Les cendres de Tirwendel - Chapitre XXVI

 

XXVI

Tilou aménageait la carriole que son oncle lui prêtait, afin que Naëwen puisse voyager confortablement lorsque Alnard arriva devant chez lui :
— J'ai pris ma décision, je vais avec vous à Marendis !
— Pourquoi nous accompagnes-tu ? Rien ne t'y oblige.
Alnard sourit à son ami :
— Tu es au courant que je ne peux plus rester dans la garde ? Mais comme je n'ai aucune envie de passer ma vie à cultiver la terre, je me suis dit que c'était un bon prétexte pour quitter Vertpré. Et puis, Isbelle n'a toujours d'yeux que pour Redbert. Elle dit qu'il sera un jour quelqu'un d'important, tout ça parce qu'il est le fils du régisseur. Tu vois, je n'avais vraiment aucune raison de rester ici. J'ai une épée et deux bras, ça peut toujours être utile pour le voyage.
Tilou lui montra un paquet allongé dans la carriole :
— Je n'ai pas l'intention de me battre, mais j'ai aussi pris une épée au cas où. Mais même si j'ai appris à m'en servir, je ne suis pas réellement un combattant. Alors ton aide nous sera certainement utile.
Alnard leva les bras en signe de victoire :
— Je le savais !

Lorsque la carriole fut prête, ils allèrent chercher Naëwen et l'aidèrent à monter à l'arrière, protégée du soleil et des regards sous une large capuche, puis ils s'installèrent sur la banquette avant. Tilou prit les rennes, les fit claquer et le cheval se mit en route. Alnard se tourna alors vers l'elfe :
— Je n'ai toujours pas compris pourquoi tu avais proposé d'aller rencontrer le roi. Qu'est-ce que tu y gagnes ?
Tilou lui lança un regard lourd de reproches, mais Naëwen consentit à lui répondre :
— L'idéal serait que je puisse obtenir de l'aide pour chasser les trolls de notre royaume...
Alnard ne put s'empêcher de pouffer. Naëwen poursuivit :
— Tu as raison, cela ne risque pas de se produire. Mais il doit savoir pour les trolls. Vous devez vous préparer à les repousser. S'ils devaient vous vaincre, vous aussi, alors tout serait perdu.
Elle vit dans le regard du jeune homme qu'elle n'avait toujours pas répondu à sa question :
— Si vous leur tenez tête, alors nous n'aurions plus à combattre les forces qu'ils lanceraient contre vous.
— Je vois. Tu fais mine de vouloir nous avertir, mais en fait, tu espères qu'ils vont nous attaquer. C'est bien des stratégies d'elfes ça !
Tilou s'emporta :
— Alnard ! Tu devrais avoir honte !
Mais Naëwen l'arrêta :
— Non, il a raison. Une part de moi, celle qui reste fidèle envers et contre tout à son peuple, cette partie-là espère que les trolls vont vous attaquer, parce que nous sommes usés par ces guerres. Mais l'autre partie, celle qui a fait votre connaissance, ne veut pas que votre royaume succombe aux attaques des trolls. Alnard a vu juste, ma démarche n'est pas gratuite. Mais vous devez être préparés. Vous devez résister aux trolls.
Alnard et Tilou restèrent silencieux quelques instants puis le jeune forgeron demanda :
— Pourquoi les trolls vous ont-ils attaqués ?
La réponse de l'elfe fut on ne peut plus laconique :
— Personne ne le sait. Nous ignorions tout de leur existence jusqu'au jour où ils ont détruit Solendir, une petite cité à l'autre bout de notre royaume. Depuis ce jour-là, ils nous attaquent sans cesse et nous ne parvenons pas à les repousser. Cette forêt qui était notre meilleure protection devient chaque jour un peu plus notre tombeau.

Une roue de la carriole passa dans un gros trou provoquant une secousse désagréable. Tilou se tourna vers Naëwen qui n'eut pas le temps d'effacer la grimace de douleur sur son visage :
— Je suis désolé. Je n'ai pas vu ce trou.
Elle voulut le rassurer :
— Tu n'y es pour rien. Et puis, je suis heureuse que ton oncle nous ait prêté cette « carriole ». Cette façon de voyager est bien plus confortable pour moi que la marche à pied, même si parfois, c'est un peu rude. Dans ma forêt, je serais incapable de sortir de chez moi.
Le jeune forgeron pensa à la suite du parcours :
— Il nous faudra bientôt traverser la forêt du Pic aux Aigles. La route y est défoncée par les racines des arbres et l'humidité permanente du sol.
Il eut soudain l'air désolé :
— J'ai peur que cela soit pénible pour toi.
À sa grande surprise, elle eut plutôt l'air enchantée :
— Une forêt ? Crois-tu que nous pourrions y trouver de la terraliane ?
Le regard que les deux jeunes hommes lui lancèrent était éloquent quant à leur incompréhension. Elle précisa :
— C'est une plante rampante qui fait de longs filaments, avec des feuilles en ogive vert pâle et aux pointes brunâtres, et des fleurs bleues irisées.
Ils réfléchirent quelques instants avant que Alnard ne réponde :
— Tu veux parler de la couvre-sol ? Si c'est ça, il est probable qu'on puisse en trouver. C'est de la mauvaise herbe qui envahi les champs de mon père.
Elle prit un air implorant absolument délicieux :
— Pourriez-vous m'en cueillir s'il vous plaît ?
Tilou semblait fondre sur place :
— Bien entendu. Ce ne sera pas un souci.
Alnard le trouva pathétique :
— Tu sais que tu es censé être le maître, pas l'esclave !
D'abord surpris par cette remarque, le jeune forgeron fini par en comprendre le sens et la honte lui colora les joues :
— Naëwen, je suis désolé, je t'ai promis que tu étais libre, et te voilà officiellement ma propriété. Je n'avais pas prévu ça.
Elle lui répondit en souriant :
— Alnard n'a fait que me sauver la vie. Et j'ai bien l'impression que je serai plus en sécurité comme esclave que comme elfe libre en visite diplomatique auprès de votre roi. Pour le reste, je te fais confiance.

Lorsqu'ils entrèrent dans la forêt, Alnard descendit de la carriole pour chercher ce qu'il pensait être de la terraliane. Il trouva de la couvre-sol en quantité et en arracha une brassée qu'il rapporta à Naëwen. Elle examina la plante attentivement :
— Ce n'est pas tout à fait la plante que je connais, mais elle lui ressemble beaucoup.
Elle écrasa une feuille dans sa main avant d'en sentir le parfum :
— C'est étrange, elle a l'air de meilleure qualité que chez nous.
Elle prit une dizaine de feuilles qu'elle écrasa à nouveau entre ses mains avant d'en étaler la bouillie verdâtre sur sa jambe fracturée. Devant l'air surpris des jeunes hommes, elle précisa :
— C'est un remède efficace pour aider à guérir les os fragiles.
Tilou était étonné :
— Comme ça, simplement écrasé sur la peau ? Ma mère ne m'a jamais appris ça.
Naëwen regarda son atèle :
— Peut-être, mais ce qu'elle t'a enseigné est également efficace. Jamais nous ne traitons les fractures de la sorte et pourtant, grâce à toi, je suis certaine de bien me rétablir.

Le soir venu, ils s'arrêtèrent dans une auberge d'une petite ville. Naëwen toujours cachée sous sa capuche, ils s'installèrent à une table et commandèrent un repas. L'elfe ne semblait pas à l'aise. Elle observait aussi discrètement que possible tous les clients, et s'effrayait du moindre bruit. Tilou s'en inquiéta :
— Quelque chose ne va pas ?
Elle lui répondit en chuchotant :
— Je n'aime pas cet endroit. Il y a trop de monde, et ces gens ne me paraissent pas fiables. Ils se tiennent tous à l'écart les uns des autres, ils nous surveillent... Tout cela ne me dit rien qui vaille.
Alnard jeta un coup d'œil circulaire :
— Nous sommes dans une auberge. C'est toujours comme ça dans les auberges. Les gens ne se connaissent pas, alors ils restent chacun dans leurs coins. Et personne ne nous surveille, c'est juste que nous venons d'entrer, ils nous observent, c'est normal. Mais dans cinq minutes, ils nous auront oubliés. Rien d'inquiétant.
Elle interrogea Tilou du regard. Il acquiesça :
— Tout va bien, ne t'inquiète pas.

Une jeune fille vint leur servir leurs repas et Tilou lui donna quelques pièces. Naëwen observa la scène puis, lorsque la serveuse se fut éloignée, elle demanda :
— Pourquoi donnes-tu ces morceaux de métal ?
— Pour payer nos repas.
Elle ne comprenait pas :
— Mais pourquoi ? Elle ne pourra rien en faire.
Alnard soupira :
— Ça ne va pas être simple de voyager discrètement si elle ne comprend pas à quoi sert l'argent.
Tilou se montra moins acerbe. Il sortit une pièce de monnaie et la posa devant elle :
— Ceci est une pièce de monnaie. Nous sommes tous d'accord sur sa valeur. Avec, nous pouvons acheter quelque chose de la même valeur.
Elle fixa la rondelle de métal :
— Quelle étrange façon de procéder. Chez nous, il suffit de demander. Si l'autre est d'accord, il donne ce qui a été demandé, c'est tout.
Alnard était surpris à son tour :
— Comme ça, sans rien demander en échange ?
Elle le regarda comme s'il venait de dire une bêtise :
— S'il n'a besoin de rien, pourquoi demanderait-il quelque chose en échange ?
— Pour ne rien perdre, donnant donnant.
Tilou précisa :
— Qu'est-ce qui m'empêcherait de demander la même chose à dix personnes ?
— Rien, mais pourquoi aurais-tu besoin de dix fois la même chose ?
— Je pourrais amasser des biens facilement, m'enrichir sur le dos des autres.
— À quoi cela te servirait-il ? C'est idiot, puisqu'il te suffit de demander pour obtenir. Nous ne sommes qu'un seul arbre.
Alnard fixa Naëwen quelques secondes :
— Vous êtes vraiment étrange vous les elfes.
Elle lui sourit :
— Pas plus que vous. Nous sommes justes différents.

Vers la fin du repas, Naëwen interpella discrètement ses compagnons de voyage :
— Cette enfant a un comportement étrange, elle fait le tour des tables, et j'ai l'impression qu'elle prend des choses sans demander.
Alnard observa la fillette. Elle était assez trapue, vêtue de haillons, la peau pâle constellée de taches de rousseur, et une incroyable masse de cheveux couleur de feu encadrait son visage aux traits étrangement fermes. Elle semblait passer nonchalamment entre les tables, s'attardant parfois pour demander un morceau de pain. C'est alors que le jeune homme remarqua le discret mouvement de la fillette, qui plongea sa main dans une poche, pour en ressortir une petite bourse qu'elle cacha immédiatement dans un pli de son vêtement.
Il chuchota :
— Une voleuse.
La petite fille s'approcha d'eux. Elle posa une main sur l'épaule de Alnard et demanda :
— Auriez-vous la bonté de me donner un morceau de pain ? Je n'ai rien mangé depuis ce matin.
Elle paraissait porter toute la misère du monde sur les épaules. Intérieurement, Alnard salua ses talents d'actrice, mais il savait ce qui allait se passer. Aussitôt qu'elle sortit sa main de la poche du jeune homme, il l'empoigna fermement :
— Tu vas me rendre ça immédiatement sale petite voleuse.
L'espace d'un instant, la fillette eut un regard étonné qui se transforma immédiatement en un mélange de colère et d'agressivité. De sa main libre, elle saisit le bras de Alnard avec une surprenante fermeté, puis elle se tourna en se basculant vers le bas, envoyant le jeune homme rouler au sol, sans pour autant lâcher la bourse qu'elle venait de lui dérober. Elle prit aussitôt la fuite, évitant avec une grande agilité les clients qui tentaient de l'arrêter.
Alnard vociféra :
— Sale gamine !
Il se releva immédiatement et se lança à sa poursuite.
Naëwen eut une expression de stupeur :
— Ce n'est pas une enfant !
Tilou se levait déjà pour aller aider son ami :
— Qu'est-ce que c'est alors ?
Naëwen hésita une seconde avant de balbutier :
— C'est impossible !

Lorsque Alnard arriva dans la rue, la petite voleuse avait déjà disparu. Comme il l'avait vue faire, il se dirigea vers la droite en sortant de l'auberge et il courut jusqu'à la première intersection. Là, il la chercha du regard dans toutes les directions, en vain. Il allait faire demi-tour lorsqu'il aperçut un homme à l'aspect peu engageant qui venait de rejoindre d'autres hommes apparemment aussi peu fréquentables que lui. Il l'entendit dire à ses comparses :
— J'ai vu où se cache cette sale petite garce. On va aller lui donner une bonne leçon !
Alnard supposait qu'il s'agissait de sa voleuse. Comme il espérait encore pouvoir récupérer son bien, il les suivit discrètement.
Il les vit rapidement s'engager dans une petite ruelle. Il s'approcha et entendit l'un des hommes fanfaronner :
— Tu n'aurais pas dû voler Grandguy gamine. Le dernier qui a fait ça est allé nourrir les bêtes sauvages dans la forêt... Mais je crois qu'avant d'en arriver là, nous allons nous amuser un peu avec toi.
Alnard n'était pas opposé à donner une bonne leçon à cette voleuse, mais il était clair que ces hommes ne se contenteraient pas de la réprimander. Très vite, il entendit des bruits de lutte. Des coups étaient échangés, mais étrangement, les seuls cris de douleur qu'il entendit étaient poussés par des hommes.
Le bruit cessa enfin, et le chef de la bande ordonna :
— Ne la lâchez pas ! Elle va payer pour ça.
La petite poussa un grognement de rage.
Alnard s'engagea dans la ruelle à peine éclairée par la lune. Trois hommes étaient à terre, deux autres peinaient à maintenir la voleuse qui se débattait avec une force surprenante. Le sixième, qui se tenait devant elle, sortit un long couteau de son manteau :
— Si on ne peut pas dresser les animaux sauvages, il faut les tuer !
Il s'approcha de la fillette qui fit une impressionnante ruade pour le frapper des deux pieds dans l'entrejambe. L'homme s'écroula en hurlant de douleur.
L'un de ceux qui la tenaient lui décocha alors un violent coup de poing dans l'estomac. Il s'apprêtait à la frapper une seconde fois quand Alnard intervint :
— Tu ferais mieux de la lâcher !
L'homme se figea :
— De quoi tu te mêles ? Dégage de là, ce qui se passe ici te regarde pas !
— Pour tout te dire, si. Elle m'a fait les poches, et je voulais lui donner une bonne correction.
— Ben t'as qu'à attendre ton tour !
Alnard s'approcha :
— Malheureusement, j'ai bien l'impression qu'il n'y aura plus rien à corriger si je vous laisse avec elle.
— Dégage je te dis !
Alnard dégaina son épée et la lui colla sous le nez :
— Non ! Mais toi, tu vas la lâcher.
Celui qui était à terre se releva en se tenant le bas ventre. Il parla avec difficulté :
— Laissez tomber les gars ! On file !
À moitié plié par la douleur, il pointa son couteau vers la petite :
— Mais tu ne payes rien pour attendre !
Ils laissèrent tomber la voleuse à terre, récupérèrent leurs camarades toujours sonnés et disparurent dans la nuit.

Alnard s'approcha pour aider la petite à se relever, mais elle le repoussa en tentant de reprendre son souffle, roula sur le côté vers un tas d'objets hétéroclites d'où elle sortit une petite dague qu'elle pointa vers le jeune homme. Il recula d'un pas et rengaina son épée :
— Je ne comptais pas me servir de ça contre toi. Je veux juste récupérer ce que tu m'as volé.
Tilou arriva avec Naëwen qui avertit aussitôt Alnard :
— Attention, elle est plus dangereuse qu'elle n'y paraît !
Il étouffa un petit rire :
— Merci, je sais, je viens de la voir à l'œuvre.
Naëwen poursuivit :
— Ce n'est pas une enfant, c'est une naine. Ce qui devrait être impossible, les nains ont disparu depuis une centaine d'années.
La voleuse parvint à cracher dans un souffle rauque :
— Qu'est-ce que tu en sais ?
Alnard observa la voleuse plus attentivement. Il comprit alors que ses traits, étranges pour une fillette, étaient ceux d'une jeune adulte, et que son aspect trapu était simplement le fait de son âge.
Lentement, Naëwen baissa son capuchon :
— Je suis une elfe.
Pour la première fois de la soirée, Alnard vit la naine paniquer. Elle fit trois pas chancelants en arrière et pointa sa dague vers Naëwen :
— Tes semblables ont peut-être massacré les miens, mais aujourd'hui, c'est moi qui vais tuer de l'elfe.
Face à la tournure inattendue des événements, Tilou s'interposa :
— Du calme, personne ne tuera personne ce soir. Nous ne te voulons aucun mal.
Alnard bougonna :
— Du moins, si elle me rend mon argent !
Il s'avança en tendant la main. La voleuse le menaça de son arme sans pourtant parvenir à l'arrêter. Lorsqu'il fut à une cinquantaine de centimètres, il tendit à nouveau sa main :
— Si vraiment, j'avais voulu te faire du mal, tu n'aurais pas pu m'en empêcher, et j'aurais récupéré ce qui m'appartient sans te laisser le choix. Mais je préfère que ce soit ta décision.
Il la fixa avec un air déterminé :
— Rends-moi ce que tu m'as pris.
Elle hésita quelques instants :
— Je peux aussi bien te faire goûter de ma lame !
Il ne se laissa pas intimider :
— Oui, mais tu l'aurais déjà fait. Tu ne m'aurais pas laissé approcher.
Il tendit à nouveau sa main :
— J'attends.
Elle soupira, rangea sa dague et fouilla dans son vêtement avant de tendre la petite bourse de cuir :
— C'est bon, reprend là, de toute façon, il n'y a pas assez d'argent là-dedans pour que ça vaille la peine de se battre !
Alnard récupéra son bien et fit demi-tour :
— Allez, on s'en va !

Tilou avait assisté à la scène, médusé, et sans savoir pourquoi, il proposa :
— Demain, nous repartons pour Marendis. Si tu veux, tu peux nous accompagner.
Alnard et Naëwen le regardèrent abasourdis :
— Quoi ?
La naine éclata de rire :
— Moi, voyager avec une elfe ! Tu aimes vivre dangereusement !
Elle leur tourna le dos :
— Allez ! Dégagez, je dois remettre de l'ordre dans mes affaires.

En rentrant à l'auberge, Tilou demanda :
— C'est quoi cette histoire entre les elfes et les nains ?
Naëwen fixa le sol, comme si une énorme culpabilité pesait sur ses épaules :
— Il y a bien longtemps maintenant, le royaume de Tirwendel était en guerre contre le royaume des nains. Après de longues et terribles années de guerre, nos armées parvinrent à acculer les nains dans leur grotte de Rocknor. Plusieurs fois, notre roi leur a proposé la paix, en vain. Leur grotte était une véritable forteresse et il était impossible de les en déloger sans envoyer les elfes à la mort. Las de ces années de combat, Gorwindel, notre général, décida de détourner le cours d'une rivière pour noyer Rocknor. Il y parvint après deux années d'efforts. Toute la population de Rocknor fut noyée. Nos guerriers massacrèrent les rares nains qui parvinrent à en sortir par les quelques passages qu'ils croyaient secrets.
Des larmes coulèrent sur ses joues :
— Depuis ce jour-là, jamais personne ne revit de nain. Tout un peuple, toute une race avait disparu.
Elle garda le silence quelques minutes. Peu avant d'arriver à l'auberge, elle consentit à raconter la fin de l'histoire :
— Notre peuple prit conscience de sa grande faute. Nous étions tous coupables du drame qui s'était joué à Rocknor. Le roi décida de bannir Gorwindel pour son crime, mais nous savons tous, comme une évidence, qu'il nous faudra un jour expier pour notre faute et certains d'entre nous pensent sincèrement que les trolls sont l'outil de notre châtiment.
Alnard ne comprenait pas :
— Pourquoi devriez-vous tous payer pour le crime d'un seul elfe ?
— Gorwindel a pris cette horrible décision, mais personne n'a tenté de l'en dissuader. Ni les elfes placés sous ses ordres, ni notre roi, ni le conseil des sages. Nous sommes tous fautifs. Nous sommes tous un même arbre.
Tilou tenta de la réconforter :
— Il faut croire que certains nains ont réussi à fuir, puisque nous venons d'en rencontrer une.
Elle lui sourit tristement :
— Cela ne saurait absoudre le crime que nous avons commis. Ces nains sont morts et rien ne pourra jamais effacer cela.

Après une mauvaise nuit, Tilou, Alnard et Naëwen quittèrent la ville à bord de leur carriole. Tilou regardait souvent en arrière :
— Que croyez-vous qu'il va lui arriver ?
Alnard haussa les épaules :
— Elle va certainement continuer à voler des gens... mais peut-être que l'incident d'hier soir va la faire réfléchir. Elle devrait être plus prudente à l'avenir.
Naëwen était songeuse :
— Ces hommes, que voulaient-ils lui faire ?
— Rien de bon. Elle a bien failli se faire tuer.
— Crois-tu qu'ils la laisseront tranquille ?
— Je ne pense pas. Mais elle sait se défendre et puis, on ne pouvait tout de même pas la forcer à venir avec nous.
Tilou n'était pas tout à fait du même avis :
— J'aurais dû insister. Elle sera toujours en danger si elle reste là-bas.
— Je crois bien que tu as raison !
Ils se retournèrent tous les trois. Une petite silhouette se découpait dans la lumière du soleil levant, avec une masse de cheveux couleur de flammes :
— Ces balourds m'ont cherché toute la nuit. Il était temps que je quitte ce trou à rat.
Elle jeta un baluchon dans la carriole :
— Et puis, je suis curieuse de savoir comment l'elfe va se faire occire à Marendis. J'ai cru comprendre que les humains n'aiment pas trop ces gens-là.
Naëwen lui répondit avec un regard noir que la naine ignora. Elle poussa Alnard sans ménagement pour s'asseoir à côté de Tilou :
— Tu as dit que personne ne me voudrait du mal. C'est vrai ?
Elle montra Naëwen et Alnard qui semblaient déjà ne plus la supporter :
— Les elfes ne sont pas connus pour être les amis des nains, et les nains détestent les elfes. Quant au grand dadais, j'ai plutôt l'impression qu'il m'en veut beaucoup.
Alnard s'emporta :
— Je ne te tuerai pas si c'est ce que tu veux savoir, mais je m'autorise encore à te donner la bonne correction que tu mérites !
Elle lui sourit en le provoquant :
— Tu peux toujours essayer si tu t'en crois capable !
Il la foudroya du regard.
Naëwen se contenta de répondre :
— Le peuple elfe porte la responsabilité de la tragédie des nains. Alors, tu as ma parole, je ne te ferai aucun mal.
Elle hésita un peu, mais n'ajouta rien, alors la naine termina la phrase de l'elfe :
— Mais de là à me faire confiance, faut pas rêver, n'est-ce pas ? Ça me va. De toute façon, seul un fou peut accorder sa confiance à un elfe.
Elle éclata de rire :
— Je suppose que tu dois penser la même chose concernant les nains. Nous avons déjà ça en commun.
Elle s'étira :
— Je sens qu'on ne va pas s'ennuyer avec vous.
Elle mit une tape sur l'épaule de Alnard qui crut qu'elle lui avait démis un os :
— Moi, c'est Rulna !

 

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