Les cendres de Tirwendel - Chapitre XXVII
XXVII
La bataille de Tirwendel
avait commencé depuis trois jours maintenant. Les premières lignes des
elfes étaient facilement tombées, comme l'avait prévu Ort'Kan, mais la
veille déjà, les créatures sylvestres s'étaient adaptées et chaque
nouvel arbre pris avait coûté la vie de nombreux trolls.
Les
premiers rayons du soleil commençaient à traverser la canopée. Shack'Gan
attendait le signal de l'attaque à côté de Lak'Mor. Le jeune guerrier
avait, lui aussi, remarqué à quel point les combats de la veille avaient
été éprouvants :
— Encore trois guerriers de mon clan sont morts
hier. Ce n'est finalement pas aussi facile que ce qu'on nous avait dit.
On y a cru les deux premiers jours, mais là, je me demande si nous en
finirons un jour.
Le mage observait attentivement l'arbre qu'on lui
avait assigné. Il avait déjà repéré six emplacements d'où les archers
elfes se préparaient à tirer :
— Ils semblent plus nombreux.
Lak'Mor avait aussi cette impression, mais il ne comprenait pas comment
les elfes avaient pu réussir une telle prouesse. Shack'Gan lui donna son
avis :
— Le premier jour, les combats ont été difficiles, mais nous
en avons tué un bon nombre. Le lendemain, nous avons progressé beaucoup
plus vite, beaucoup y ont vu un signe de faiblesse des elfes. Mais
hier, ils nous ont tenu tête. Je crois qu'ils se sont repliés sur le
centre, en ne laissant que quelques archers en périphérie pour nous
retarder.
Lak'Mor soupira :
— Il faut croire qu'ils ont encore envie de se battre.
— Ils savent ce qui les attend s'ils venaient à abandonner. Ort'Kan ne
leur a laissé aucun doute à ce sujet. Combien d'entre eux ont été
massacrés après les combats ? Tant qu'à mourir, mieux vaut que ce soit
comme combattant plutôt que comme esclave.
Des
bruits de percussion retentirent dans la forêt. L'assaut était lancé.
Lak'Mor se rua sur le tronc le plus proche, prenant garde à éviter les
tirs meurtriers, pendant que Shack'Gan lançait des boules de feu sur les
postes défensifs afin de les réduire au silence. Une flèche vint
s'abattre à ses pieds. Il releva la tête et aperçut trois elfes sur une
branche basse. Il leur répondit avec des pics de glace. Deux d'entre eux
tombèrent, le troisième, touché lui aussi, parvint à se replier vers le
tronc.
Une fois les défenses anéanties, Shack'Gan s'attaqua aux
passerelles basses menant aux arbres voisins. Rapidement, un guerrier
lui fit signe qu'il pouvait monter dans l'arbre en sécurité, afin de
détruire les ponts de cordes situés plus haut.
Comme
la veille, les non-combattants avaient évacué l'arbre bien avant le
début de l'assaut. Les derniers archers elfes évacuèrent vers l'arbre
voisin en se lançant dans le vide, accrochés à une liane. Certains
guerriers tentèrent de les arrêter avec leurs sarbacanes aux dards
empoisonnés, avec peu de résultats.
Shack'Gan s'approcha alors
autant que possible de l'arbre suivant et il commença à en éliminer les
archers, permettant aux guerriers de se lancer à nouveau à l'attaque.
À
la fin de la journée, la horde avait presque atteint les objectifs
fixés par Ort'Kan. Le roi s'en félicita lors du conseil de guerre :
— Il ne reste plus qu'une vingtaine d'arbres à conquérir. Demain, Tirwendel sera à nous !
Les chefs de guerre poussèrent un cri de victoire, mais Rol'Taar était dubitatif :
— Je viens encore de perdre dix guerriers aujourd'hui. Comment peux-tu
être certain que nous réussirons à prendre ces vingt arbres ? Les elfes
ne nous laisserons certainement pas faire !
Le Noiraud chuchota à l'oreille du roi qui se pencha ensuite vers Rol'Taar :
— Tirwendel sera à nous bien avant que nous ne mettions les pieds sur
ces arbres. Mais pour cela, demain, l'assaut devra être lancé sans le
soutien des mages.
Les chefs de guerre protestèrent, mais le roi leva la main et tous se turent :
— Cet assaut devra être aussi massif que possible, afin d'attirer les
elfes sur des arbres bien précis. Il nous suffira alors d'isoler ses
arbres des autres pour nous débarrasser des défenseurs. Pendant ce
temps-là, un petit groupe de guerriers en qui j'ai toute confiance ira
frapper au cœur de la cité, pour en couper la tête. Plus tard, nous
pourrons prendre notre temps pour éliminer les dernières poches de
résistance.
Le
lendemain, à l'aube, tous les mages réunis créèrent un manteau de
brouillard, suffisamment épais pour permettre aux guerriers de Zol'Kor
de s'approcher de l'arbre central sans être vus. Dans le silence pesant
qui précédait les combats, Shack'Gan entendait les elfes inquiets qui
s'échangeaient des ordres contradictoires. Il en déduisait que cette
nouvelle tactique avait au moins le mérite de déconcerter les elfes.
Lorsque les percussions se firent entendre, d'une seule voix, toute la
horde poussa un terrible cri de guerre, et l'assaut fut lancé. Six
arbres avaient été minutieusement choisis comme cibles de l'attaque, car
ils étaient d'une importance capitale pour les elfes, comme lieux de
stockage, comme point de défense avancée, ou encore comme point de
passage obligé pour circuler dans la cité.
Les trolls se lancèrent à
l'attaque en masse compacte. Les archers elfes firent tomber une pluie
meurtrière de flèches qui força les guerriers à reculer avant de tenter
un nouvel assaut.
Caché dans la brume avec trois autres mages,
Shack'Gan remarqua l'afflux de combattants elfes sur l'arbre cible le
plus proche de lui. Le plan fonctionnait comme l'avait prévu Ort'Kan.
Lorsque l'afflux d'elfes cessa, les mages entreprirent la destruction
systématique des passerelles qui conduisaient à cet arbre, piégeant sur
ses branches un nombre considérable d'archers.
Lorsque l'arbre fut
isolé, l'un des mages projeta une boule de feu à la verticale. Bientôt,
cinq autres boules incandescentes s'élevèrent dans les airs, signe que
la première phase du plan était achevée. Les guerriers reculèrent alors
pour se mettre hors de portée des flèches ennemies, et chacun attendit,
espérant le succès de la seconde phase du plan.
En milieu de journée, des bruits de percussion retentirent, aussitôt suivis par une clameur de victoire. Zol'Kor avait réussi ! La guerre était terminée ! Certains guerriers provoquèrent alors les elfes en bombant le torse et en poussant des cris rauques. Les archers répliquèrent par quelques tirs sans conséquence. La plupart des trolls cependant n'exprima que de la joie et de la fierté. Shack'Gan constata que peu d'entre eux eurent une pensée pour tous ceux qui étaient encore tombés au combat aujourd'hui.
Le
soir même, le roi des elfes et toute sa suite furent amenés pieds et
poings liés devant Ort'Kan, sous les huées d'une bonne partie de la
horde. Les guerriers de Zol'Kor forcèrent les elfes à s'agenouiller
devant le roi des trolls qui s'approcha d'eux :
— Elfes de Tirwendel
! Il est inutile de poursuivre votre lutte, la guerre est terminée !
Votre roi se traîne à mes pieds ! Constatez votre défaite !
Pour
toute réponse, une flèche fendit l'air dans sa direction. Un guerrier
vint s'interposer, alors que trois mages répliquèrent par le feu et la
glace. Un elfe tomba de l'arbre le plus proche, aussitôt capturé par
trois guerriers. Il avait le bras droit brûlé et il boitait mais, amené
devant Ort'Kan, il affichait pourtant un sourire provocateur :
—
Désolé, votre altesse, je vous ai manqué de peu, mais accordez-moi une
autre chance et je vous montrerai toute l'étendue de mes talents.
Zol'Kor le força à se baisser :
— Agenouille-toi devant notre roi !
L'elfe tenta de résister, mais il finit par plier sous la poigne du
guerrier, jusqu'à mettre un genou à terre. Lorsque Zol'Kor le lâcha,
l'elfe porta la main à sa botte, releva la tête et bondit vers Ort'Kan,
prêt à frapper. Un violent coup de masse du guerrier le plus proche
l'écrasa au sol dans un sinistre bruit d'os cassés. Ort'Kan s'approcha,
ouvrit la main de l'elfe, toujours conscient mais incapable de bouger,
et récupéra la longue aiguille enduite d'une substance huileuse. Le roi
des trolls saisit l'elfe par la tête et le souleva bien haut, afin que
tous, trolls et elfes encore dans leurs arbres, puissent le voir :
— Voici ce qui arrive à ceux qui veulent me résister !
D'un coup violent, il enfonça l'aiguille empoisonnée dans le torse de
l'assassin qui fut rapidement parcouru de spasmes avant de mourir, un
filet de bave rougeâtre aux lèvres. Ort'Kan lança le cadavre en
direction de l'arbre dont il venait :
— Que l'on m'amène tous les elfes qui se trouvent là-haut !
Dans
un cri de rage, une centaine de guerriers monta à l'assaut du grand
chêne. Il y eut peu de résistance, car les combattants étaient piégés en
périphérie. Une cinquantaine d'elfes furent brutalement amenés devant
le roi des trolls. Il n'y avait que des mères et leurs enfants. Toujours
agenouillé, le roi des elfes supplia Ort'Kan :
— Ne leur fait rien ! Ils n'y sont pour rien. Fais de moi ce que tu voudras, mais épargne mon peuple.
Le roi des trolls s'approcha de lui :
— Ne t'inquiète pas, nous ne sommes pas des bêtes quand même.
Il se tourna ensuite vers Zol'Kor :
— Emmenez les enfants et tuez les autres !
Les masses s'abattirent aussitôt sur les mères, sous les yeux horrifiés des enfants, du roi des elfes et de sa suite.
Plus
tard dans la nuit, les prestigieux prisonniers furent emmenés dans une
tente et attachés à des poteaux solidement fixés dans le sol, le roi des
elfes faisant face à sa compagne, ses enfants et ses généraux.
Lorsque tout se fut apaisé, une frêle silhouette cachée sous un long
manteau noir s'engouffra dans la tente. Cet étrange personnage fit trois
fois le tour des prisonniers, sans un mot. N'y tenant plus, l'un des
généraux l'interpella :
— Qui es-tu et que veux-tu ?
La capuche noire se tourna vers lui :
— Il m'a fallu beaucoup de temps et d'énergie pour en arriver à ce
moment. Demain, vous serez exécutés et j'aurai enfin ma revanche !
Le roi était surpris. Il était certain de connaître cette voix, mais elle semblait provenir de la nuit des temps :
— Répond à la question ! Qui es-tu ?
Le Noiraud vint se planter devant le souverain déchu :
— Tu sais qui je suis ! Je viens simplement te prendre ce qu'un jour, tu m'avais promis !
Il releva légèrement sa capuche pour laisser la lumière baigner son
visage. Estomaqué, le roi mit quelques secondes à demander :
— Toi ! Mais pourquoi ?
Le noiraud rebaissa sa capuche :
— Tu sais parfaitement pourquoi !
Il passa derrière la fille du roi et lui glissa un mot à l'oreille.
Elle eut à peine le temps de comprendre avant qu'il ne lui tranche la
gorge, malgré les suppliques de ses parents.
Le noiraud se dirigea ensuite calmement vers la sortie, mais il se retourna juste avant de franchir le seuil :
— Ne vous inquiétez pas pour elle, vous la rejoindrez demain. Je tenais
simplement à ce que vous sachiez à qui vous devez votre perte et
pourquoi. Ma vengeance n'aurait pas eu la même saveur sans cela.
Il fit demi-tour et juste avant de disparaître dans la nuit, il lâcha :
— Je vous souhaite une bonne nuit.
Le lendemain, aux premières lueurs de l'aube, le roi des elfes fut montré au pied des six arbres où étaient piégés ses archers. À chaque fois, Zol'Kor ordonnait aux elfes de se rendre. La réponse lui vint systématiquement par une volée de flèches. Zol'Kor s'en retourna vers l'arbre central où la famille du roi et ses généraux attendaient. Chacun était fermement maintenu par deux trolls, un troisième se tenant derrière une lame de silex en main. Ort'Kan attendait assis sur le trône du roi des elfes. Il leva le bras en direction des prisonniers et les bourreaux les exécutèrent immédiatement, sous les yeux de leur souverain, que Zol'Kor égorgea peu après.
La horde poussa un long cri de victoire qui résonna dans toute la forêt.
Comme à chaque fois, Shack'Gan réprouva cette exécution inutile, mais
en constatant la liesse qui régnait chez les guerriers, il comprit que
personne ne serait prêt à l'écouter. Quelque chose dans l'attitude du
Noiraud attira son regard. L'étrange créature semblait exulter, la tête
tournée vers le cadavre du roi des elfes. Soudain, pour la première
fois, il sentit l'énergie sombre et froide qui émanait de lui. La
capuche sombre se pencha vers le roi des trolls qui acquiesça avant de
faire approcher Zol'Kor:
— Les elfes se sont-ils rendus ?
— Non.
— Très bien, nous allons convoquer un dernier conseil de guerre.
Le noiraud se détendit alors, l'air satisfait. Une question étrange,
insidieuse s'imposa dans l'esprit du mage : Ort'Kan était-il sous
l'emprise du Noiraud ?
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