Les cendres de Tirwendel - Chapitre XXXVII
XXXVII
Quelques constructions
en pierre apparaissaient devant eux et, plus loin, les hautes murailles
de la cité se découpaient sur le ciel nocturne. La patrouille ne pouvait
s'avancer plus près, car la lumière blafarde de la lune les révélerait
immédiatement à la vue des vigiles qui montaient la garde sur les
fortifications. Ils restèrent donc tapis à l'abri du petit bois qu'ils
venaient de traverser. Dépité, Per'Dah, le chef de la patrouille,
murmura :
— C'est déjà la quatrième cité du même genre ! Sans
compter les villages défendus par les grands carrés de pierre. Jamais
nous ne pourrons attaquer ce territoire sans toute la horde.
Shack'Gan lui demanda avec une pointe de sarcasme :
— Et pourquoi faudrait-il que nous attaquions ? La horde n'a-t-elle pas encore assez d'ennemis ?
Per'Dah s'agaça :
— Ces créatures nous ont infligé une défaite ! L'honneur de la horde doit être lavé !
— Et d'après toi, combien de guerriers devront encore mourir pour
l'honneur de la horde ? Parce que je ne crois pas que ce peuple se
laissera attaquer sans résister. Et pour ce que j'en vois, ils ont l'air
de savoir comment se défendre.
Le chef de la patrouille lui lança un regard assassin :
— Tu ferais mieux de garder ton venin pour toi ! Tu es une honte pour le peuple troll !
Comme à son habitude, Shack'Gan ne se laissa pas intimider :
— Pourquoi ? Parce que je me soucie de la vie des nôtres ?
Per'Dah serra la poignée de sa masse, sur le point de frapper,
Shack'Gan invoqua la glace, prêt à riposter. La terrible tension entre
les deux trolls ne cessa que lorsque Lak'Mor les prévint :
— Ça bouge là-bas !
Per'Dah et Shack'Gan se tournèrent immédiatement vers la cité. Un
groupe de soldat sortait des faubourgs et se dirigea vers eux. Le chef
de la patrouille prit immédiatement sa décision :
— On en a assez vu. On se replie en silence.
Shack'Gan tenta de l'en dissuader :
— Cette cachette est bonne, je doute qu'ils s'engagent dans le bois
pendant la nuit. Si nous restons ici, nous pourrons les observer durant
la journée et en apprendre plus sur eux.
Per'Dah se retourna vers
les soldats qui semblaient avoir bifurqué, se contentant pour l'instant
de suivre la route pavée de pierre. Il balaya ses guerriers du regard,
observa son environnement et prit le temps de la réflexion :
— Nous
sommes trop nombreux. Nous ne pourrons pas nous cacher si jamais ils
décidaient de venir voir par ici. Et puis, nous n'avons pas de réserve
pour rester plus longtemps. Il nous faudrait chasser, ce qui risquerait
de nous faire repérer. Nous n'avons pas le choix. Nous devons repartir.
Le mage pensait pourtant qu'il lui fallait étudier ces créatures :
— Ta décision est sage, mais je dois rester pour en apprendre plus sur
eux. Partez, je vous rejoins la nuit prochaine à Nelandir.
Per'Dah était bien tenté d'abandonner ce mage frondeur à son sort en territoire hostile, mais il avait reçu des ordres :
— Tu ne peux pas rester ici. Sans personne pour assurer tes arrières, tu n'aurais aucune chance.
Lak'Mor s'approcha :
— Je peux rester avec lui. À deux, nous pouvons nous couvrir, et nous restons assez discrets.
Per'Dah fit un effort pour ne pas perdre ses nerfs. Il observa les deux
amis avec suspicion avant de se diriger vers trois de ses guerriers les
plus expérimentés :
— Vous trois, vous restez avec ces deux-là.
Le jeune guerrier protesta :
— Nous sommes assez grands pour nous débrouiller seuls.
Le regard que lui lança le chef de patrouille ne laissait pas de place à la contestation :
— Ma décision est prise ! Gal'Tor, Org'Pah et Vor'Lek restent avec
vous. Je n'ai pas à me soucier de savoir si cela vous convient ou non !
Lak'Mor n'insista pas plus longtemps, mais Shack'Gan comprit à la façon
dont il le regardait, que Per'Dah ne lui faisait pas confiance. Les
trois guerriers n'avaient probablement pas pour mission de les protéger,
mais plutôt de les surveiller.
Shack'Gan et Lak'Mor passèrent le reste de la nuit à chercher un bon poste d'observation, d'où ils bénéficieraient d'une bonne vue tout en étant assez bien dissimulés pour ne pas attirer l'attention des humains. Le mage finit par choisir un grand chêne en bordure du bois, dont les hautes branches étaient suffisamment bien fournies en feuilles pour rester caché, et suffisamment hautes pour avoir une vue d'ensemble sur la cité.
Les cinq
trolls profitèrent des premières lueurs de l'aube pour récolter quelques
racines et fruits afin de compléter les maigres réserves de nourriture
dont ils disposaient, puis le mage monta dans son poste d'observation,
pendant que les guerriers établissaient un périmètre autour de l'arbre
pour assurer sa sécurité.
Lorsque le soleil se leva, Shack'Gan eut
la surprise de constater que la cité était bien plus étendue qu'elle ne
l'avait semblé durant la nuit. Un cours d'eau la traversait, et la
partie de la ville qui leur faisait face était la plus petite. Au-delà
de la petite rivière, elle s'étalait sur une superficie trois fois plus
importante et était protégée par deux murs d'enceinte concentriques. Le
mage s'aperçut que les deux murailles différaient dans leur conception,
tout comme le style des habitations, plus petites et resserrées dans
l'enceinte intérieure, plus grandes, plus espacées dans l'enceinte
extérieure. Au-delà de ces deux enceintes, plusieurs faubourgs
s'étendaient à proximité des différentes portes d'accès à la ville
proprement dite.
Shack'Gan se demandait quelle logique avait imposé
cette organisation, jusqu'à ce que les premières activités humaines ne
commencent.
La ville déversa une quantité impressionnante de ses
habitants dans les champs alentour, où ils retournèrent la terre par
endroit, arrachant des plantes à d'autres, et mettant des graines en
terre ailleurs. Ils conduisirent des sortes de bisons, des chèvres et
des moutons dans la prairie, entre les champs et le bois. Pourquoi ces
animaux acceptaient ils de rester si près des humains ? Ils avaient
pourtant tous la possibilité de fuir.
Un bruit de martellement
attira son attention. Lorsqu'il en identifia la source, il réalisa que
des hommes construisaient une nouvelle habitation en périphérie du
faubourg. Il comprit alors que cette ville grandissait. Elle se
développait vers l'extérieur, ce qui expliquait les deux enceintes
fortifiées. La plus petite, au centre, était la plus ancienne, la
seconde était plus récente. Il supposa qu'un jour peut-être, les hommes
en construiraient une troisième encore plus grande.
Un grand
bâtiment commença à recracher une épaisse fumée noire. Quelques instants
plus tard, un bruit de martellement continu se fit entendre, qui
intrigua le mage. Que se passait-il dans ce bâtiment ?
Un chariot
arriva chargé de petites barres de cet étrange matériel gris et brillant
que des hommes déchargèrent, avant de les remplacer par divers objets
tous aussi étranges les uns que les autres, dont certaines des armes
utilisées contre les trolls à Vertpré. Tous étaient composés au moins en
partie avec ce matériau gris.
Un
sifflement aigu et puissant retentit soudain. Shack'Gan fut terrifié
lorsqu'il en découvrit la provenance. Une chose énorme, crachant une
fumée noire, avançait au milieu des bâtisses en tirant une dizaine de
chariots lourdement chargés. Lorsqu'il réalisa que cette chose n'avait
rien de naturel, qu'elle avait été construite par les humains et qu'elle
avançait mue par sa propre force, il comprit à quel point il serait
suicidaire pour la horde de se lancer dans une guerre contre ce peuple.
Leur maîtrise sur les animaux et sur les choses était effrayante et
malgré le courage et la force de ses guerriers, en aucun cas la horde ne
viendrait à bout de ces créatures. Conscient qu'il ne parviendrait
jamais à convaincre Perk'Ort, et encore moins Zol'Kor, il descendit de
l'arbre et alla trouver Gal'Tor. Le guerrier semblait inquiet :
— C'était quoi ce bruit ?
Le mage lui répondit avec indulgence :
— Tu ne me croiras jamais si tu ne vas pas voir par toi-même. Grimpe là-haut et tu sauras.
Lorsque le guerrier redescendit, il était décomposé.
Ils
avaient pris le chemin du retour dès la tombée de la nuit. Toujours
sous le choc de ce qu'ils avaient découvert. Vor'Lek demandait sans
cesse :
— C'était quoi cette chose ? T'as vu ce que ça tirait ?
Gal'Tor lui, imaginait les humains charger sur la horde, montés sur ces
bêtes infernales et se demandait comment il allait bien pouvoir
convaincre Perk'Ort et surtout Zol'Kor de ne plus jamais attaquer ce
peuple, tant la défaite de Vertpré lui semblait anecdotique en regard de
ce dont ils étaient capables de faire.
Shack'Gan était partagé
entre crainte et admiration, entre espoir et résignation. Ort'Kan
voulait qu'on lui amène Naëwen de Nelandir et il savait que Zol'Kor ne
laisserait jamais rien ni personne se mettre en travers de sa mission.
Mais l'elfe était sous la protection des humains et une attaque frontale
de la horde contre ce royaume ne pouvait conduire qu'à un désastre.
Lorsqu'il
distingua enfin la forteresse de Vertpré, le mage repensa à cette
Naëwen de Nelandir dont il savait pertinemment qu'elle se trouvait là.
Que comptait-elle faire ? Et ces deux humains qui l'accompagnaient ?
Quel était leur rôle ? Sans oublier la mystérieuse petite créature aux
cheveux de feu...
Shack'Gan eut soudain une idée folle. Il s'approcha de Gal'Tor :
— Nous devons traverser ce village.
Le guerrier s'immobilisa et le fixa, la bouche grande ouverte :
— Quoi ? Tu es devenu fou ou quoi ?
— Non, il fait nuit, ils dorment tous. C'est l'occasion d'en apprendre un peu plus.
— Mais tu as bien vu là-bas, ils ont des patrouilles de nuit. S'ils
nous repéraient, nous serions morts. Hors, nous devons rentrer pour
avertir Perk'Ort et Zol'Kor des dangers que représente ce peuple.
Le mage ne voulait pas en démordre :
— Pas de problème, je peux y aller seul.
Gal'Tor lui donna une réponse sans appel :
— Non ! Hors de question de prendre le moindre risque inutile. Il n'y a
rien ici d'aussi effrayant que ce que nous avons vu là-bas. Ce village
n'a aucun intérêt.
Le guerrier entama un large détour pour
contourner Vertpré, mais le mage ne pouvait s'empêcher de penser qu'une
partie des réponses à ses questions se trouvait là-bas. Dès-lors, il
ralentit son allure, se laissa dépasser par les trois guerriers de
Per'Dah et, dès que l'occasion se présenta, il leur faussa compagnie
pour se diriger vers la petite bourgade.
En approchant des premiers bâtiments, il ralentit son allure pour se déplacer à pas feutrés. Le village était calme, et pas un bruit, hormis ceux des différents animaux, parqués dans leurs enclos et qui réagissaient à son approche. Il réalisa alors que malgré toutes ses précautions, il lui serait difficile de se déplacer entre ces habitations sans se faire remarquer. Il s'approcha de l'angle d'une maison lorsqu'il entendit des bruits de pas qu'il attribua à une patrouille de soldats. Il se plaqua dans l'embrasure d'une porte, conscient que cela ne suffirait pas à le cacher à la vue des humains s'ils venaient à passer devant lui. Fort heureusement, ce ne fut pas le cas. Il vit la dizaine de soldats s'éloigner vers la forteresse et fut surpris de constater qu'ils avançaient à la même cadence. Lorsque le silence fut revenu dans le village, il se dirigea vers le bâtiment d'où l'elfe avait décoché ses flèches durant la bataille, en prenant soin de raser les murs.
Lorsqu'il franchit l'espace entre deux maisons, il entendit un grognement sourd et se tourna vers sa source pour constater qu'une sorte de loup le fixait en montrant les crocs, prêt à se jeter sur lui ou à hurler pour donner l'alerte. Sa première réaction fut d'invoquer la glace pour tuer l'animal, mais il se souvint de son expérience que lui avait fait vivre Lamaën avec les loups. Il chassa alors toute peur, toute forme d'agressivité de son esprit et, paume vers le ciel, il tendit lentement sa main vers le chien, s'arrêtant à une vingtaine de centimètre de son museau. L'animal hésita, trépigna, mais le premier objectif était atteint, le chien s'était calmé. Après quelques secondes de tergiversation, l'animal s'approcha timidement, renifla cette main tendue vers lui et osa enfin s'approcher suffisamment pour accepter les caresses que Shack'Gan lui accorda généreusement.
Les
guerriers arrivèrent à ce moment-là, irrités par l'attitude du mage qui
n'avait pas respecté la décision d'éviter le village, mais aussi
surpris de le retrouver en train d'enlacer cet étrange loup, dont chacun
savait qu'il pouvait se montrer dangereux.
Surpris par l'arrivée
de ces nouveaux venus, le chien retroussa ses babines et se mit à
grogner à nouveau. Shack'Gan fit glisser sa main sur son encolure et le
rassura :
— Ce n'est rien, ce sont des amis. Ils ne te feront aucun mal.
Le chien se calma, mais il resta attentif à chacun de leurs mouvements. Lak'Mor se pencha vers son ami :
— Comment tu fais ça ? Je veux dire, tu as vu la taille de ce loup ! Il aurait pu te tuer !
Shack'Gan lui sourit :
— Il suffisait de ne lui donner aucune raison de le faire.
Il flatta une dernière fois le chien et se releva :
— Suivez-moi, je voudrais vérifier quelque chose.
Gal'Tor voulu protester, mais le mage était déjà reparti. Le guerrier bougonna en silence et suivit le mouvement.
Ils arrivèrent devant la grosse bâtisse qui crachait tant de fumée
durant la bataille. Repérant la grande cheminée, Org'Pah saisit le bras
de Shack'Gan :
— Tu ne vas quand même pas entrer là-dedans ? S'il y avait un de ces monstres à l'intérieur ?
La mage lui sourit en pointant la cheminée du doigt :
— Est-ce que tu vois de la fumée ? Non, alors il n'y a rien de dangereux.
Sans attendre de réponse, il poussa délicatement la porte et il disparut dans l'ouverture.
Il
prit tout d'abord conscience de l'odeur de bois brûlé puis ses yeux
s'accoutumèrent à l'obscurité. Il distingua alors ce qu'il identifia
comme un foyer. Il approcha sa main et constata qu'il était froid. Il
saisit un morceau de charbon, le fit rouler entre ses doigts avant de le
reposer. Un objet étrange se trouvait près du foyer. Deux sortes de
planches de bois de belle taille étaient reliées entre elles par une
large bande de cuir. La planche supérieure était mobile. Il l'actionna
et entendit immédiatement le souffle d'une énorme bête, immédiatement
suivi d'un panache de cendres qui s'éleva du foyer. Passé l'instant de
frayeur, il comprit que son geste avait déclenché ce souffle. Il réitéra
l'expérience, confirmant ainsi son intuition.
Un peu plus loin, il
vit un objet étrange qui reflétait la faible lueur de la lune. Le
matériau dont il était fait était dur, lisse et froid. La forme
compliquée était allongée, plate sur le dessus, sauf une extrémité qui
finissait en cône. Posé par terre, il vit une petite masse de forme
vaguement cubique et disposant d'une grosse poignée en bois. Le matériau
était le même que l'autre objet. Le mage souleva le petit outil qui,
malgré sa taille assez réduite, faisait un poids conséquent. Il frappa
doucement le gros objet avec et reconnut immédiatement, bien que
considérablement atténué, le bruit de martellement qu'il avait entendu
la veille.
Poursuivant sa visite du bâtiment, il découvrit des
lingots d'acier, identique à ceux qu'il avait vus décharger dans l'autre
ville, et, un peu plus loin, posé sur un râtelier, il aperçut une arme,
semblable à celles utilisées par les humains pour les combattre, mais
beaucoup moins longue. Il la saisit, sorti la dague de son fourreau.
Elle était de forme triangulaire, allongée. Le bord était coupant, la
pointe acérée, et il devinait aisément que cette arme, malgré sa petite
taille, pouvait se révéler mortelle. Sur bien des aspects, elle
ressemblait assez aux couteaux en silex taillé des elfes, mais cet
étrange matériau la rendait bien plus résistante, plus fiable lors d'un
combat.
Il replaça la lame dans son fourreau et cacha l'objet dans
sa sacoche. Il prit une seconde dague ainsi qu'un lingot d'acier avant
de ressortir au grand soulagement de ses compagnons :
— Tu veux nous faire tuer ou quoi ? Maintenant, on s'en va ! On aura de la chance si on ne se fait pas repérer !
Sans
plus attendre, Gal'Tor se dirigea vers la sortie du village la plus
proche, mais en passant à proximité de la dernière maison, Shack'Gan eut
une impression étrange. Il y avait quelque chose à l'intérieur qui
méritait son attention. Encore une fois, il s'écarta du groupe et
s'approcha de la petite habitation. Il y avait de la lumière à
l'intérieur et un feu brûlait dans la cheminée. La porte s'ouvrit et il
eut juste le temps de se cacher dans un buisson avant qu'un homme ne
sorte, suivit peu de temps après par un deuxième qu'il reconnut
immédiatement comme le mystérieux humain de la bataille. Une
conversation s'engagea qu'il suivit avec la plus grande attention :
— Elle compte partir quand ?
— D'après ce qu'elle dit, elle est presque guérie. Je pense que d'ici à deux semaines, elle sera prête.
Le jeune soldat sembla hésiter avant de poursuivre :
— Et bien entendu, tu as l'intention de l'accompagner.
Le mystérieux jeune homme parut surpris :
— Comment as-tu deviné ?
— Tu as oublié que tu es mon meilleur ami ? Je te connais par cœur. Et
la façon dont tu la regardes... Ça ne laisse aucun doute. Jamais tu ne
la laisseras seule.
Il se tut quelques secondes avant d'ajouter :
— Mais tu n'es pas un combattant ! Comment espères-tu pouvoir l'aider ?
— J'ai une bonne épée... Et je comptais sur toi pour m'apprendre à m'en servir.
— Rulna a déjà dit qu'elle l'accompagnerait. Elle est capable de se
défendre, plus que tu ne le seras jamais. Rien ne t'oblige à les suivre.
As-tu la moindre idée de ce que tu vas trouver là-bas ?
Le jeune homme répondit avec détermination :
— Non.
Il poursuivit avec une douce mélancolie :
— Mais je sais ce que je vais perdre si je n'y vais pas.
Le jeune soldat regarda son ami avec un air dépité :
— Mais c'est une elfe ! Pas toi. C'est une princesse, tu n'es qu'un
roturier à peine dégrossi. Qu'est-ce que tu peux bien espérer ?
— Qu'elle vive. Ce serait déjà un bon début.
Le jeune soldat souffla de dépit :
— Tu es un incorrigible naïf, tu sais.
— Je sais. Mais qu'est-ce que tu veux, je l'ai toujours été et je crois bien que je le serai toujours.
Il fixa un point quelque part au loin :
— Mais toi qui voulais vivre l'aventure, tu pourrais venir avec nous.
Il pouffa :
— Comme tu dis, je veux "vivre" l'aventure, pas en mourir. Et tu sais
que c'est ce qui vous attend là-bas. Comment pourriez-vous vous en
sortir au milieu de ces trolls ?
— Je n'en ai aucune idée.
— Mais tu veux quand même y aller ? C'est de la folie !
— On peut dire ça comme ça, oui, c'est une forme de folie. Mais je
préfère ça plutôt que le remord de n'avoir rien fait pour l'aider.
— Tu lui as juste sauvé la vie ! Excuse-moi du peu !
— Et à quoi ça aura servi si je la laisse se jeter sous les griffes de
ces trolls sans l'aider ? J'aurais aussi bien pu la laisser se noyer
dans cette rivière... Mais je l'en ai sortie. Et ça me donne une sorte
de responsabilité envers elle.
Le jeune soldat allait protester, mais il ne lui en laissa pas le temps :
— Regarde ! Tu as sauvé la vie de Rulna à Meetamis, et depuis, tu te
mets en quatre pour lui éviter le pire. Est-ce que nous sommes à ce
point différents ?
Un troisième homme apparut sur le seuil de la porte. Il portait un bras en écharpe et semblait plus âgé que les deux premiers :
— Tilou, Alnard, vous pouvez rentrer, elles sont réveillées.
Le soldat rentra alors que Tilou resta quelques secondes à regarder le
village, avant de se diriger enfin vers la maison. À mi-chemin pourtant,
il fit demi-tour et fixa le buisson dans lequel s'était caché le mage.
Shack'Gan sentit à nouveau l'étrange énergie qui émanait de lui et cru
avoir été repéré. Il invoqua la glace pour se défendre, mais Tilou se
contenta de hausser les épaules. Il franchit le seuil de la maison et
referma la porte derrière lui.
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