Litak du clan de la Forêt Sombre - Chapitre XXI
XXI
Ils avaient avancé aussi
vite qu'ils le pouvaient, ne s'arrêtant qu'une seule fois pour boire à
un petit torrent et remplir leurs outres. Ils mangeaient en marchant,
les restes de biscuits de marche que les chasseurs avaient emportés dans
la matinée, ou les rations de voyage des soldats de la garde. Le soleil
rouge était maintenant bien bas sur l'horizon et Sharle souhaitait
pouvoir franchir la côte des morts avant la tombée de la nuit.
Ils longèrent un torrent et parvinrent à une falaise inclinée, hérissée de pics de roche.
Corg s'approcha de Sharle.
— Pourquoi nous as-tu amenés ici, il n'y a pas de passage.
Sharle montra la falaise.
— Si. Nous devons escalader la côte des morts.
— Et pourquoi s'appelle-t-elle comme ça ?
— La légende raconte qu'à la fondation de Valfond, quatre explorateurs
ont voulu l'escalader pour voir ce qu'ils trouveraient de l'autre côté.
Trois d'entre eux ont chuté et se sont tués.
— Et tu veux nous faire passer par là ? Nous ne sommes pas des zartugs !
— Je l'ai déjà escaladée à plusieurs reprises et puis, ce n'est qu'une
légende. Mais le passage est tout de même risqué et nous devrons être
prudents.
Les soldats
de Valfond passèrent les premiers. Une partie monta rapidement et avec
une assurance qui força le respect des guerriers. Lorsque les premiers
arrivèrent en haut, ils jetèrent des cordes vers le bas. Ceux qui
étaient restés en bas y attachèrent les bagages et les armes qui furent
ainsi hissés en haut de la falaise. Les cordes furent à nouveau jetées
vers le bas et Sharle invita les guerriers à y fixer leurs armes et
leurs paquetages. Urog était réticent à abandonner sa hache, mais il
admit que son poids et son encombrement seraient trop pénalisants pour
escalader la paroi rocheuse.
Enfin vint le tour des guerriers. Les
plus jeunes, Mallog, Bratak et Atarog se lancèrent en premier. Ils
peinaient un peu, mais ils finirent par trouver comment placer leurs
appuis et ils parvinrent en haut sans trop de soucis. Ils y récupérèrent
leurs armes et Bratak eut l'idée de lancer à nouveau les cordes afin
que les autres guerriers puissent s'assurer.
Corg, Mortak et Gorak
tentèrent leur chance. Corg dévissa une fois, mais il se rattrapa vite,
freiné dans sa chute par Bratak qui l'assurait. Arrivés en haut avec
soulagement, ils lancèrent les cordes pour les suivants.
Arkog,
Darlak et Martog se lancèrent et, arrivé en haut, Martog poussa un cri
de victoire qui fit sourire toute la troupe. Il était le plus âgé des
guerriers partis secourir les leurs et l'ascension de la falaise lui
avait fait retrouver des sensations de sa jeunesse, lorsque tout lui
semblait encore possible.
Il ne restait plus que Urog, le plus
grand, le plus fort, le plus imposant, mais aussi le plus lourd de tous
les guerriers orques.
— Demander moi affronter seul une armée, d'accord. Mais monter là-haut, pas aimer ça.
Sharle comprenait les réticences du colosse. Il avait grandi dans les
forêts, loin de tout relief et sa corpulence exceptionnelle était ici un
handicap.
— Ne t'inquiète pas, tu seras assuré par les cordes et en haut, ce sont tes guerriers qui t'aideront.
Urog bougonna, mais il finit par se lancer. Il progressait lentement,
cherchant à assurer au mieux ses prises. Sharle grimpait à ses côtés, le
guidant et lui montrant les passages les plus faciles.
Un rocher
roula sous le pied du colosse qui dévissa. Instinctivement, Sharle
l'attrapa par la main, ce qui aurait pu l'entraîner dans la mort avec
lui, s'il n'avait pas été aussitôt retenu par Corg et Darlak, qui
assuraient ensemble leur compagnon d'arme. Une fois stoppé dans sa
chute, le guerrier chercha vite de nouveaux appuis auxquels il se
cramponna, cherchant à chasser la panique qui le menaçait. Il jeta un
coup d'œil vers le bas et se crispa contre la falaise. Sharle tenta de
le rassurer.
— Ne regarde pas vers le bas. Respire lentement, profondément.
Urog l'écouta et parvint à se calmer. Après quelques instants, il releva la tête, avança un bras et reprit son ascension.
Ils
parvinrent au sommet de la falaise sans autres soucis. Urog avait le
regard un peu vide et ses mains tremblaient. À cet instant, Sharle prit
conscience de l'effort terrible que l'orque avait soutenu pour combattre
sa peur.
— Urog, tu es un brave parmi les braves. Tu as fait preuve d'un grand courage pour affronter cette falaise et tu l'as vaincue.
Urog reprit contrôle sur lui-même.
— Moi vouloir sauver compagne et fille. Pas le choix. Mais pas recommencer avant longtemps. Moi pas zartug !
Les guerriers se mirent à rire, rapidement suivis par les soldats.
Ils
étaient parvenus sur un petit plateau herbeux encadré par deux pics,
tels des crocs prêts à déchirer le ciel. Le soleil rouge était déjà
couché et la nuit avait recouvert le paysage de son manteau obscur, mais
ils pouvaient distinguer la surface brillante du grand lac.
Sharle
proposa de ne pas faire de feu, afin de ne pas révéler leur présence. Il
estimait qu'ils avaient gagné une journée de marche par rapport à une
troupe d'hommes en arme, probablement un peu plus sur les rafleurs,
ralentis par leurs victimes. Ils devaient maintenant se reposer, car il
leur faudrait repartir au lever du jour.
Ils s'installèrent du mieux qu'ils pouvaient. Corg vint s'asseoir près de Sharle.
— Sais-tu ce qui va arriver aux nôtres si nous ne parvenons pas à les sauver ?
Le Général soupira. Il connaissait la réponse, mais cette hypothèse était inenvisageable à ses yeux.
— Les plus chanceux auront malheureusement une vie de servitude et d'esclavage.
— Les plus chanceux ? Mais qu'arrivera-t-il aux autres ?
—
Les fils seront probablement envoyés dans les mines, pour y travailler
jusqu'à leur mort. Généralement, les orques n'y vivent pas vieux. Les
filles les plus jolies seront achetées par d'ignobles pourceaux, qui les
jetteront dans les lits des hommes riches et pervers...
Corg, choqué, garda le silence quelques instants.
— Que feront-ils de ma fille ?
Sharle
n'en avait aucune idée. Elle était unique et si elle était encore en
vie, c'est que les rafleurs lui accordaient une certaine valeur
marchande. Mais il n'osait pas, ne voulait pas imaginer le sort qui
serait le sien.
— Jamais personne n'avait vu quelqu'un comme elle. Je ne sais pas ce qu'ils pourraient lui faire. Rien de bon en tout cas.
Ils gardèrent le silence un long moment. Lorsqu'il devint trop pesant, Sharle reprit la conversation.
— Mais nous ne les abandonnerons pas. Jamais !
Corg
fut surpris par cette véhémence. Pourquoi était-ce si important pour
lui ? Peu importait après-tout, du moment qu'il les aidait avec ses
soldats. Les réponses viendraient certainement lorsque tout serait fini.
Sharle soupira.
— Litak est exceptionnelle.
—
Je n'en ai jamais douté, mais c'est ma fille après tout. Peut-être
est-ce ainsi, les enfants sont toujours exceptionnels aux yeux de leurs
parents.
Ils se turent un instant, mangeant chacun une galette de voyage.
— Tu t'es présenté comme le fils de l'ancien chef. Pourquoi n'es-tu pas devenu chef après lui ?
— C'est une longue histoire.
— J'ai un peu de temps.
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