise, mais il se ressaisit rapidement :
— Halbair de Mont Noir est un citoyen des Belles Landes. Votre justice
n'opère pas ici et cette seigneurie protège ses citoyens.
Il se retourna et hurla :
— Montrez-vous !
Environ deux cents fantassins et archers sortirent de leurs cachettes, tous prêts à entrer en action.
— Faites demi-tour ou nous serons dans l'obligation de vous stopper.
Sharle avait atteint son objectif : il savait maintenant quels étaient les forces qui l'attendaient.
— Soit ! Mais je vous préviens : vous nous attendiez pour nous tendre
une embuscade, ce qui implique que vous avez été informés par Halbair de
notre arrivée. De plus, vous avez financé son activité criminelle, ce
qui fait de vous manifestement son complice. Si jamais vous mettez les
pieds sur le territoire de Valfond, vous subirez le même sort que lui.
À nouveau, Sharle se concentra sur le capitaine, sujet à des émotions
complexes : stupeur devant la facilité avec laquelle Sharle l'avait
percé à jour, colère envers Halbair qui l'avait mis dans cette situation
et volonté farouche d'en découdre avec lui. Une image fit à nouveau
surface : une sorte de bâtisse à l'ouest, dans les montagnes.
Sharle
fit demi-tour. Il retrouva les orques et leur expliqua la situation.
Darlak était partagé entre reconnaissance envers Farabert qui l'avait
retenu de se jeter dans ce piège et désespoir de savoir sa fille hors de
portée.
Farabert confirma que le domaine de Mont Noir se trouvait à l'ouest, au pied des montagnes.
— On peut franchir le torrent par un gué en amont, mais ils vont nous
voir nous y rendre et ils enverront des hommes nous y attendre...
La
situation était bloquée. Darlak était sur le point d'aller affronter
les soldats, seul s'il le fallait, quand Corg eut une idée :
— Pas question de leur laisser nos filles ! Mais nous ne pouvons pas non plus les affronter, nous nous ferions massacrer.
Il expliqua ses intentions aux autres. Sur l'autre berge du torrent, les soldats attendaient l'arme au poing. Soudain, Darlak s'élança vers le pont en brandissant sa hache. Urog tenta de le retenir, mais le père de Siléa forçait, déterminé à en découdre. Martog vint aider le colosse, pendant que les archers se mettaient en position de chaque côté du pont, afin de protéger les orques si Darlak venait à forcer le barrage. Mallog et Corg vinrent aider à maîtriser le père de Siléa. Après quelques instants de lutte, Darlak sembla se résigner et c'est les épaules basses et avec le soutien de ses amis qu'il fit demi-tour. Le groupe s'engagea dans la vallée encaissée pour regagner les terres de Valfond. Les archers décrochèrent en dernier.
Mallog fut le premier à prendre la parole :
— Vous croyez vraiment qu'ils y ont cru ?
Corg était sceptique.
—
Je ne sais pas. Ce qui est certain, c'est qu'ils s'attendaient à ce que
nous forcions le passage. Il fallait essayer de leur faire croire que
nous renoncions, sans que cela n'ait l'air trop facile.
Sharle abonda dans ce sens :
—
L'avenir nous dira si nous sommes de bons comédiens, mais il nous
faudra quand même être discrets. Nous allons sur les terres des Belles
Landes et là-bas, les orques n'y sont jamais libres et armés. Nous
devrons avancer de nuit et nous cacher le jour.
Urog n'aimait pas
l'idée de se cacher. Les orques n'avaient pas pour habitude de fuir le
combat, lui encore moins, mais la situation était exceptionnelle et il
était heureux de pouvoir compter sur l'expérience du Général et celle de
Corg. Le père de Litak l'avait impressionné. Sa fille était captive
d'un homme sans foi ni loi, cruel, qui l'avait déjà maltraitée et
pourtant, il parvenait à garder son sang-froid et à trouver une solution
intelligente à un problème à priori insoluble. Restait à trouver le
moyen de franchir le torrent des dents plus en amont, franchir l'éperon
rocheux et enfin la rivière blanche, le tout sans être repérés par les
soldats des Belles Landes.
Sharle s'arrêta et indiqua au groupe le passage à gué sur le torrent. Urog semblait nerveux :
— Nous devoir descendre là ?
— Oui, ce n'est pas facile, mais nous pouvons y arriver. Tu passeras le
premier. Nous t'assurerons comme nous l'avons fait à la falaise des
morts. Je passerai le dernier.
Il se tourna vers ses archers :
— Vous resterez ici pour stopper toute tentative d'infiltration.
Il désigna celui qu'il savait être le meilleur coureur :
— Toi, tu te rendras le plus vite possible à Valfond. Passe par le
village du clan, tu y trouveras peut-être déjà les renforts que j'ai
demandés lorsque nous étions en bateau. Fais venir des renforts dans la
vallée des dents pour nous aider lorsque nous rentrerons.
Corg avait
parfaitement compris les ordres que le Général venait de donner et il
apprécia l'anticipation dont il faisait preuve. Sharle prévoyait déjà
leur retour, alors qu'il ne savait pas encore où retrouver les captives.
Puis un détail lui revint : Sharle avait fait appeler des renforts
alors qu'il était encore sur le bateau qui l'amenait vers leur vallée...
Comment savait-il que le clan était attaqué ? Lui-même ne l'avait
découvert que lorsque Zanéa les avait prévenus. Décidément, il aurait
beaucoup de questions à lui poser lorsque tout cela serait terminé.
Sharle prit une corde dans son sac et se tourna vers Urog :
— Bon ! Si nous y allions ?
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