Litak du clan de la Forêt Sombre - Chapitre XXII

 

XXII

Il allait bientôt faire nuit. Elle ne saurait dire combien de temps ils avaient marché, mais ses jambes étaient lourdes, elle avait soif et faim. Les rafleurs les avaient conduits vers un nouvel éperon rocheux qu'ils escaladaient avec peine. Manouba n'en pouvait plus et chacun se relayait pour l'aider à avancer. Devant elle, Litak remarqua une petite pierre plate aux arêtes vives. Elle trébucha et tomba lourdement au sol. Un rafleur s'approcha, la frappa du pied dans les côtes et la releva de force.
— Marche le monstre ! Seuls les morts pourront arrêter de marcher !
Elle se releva à grand-peine et reprit sa marche en boitant, la main sur ses côtes.
L'homme ne put s'empêcher de se venter auprès de ses compagnons.
— J'vous l'avais bien dit qu'elle ferait moins la maline quand elle aurait soif !
— Ouais, ben j'la sens pas quand même. J'srais plus à l'aise quand elle s'ra crevée.
— T'inquiète pas elle peut plus faire de mal. Et puis, Halbair va se faire un plaisir de la dresser. Il adore quand elles se rebiffent, mais il finit toujours par les briser.
— Ouais, ben la dernière fois, l'a tellement brisée qu'elle est morte. Trois jours à lui balancer des coups. Y pouvait plus la vendre de toute façon. L'était trop amochée.
— Y s'en fichait. Lui ce qu'il aime, c'est de leur cogner dessus et avec elle, y va certainement pas se priver.
— J'suis prêt à l'aider si y veut !
— On l'est tous !
Ils se mirent à rire. Pour la première fois, elle prit réellement conscience de l'horreur dont ces hommes étaient capables et cela la terrorisait.
Siléa avait assisté à la scène. Elle avait déjà remarqué que Jodor la couvait d'un regard malsain et s'interrogeait sur ses intentions, mais elle était horrifiée par ce qu'elle venait d'entendre et elle lança un regard désolé et compatissant à Litak. Celle-ci, surprise par son attitude, ne sut que faire et se contenta de cacher du mieux qu'elle put la pierre qu'elle avait ramassée.

À la nuit tombée, Halbair décida enfin de stopper la colonne au pied de la montagne. Il faisait froid et Litak ne devinait la montagne que par la forme noire qui se détachait sur le ciel étoilé. Au loin, elle entendait de l'eau couler, mais elle avait appris que les bruits se répercutaient d'une paroi rocheuse à l'autre et elle n'aurait su dire dans quelle direction aller pour la trouver. Le sol était de terre et d'herbes sèches. Elle se félicita d'avoir récupéré sa pierre et comptait bien s'en servir ce soir. Une telle obscurité lui semblait en effet propice à une évasion. Elle espérait que l'occasion se présenterait cette nuit.

Les rafleurs regroupèrent les orques sans ménagement. Maniléa, la petite sœur de Siléa fut bousculée et ne parvint pas à se rétablir à cause de ses entraves aux chevilles. Elle chuta lourdement, ce qui semblait amuser les hommes. Un rafleur, plus jeune que les autres, l'aida à se relever, avec douceur. Litak trouva cette attitude surprenante.
— Eh Farabert ! Pas besoin de leur faire la cour à ces animaux, y a qu'à se servir. Mais Halbair te laissera pas la belle marchandise. Tente plutôt ta chance avec les vieux croûtons !
Les autres éclatèrent de rire. Le jeune rafleur regarda Maniléa dans les yeux.
— Pardon.
Il avait dit cela si bas que Litak crut l'avoir imaginé, mais elle ressentit une tristesse certaine chez lui. Elle vit que la jeune orque était aussi surprise qu'elle.

Farabert rejoignit les siens et les hommes allumèrent un grand feu autour duquel ils vinrent se réchauffer, manger et boire, pendant que cinq rafleurs gardaient les orques à distance du feu, afin de les affaiblir encore.

Litak vint s'asseoir près de Lazaée qui était prise de tremblements nerveux.
Mais qu'est-ce qu'ils veulent faire de nous ? Certains d'entre eux, surtout le second, me regardent bizarrement, ça me fait peur.
Litak avait une idée assez précise de leurs intentions : les revendre comme esclaves, après les avoir « dressés ». Et ce dressage risquait de s'avérer fatal. Elle ne pouvait le dire à son amie, il fallait qu'elle tienne encore, au moins cette nuit. Elle se contenta donc de la prendre dans ses bras pour la réconforter. Iloée, la mère de Lazaée, vint à son tour pour la rassurer. Kratak, son petit frère, encore trop jeune pour être un novice, faisait de gros efforts pour ne pas monter sa peur, mais Litak sentait qu'au fond, il était aussi effrayé que sa sœur. Elle se demanda un instant si Ograk et lui seraient capables d'affronter les rafleurs au besoin, mais elle finit par renoncer à cette idée. Ils mourraient avant d'avoir pu faire du mal aux rafleurs combattants. Elle se tourna vers Xartak. Il restait muré dans son silence. Il n'avait pas été blessé dans l'attaque du clan, mais à l'intérieur, il était brisé.

La plus jeune des filles d'Urtak pleurait.
Maman, j'ai faim.
Banaée la serra dans ses bras et la berça doucement.
Je sais ma chérie, je sais...
Ils n'avaient reçu ni eau, ni nourriture. Apallog, affamé, se mit à geindre, bientôt imité par Inaée. Un rafleur armé d'une trique s'approcha, prêt à les frapper. Litak se leva pour s'interposer, mais Farabert s'approcha.
— Va pas leur taper dessus, y feront encore plus de bruit après.
— Peut-être, mais ça m'énerve tous ces grognements.
— Ben alors, si tu les frappes, tu seras encore plus énervé après, ça sert à rien.
Il resta là immobile, le bras levé.
— Saleté de bestioles...
Et il s'éloigna, frappant un rocher au passage. Litak observa Farabert. Elle n'avait pas encore eu l'occasion de s'en approcher et ne savait donc pas à quoi s'en tenir à son sujet. Il était plutôt jeune, de taille moyenne pour un homme. Ses vêtements étaient usés, presque en haillons. Il n'était armé que d'un gourdin et d'un petit couteau. Visiblement, il n'était pas combattant. Elle se concentra sur ses émotions. Il ne laissait filtrer aucune animosité envers elle, juste une sorte de culpabilité dont elle était incapable de comprendre l'origine, mais qui la laissa perplexe.
Elle lui fit un signe de tête en guise de remerciement, auquel il répondit par un sourire. Elle lui montra Apallog et Inaée et elle mima l'action de manger. Il haussa les épaules, l'air triste et s'en retourna vers les siens.

Litak ne savait que penser de cet homme-là. Peut-être n'était-il pas si mauvais que les autres, mais comme disait toujours Corg, il était impossible de se fier à un humain.
Elle se rapprocha d'Anala qui tentait de calmer Inaée en la berçant dans ses bras.

Chut, calme-toi ma chérie.
Mais j'ai faim, j'ai soif et je veux rentrer chez nous !
Je sais, mais nous ne pouvons pas.
Litak montra sa pierre à Anala, qui ne comprit pas où elle voulait en venir.
Je vais essayer de nous enlever ces liens et nous tenterons de nous enfuir dans la montagne. De nuit, ils ne devraient pas réussir à nous retrouver.
Anala regarda en direction des hauteurs.
Mais ils nous poursuivront le jour venu.
Je ne crois pas, leur chef a l'air de vouloir partir vite, je crois qu'il craint l'arrivée des guerriers.
Anala réfléchit un instant.
Tu as raison, il faut tenter notre chance.

Litak commençait à trancher ses liens, mais la corde était plus résistante que prévu. Le jeune rafleur s'approcha.
— Eh, la protectrice !
Litak sursauta. Elle était concentrée sur ses liens et ne l'avait pas entendu arriver.
— Voilà un peu d'eau pour vous et du pain pour les deux petits.
Elle se retourna et après un instant à se demander s'il avait deviné ce qu'elle faisait, elle s'approcha lentement, prit l'outre et le pain qu'il lui tendait et refit le signe de tête de remerciement. Il lui répondit cette fois par un sourire plus franc, fit un clin d'œil et plaça son index sur sa bouche. Elle ne sut trop ce qu'il voulait dire, ni ce qu'il avait compris, mais elle pensa que de toute façon, les orques avaient intérêt à se faire oublier s'ils voulaient avoir une chance de s'enfuir. Après un dernier regard échangé, il s'en retourna vers les siens.
L'outre était bien remplie et chacun put en boire une gorgée. Les plus petits se partagèrent le pain, ce qui calma enfin Apallog, qui s'endormit dans les bras de Mélinia.

Litak se remit à trancher ses liens, tout en gardant un œil sur les humains. Elle ne tenait pas à se faire surprendre une nouvelle fois. Ceux qu'elle avait identifiés comme des combattants s'étaient groupés et les autres gravitaient autour, mais n'étaient jamais vraiment acceptés dans le groupe. Légèrement à l'écart, Farabert semblait tenir compagnie aux glapis laineux et ne s'approchait jamais des autres. Elle repensait à ce que venait de lui dire le jeune rafleur. Il l'avait appelée « la protectrice », pas le monstre, la tueuse, l'affreuse ou encore l'horreur comme les autres rafleurs. Il y avait donc un homme parmi ces rafleurs qui semblait avoir une bonne opinion d'elle... Elle aurait bien aimé trouver comment en tirer avantage, mais elle n'avait pas le temps d'y penser.

Elle se libéra enfin de ses entraves et commença à libérer Anala.
Je vais couper vos cordes, mais ne faites pas de bruit, ils ne doivent pas s'en apercevoir.
Elle avait pris le coup de main et la corde céda plus vite. Elle libéra ensuite Inaée, Mélinia et Torx, son aîné de quatre ans, puis Lanée et sa fille Miméa. Elle s'approcha de Ziléa et commença à trancher ses liens. Un rafleur qui les surveillait s'approcha plus près. Litak, paniquée, s'arrêta et fit mine de réconforter la compagne du second. L'homme s'éloigna et elle reprit son œuvre. Ménia s'approcha à son tour.
Libère en priorité les enfants, ils sont l'avenir du clan.
D'accord.
Elle libéra donc Ograk et Lazaée qui se trouvait à côté. Puis commença à couper les liens de Siléa. Le rafleur, qui suspectait quelque chose, s'approcha à nouveau. Litak cessa son activité sur le champ, mais l'homme vint jusqu'à elle. Il lui saisit le poignet et constata avec surprise qu'elle était détachée. Il n'eut pas le temps de donner l'alarme. D'un mouvement circulaire, elle le frappa à la gorge. Il porta les mains à son cou et s'écroula en émettant un horrible gargouillis. Un second rafleur avait assisté à la scène. Il donna l'alarme. Elle se dépêcha de libérer son amie.
Fuyez ! Vite !

Les orques libérés se levèrent en même temps et se précipitèrent vers l'obscurité, les mères portaient les plus petits. Les premiers rafleurs accouraient déjà, les autres, encore à moitié endormis, ne tarderaient plus.

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