Litak du clan de la Forêt Sombre - Chapitre X

 

X

Sharle avait arpenté les sous-bois durant toute la matinée et il n'avait abattu qu'un tripuk. Piètre résultat, mais il aurait quand même de quoi manger pendant deux jours. Il était à la recherche de racines et de légumineuses pour compléter son repas et ses recherches l'avaient mené vers l'amont, à la lisière de la forêt. Le soleil jaune commençait à descendre dans le ciel, lorsqu'il trouva enfin des racines de rétane, longues, jaunes, juteuses et légèrement sucrées. Il en déterra quelques-unes, les fourra dans sa sacoche et il entama le trajet du retour, en suivant un petit ruisseau. Il nota l'emplacement, car il n'était pas encore venu jusqu'ici, mais l'endroit regorgeait de rétanes et il pourrait lui venir l'envie d'en récolter à nouveau.

Au bout d'une centaine de mètres, il reconnut des plantes aromatiques. Il allait en cueillir quelques pieds pour agrémenter son repas, lorsqu'il perçut le hurlement de douleur et l'angoisse qui suivit. Seuls les orques pouvaient lancer un tel appel de détresse silencieux. Et il était le seul humain qui puisse le percevoir. L'appel venait de l'amont, probablement au-delà de la forêt. Il abandonna ses proies et se précipita.

Lorsqu'il sortit enfin de l'ombre des arbres, il aperçut une jeune orque assise à terre près d'un bosquet de frouges. Son visage exprimait la douleur puis la frayeur lorsqu'elle l'aperçut. Il fut surpris de trouver là, seule, une orque aussi jeune. Il s'approcha lentement, en essayant de la calmer par des mots rassurants. Constatant qu'elle ne comprenait pas, il pensa qu'elle provenait d'un clan et non de Valfond, ce qui l'étonna encore davantage. Il l'observa attentivement, il vit que son pied était pris dans un piège à mâchoires. Il lui fallait la libérer rapidement, avant qu'elle ne se blesse plus gravement en essayant de se dégager. Il déposa au sol son arc et sa sacoche et s'avança vers elle, mains tendues, paumes en avant en signe de bonnes intentions. Il était à quelques mètres et elle était paniquée. Il pensa alors qu'elle n'avait encore jamais vu d'homme. Il allait se baisser pour essayer de débloquer le piège, lorsqu'il fut percuté par une masse verte. Emporté par le choc, il roula sur le côté, essaya de se rétablir pour voir son agresseur et fut à nouveau percuté. Cette fois, il put saisir un bras et en le tirant, il parvint à faire tomber son adversaire, qu'il trouva bien léger et à le faire rouler face contre terre. Sharle bloquait son opposant au sol à l'aide d'un genou et maintenait d'une main son bras dans le dos. Malgré les ruades pour se dégager, l'agresseur était maîtrisé. Sharle dégaina sa dague et il sentit la panique des deux orques à son comble. Il planta son arme au sol, bien en vue des orques, puis il dit le plus doucement possible :
— Maintenant, je vais te relâcher et je vais libérer ton amie de ce piège. Je ne vous veux aucun mal. Est-ce que tu me comprends ?
— Oui.
— Bien, je te relâche. Si tu veux, tu peux prendre ma dague pour protéger ton amie au cas où je ne tiendrais pas ma parole.
Il perçut la surprise de son interlocuteur. Il le libéra et celui-ci roula sur le côté, saisit la dague et la pointa aussitôt vers l'homme. Sharle put enfin observer son adversaire. Il avait cru à un tout jeune orque, mais ce qu'il avait en face de lui n'était ni orque, ni humain, ou plutôt, un heureux mélange des deux. Une jeune métisse, la première qu'il n'ait jamais vue et jamais il n'aurait pensé cela possible. Elle avait un visage ovale, bien proportionné, des grands yeux vert émeraude et un petit nez très humain. Comme les orques, elle avait des cornes dans le prolongement des arcades sourcilières et une crête, qu'elle avait déployée en signe de menace, mais plus petites que chez une orque. Sa peau était vert pâle, lisse et sans écailles et sous son vêtement, Sharle devinait les deux bosses d'une petite poitrine humaine dont ne disposaient pas les orques.

Passé l'instant de surprise, Sharle repris :
— Maintenant, je vais m'approcher de ton amie pour la libérer. Est-ce que tu es d'accord ?
— Oui.
Elle tendit des deux mains la dague vers l'homme et d'un petit geste, elle lui fit signe de s'approcher de Zanéa.
— Peux-tu lui expliquer ce que je vais faire et lui demander de rester calme.
Elle fit oui de la tête et Sharle put percevoir ce qu'elles se disaient.

Tu as compris ce qu'il disait ?
Oui, mais tu crois qu'on peut lui faire confiance ? C'est peut-être un rafleur.
Je ne sais pas s'il est digne de confiance. Mon père m'a toujours dit qu'il fallait être fou pour croire les paroles d'un homme, mais il m'a donné son arme. Et puis, on n'a pas vraiment le choix. Je n'ai pas réussi à ouvrir cette chose, peut-être que lui le pourra.
Qu'il fasse vite alors ça fait vraiment très mal.
D'accord.
Elle se tourna vers Sharle :
— D'accord, tu peux la libérer, mais si tu essaies de nous tromper, je me sers de ça.

— Bien.

Il fit quelques pas pour s'approcher de la jeune orque, qu'il put observer plus attentivement. Elle était très belle, même pour les yeux d'un humain. Un visage ovale, légèrement pointu vers le menton, des grands yeux en amandes, les iris dorés avec des petits éclats verts, les pupilles resserrées en fines fentes verticales, un nez d'orque, épaté dont les narines n'étaient pas marquées, des pommettes légèrement saillantes, des petites cornes aux courbes douces. Sa peau aux petites écailles rondes était verte, avec des reflets bleus irisés. Elle semblait plus grande que d'habitude pour une orque, fine et gracieuse. Elle était prise dans le piège juste au-dessus de la cheville. L'articulation était donc préservée, mais elle s'était débattue et elle avait une entaille au niveau des mâchoires mécaniques. Il repéra le système de blocage et allait le libérer, lorsqu'il entendit une voix clairement humaine :
— Laisse ça ! Ces bêtes sont à moi ! Ce sont mes pièges, sale petit voleur !

Sharle s'excusa auprès de Zanéa, puis il se releva et fit face au nouveau venu. Il était plutôt petit, trapu, sale, le visage mangé par une barbe négligée. Ses vêtements étaient confortables, mais usés et de style bellandais. Il était armé d'une pique, dont la pointe de métal était rouillée, mais néanmoins dangereuse. Il portait en outre une courte épée comme en utilisaient les troupes auxiliaires de Garmond durant sa désastreuse aventure dans les territoires du Nord. Un havresac d'où pendaient des cordages complétait son équipement.
— Saches que tu es sur les terres de Valfond. Ici les esclavagistes sont punis de mort. Tu peux encore t'en aller avant qu'il ne soit trop tard.
— Tu crois que tu me fais peur, t'es même pas armé. C'est pas un blanc-bec comme toi qui me fera reculer. Celle-là –il pointa Zanéa du menton– vaut une petite fortune. Ce monstre-là –il désigna Litak– est juste bon à saigner sur place. Personne n'en voudrait. Alors, tu peux te tirer avec ça, mais la bête que j'ai capturée est à moi !

Litak fut surprise de percevoir des émotions venant de cet homme. Peur, excitation, arrogance. Elle ne comprenait pas tous les termes utilisés, mais le ton, la gestuelle et surtout le dégoût qui suintait du rafleur lorsqu'il parla d'elle, lui firent l'effet d'un coup à l'estomac. Elle resta figée un instant, puis, réalisant ce qu'il avait dit, elle se jeta sur lui, dague en avant, sans que Sharle puisse réagir. Le rafleur lui asséna un violent coup de hampe à l'abdomen qui la cloua sur place. Elle s'écroula à genoux. Il allait la transpercer de sa pique, mais Sharle détourna le coup de son bras.
— Je suis Sharle de Valfond ! Je t'ordonne de quitter mon territoire ! Ici les orques sont des citoyens libres, pas des esclaves, encore moins des animaux. Pars d'ici et n'y reviens plus, où tu seras condamné à mort pour tes fautes.
— Jamais sans ma prise !
L'homme se recula, pointa sa pique sur Sharle et il chargea. Sharle esquiva en tournant sur lui-même. L'homme emporté par son élan passa à côté de lui et reçut un coup de coude derrière la nuque qui le fit trébucher. Sa pique se ficha en terre et la hampe se brisa. De rage, le rafleur dégaina son épée et chargea à nouveau, tenant son épée à deux mains levée au-dessus de sa tête. Sharle saisi les poings de son adversaire, plaça un pied sur son ventre et se laissa rouler en arrière pour le projeter par-dessus lui. Continuant sa roulade, Sharle se releva et vit tomber le rafleur tête la première dans le bosquet de frouges. Un claquement métallique se fit entendre. Le corps du rafleur fut parcouru de spasmes et tout fut terminé. Sharle s'approcha et constata qu'il était tombé sur un de ses propres pièges, qui s'était refermé autour de son cou. Tout était fini.

Sharle se tourna alors vers Zanéa, débloqua le mécanisme du piège et libéra la jeune orque. Il observa la blessure. Rien de grave, mais elle risquait d'avoir du mal à marcher pendant quelques jours et il fallait éviter l'infection de la plaie. Il se tourna ensuite vers Litak qui s'était relevée, mais avait toujours du mal à récupérer son souffle. « Merci » dit-elle, toujours pliée en deux, les mains à son abdomen. Il lui demanda de veiller sur son amie, pendant qu'il cherchait des plantes. Il déterra des racines de la plante que Litak avait utilisée pour tresser ses paniers, les lava dans le ruisseau ainsi qu'un galet et une pierre plate. Un peu plus loin, il trouva des petites fleurs blanches. Il en cueillit une poignée.
Il revint vers les deux amies et commença à broyer les racines auxquelles il ajouta les pétales de fleur.
— Les racines, c'est pour éviter que la plaie ne s'infecte, les fleurs, c'est pour calmer la douleur. Litak traduisit. Les deux amies semblaient déjà moins nerveuses, mais Sharle sentait encore de la méfiance, principalement de la part de la petite métisse. Le baume apaisa la douleur de la blessure et Zanéa se détendit. Litak ramassa les paniers de frouges, elle aida la jeune orque à se relever.
— Merci pour ton aide, mais nous devons rentrer maintenant.

Elles firent quelques pas en direction de l'éperon rocheux, mais Zanéa boitait et se crispait à chaque fois qu'elle posait son pied au sol. La nuit allait bientôt tomber et Sharle, voyant qu'elles voulaient escalader la barre rocheuse, leur proposa plutôt de passer la nuit dans sa hutte. Elles pourraient repartir le lendemain en toute sécurité. Litak n'avait manifestement pas envie de passer la nuit en compagnie d'un humain, si loin du clan, mais elle comprit que Zanéa ne pourrait jamais franchir le col qu'elles avaient emprunté pour venir là. Elles acceptèrent donc l'invitation. Sharle dégagea le rafleur du bosquet de frouges, afin que les éventuels passants sachent qu'il y avait danger. Au sol, il traça une grande flèche en direction de l'aval.
— Si des membres de votre clan vous recherchent par ici, ils sauront quelle direction prendre pour vous retrouver.
Puis il récupéra ses armes, sa sacoche, il soutint Zanéa pour l'aider à marcher et ensemble ils descendirent vers la forêt. Il retrouva sa prise de la matinée, la récupéra, ainsi que les herbes aromatiques. Il déterra de nouvelles racines de rétane, car il lui faudrait nourrir ses deux invitées ce soir.
— Comment êtes-vous arrivées là ?
Litak, surprise par la question, ne savait pas ce qu'elle pouvait ou non dire. Elle avait compris que les terres de Valfond s'étendaient jusqu'à cette vallée, mais elle ne savait pas si leur vallée en faisait partie. Elle demanda conseil à Zanéa.

Je ne sais pas. J'aime beaucoup notre vallée, mais si elle lui appartient, nous risquons de nous attirer des ennuis, en lui disant que nous nous y sommes installés et même si nous ne le lui disons pas.
Il faut pourtant qu'on sache si nous sommes sur ses terres, au moins pour prévenir ton père.
Je sais. Demande-lui jusqu'où s'étendent ses terres.
Sharle s'amusait de percevoir leur conversation qu'elles croyaient discrète. Néanmoins, il comprit leurs soucis et, d'une certaine manière, le fait qu'elles se sachent elles et leur clan en situation délicate envers de la Seigneurie de Valfond, montrait leur honnêteté. Il se doutait cependant que c'était à leur chef de décider de la conduite à tenir vis-à-vis de sa nation.
Litak se tourna vers Sharle.
— Tu as dit à l'homme mauvais que ces terres étaient les tiennes, c'est vrai ?
— Ce sont les terres de Valfond et mon père en est le seigneur. Ce ne sont pas vraiment mes terres, mais un jour, j'en serai responsable.
— Seigneur ? Je ne comprends pas ce mot.
— Dans un clan, vous diriez chef.
— Tu es le fils du chef ?
— Oui.
— Et tes terres, elles vont jusqu'où ?
— Tu vois le grand lac plus bas, eh bien toutes les vallées qui bordent ce lac font partie des terres de Valfond. Ce lac se vide à Valfond –la ville– par un grand torrent qui descend de la montagne jusqu'à la grande plaine. Là se trouve Bout-du-Val, l'autre grande ville de la seigneurie, qui marque l'entrée sur notre territoire.
— Ce doit être grand tout ça...
Litak était déçue d'apprendre que le nouveau territoire du clan appartenait déjà aux hommes.

Tu as compris ce qu'il disait ? Nous nous sommes installés sur ses terres... Il faudra le dire à Bratog. Le clan devra certainement chercher encore pour s'installer.
Mais c'est impossible ! L'hiver sera bientôt là ! On ne peut pas errer dans la montagne sans fin, nous devons au moins passer l'hiver ici.

Sharle comprenant que leur clan devait être en grande difficulté pour avoir quitté ses terres à l'approche de l'hiver, tenta de leur en faire dire plus :
— Je ne me suis pas présenté dans les règles, veuillez me pardonner cette impolitesse. Je suis Sharle de Valfond, fils de Jehan, seigneur de Valfond. À qui ai-je l'honneur de m'adresser ?
Visiblement, Litak ne comprenait pas ce qu'attendait Sharle qui précisa :
— Comment vous appelez vous ?
— Elle, c'est Zanéa, Fille de Bratog et moi, Litak, Fille de Corg, du clan de la Forêt Sombre.
Litak ne tenait pas à faire savoir que son amie était la fille du chef. Elle ne savait toujours pas à quoi s'en tenir au sujet de Sharle
— Vous devez être bien loin de chez vous. Il n'y a pas de forêt de ce genre par ici.
Litak ne voulait pas trop en dire, elle n'avait aucun statut pour parler au nom du clan, mais elle ne souhaitait pas non plus offenser leur hôte :
— Nous cherchions des frouges, il n'y en a pas chez nous et Manouba aime beaucoup.
— Il faudrait profiter de votre récolte pour en planter près de chez vous, si vous avez de l'eau, elles pousseront bien et vous n'en manquerez plus.
Sharle n'avait pas l'intention de les forcer à trop en dire. Mais il désirait en savoir un peu plus.
— Tu es une personne singulière, la première que je rencontre, quelle est ton histoire ?
Elle jugeait l'information de peu d'importance, elle pouvait donc la divulguer.
— Mon père est orque. Ma mère est Manalia, humaine. Ils se sont connus quand ils étaient très jeunes. Manalia a été recueillie par le clan. Elle a perdu sa famille, je ne connais pas cette histoire. Elle ne peut pas parler orque, alors le clan a un peu appris à parler humain.
Je suis née pendant la première guerre. Ensuite, j'ai grandi dans le clan, avec mes parents. Zanéa est née un peu plus tard. Nous sommes amies depuis toujours. Voilà, l'histoire n'est pas très intéressante.
— Elle est simple, mais je la trouve très intéressante, parce que tu en es le résultat.
Litak était perplexe. C'est la première fois que quelqu'un semblait lui accorder plus d'importance qu'elle ne pensait en avoir. Elle tentait de percevoir les émotions de cet homme, mais ce qu'elle sentait était assez étrange. Parfois, il lui semblait qu'il était tout à fait ouvert comme lorsqu'il combattait le rafleur et à d'autres moments, il était complètement fermé, comme lorsqu'il parlait avec elle.
Elle décida de jouer franc-jeu, après tout, elle ne risquait rien.
— Je ne comprends pas, les humains ne savent pas parler orque, mais ma mère, je peux ressentir ses émotions. L'homme mauvais aussi. Toi, parfois oui, parfois non. Pourquoi ?
Sharle fut surpris par la question, ce que remarquèrent Litak et Zanéa.
— Les orques ne savent pas parler humain, mais ils sont capables d'émettre des sons et des cris que les hommes peuvent entendre. Les hommes, eux, sont incapables de parler orque, car vous ne faites pas de bruit en parlant, et beaucoup pensent que vous ne communiquez pas entre vous parce qu'ils ne vous entendent pas. Mais certains sont capables de faire du bruit orque sans le savoir.
— Mais alors comment sais-tu tout ça et pourquoi je peux parfois te percevoir, parfois pas ?
Sharle n'était pas certain de vouloir lui donner la réponse à cette question, mais il ne voulait pas non plus lui mentir.
— Ma mère est une orque.
Sa réponse choqua les deux jeunes amies à tel point qu'il en fut amusé.
— Ma vraie mère nous a quittés alors que je n'avais qu'un an. Wanuka m'a élevé comme une mère et elle est la seule mère dont je me souvienne. C'est grâce à elle que je peux contrôler ce que j'émets comme un orque. Mais lorsque je dois me battre, ou me concentrer sur quelque chose, je ne contrôle plus rien.
Zanéa, trop choquée par ce qu'elle venait d'apprendre, ne put s'empêcher de lui demander :
— Mais tu es fils de chef, pourquoi être élevé par esclave. Pas humaines pour faire ?
Sharle sourit. La jeune orque comprenait bien ce qu'il disait, et même si elle parlait moins bien que Litak, elle savait se faire comprendre.
— Il n'y a pas d'esclaves à Valfond. Beaucoup d'orques y vivent libres avec les hommes. Ce n'est pas toujours facile, mais cela fonctionne assez bien.
— Orques moins bon statut ?
— Non, mon père est le seigneur, le chef, car mon ancêtre Bob Duquart a créé la seigneurie, mais Zarmak, un orque, est l'intendant général, le second. Il commande aux hommes et aux orques et tous ont les mêmes droits et devoirs. Quant au statut, il est seulement fonction des compétences.
— Compétences ? Pas connaître mot.
— Les compétences, c'est toutes les choses que tu sais faire et que tu sais bien faire.
Litak était perplexe.
— C'est comme ça chez tous les humains ?
— Hélas non, c'est comme ça à Valfond, car les hommes et les orques l'ont bâti et y vivent ensemble depuis le début. Les autres Seigneuries ont été bâties uniquement par des hommes et beaucoup d'entre eux se croient bien supérieurs aux orques, par ignorance ou par bêtise. Un jour, j'espère, cela changera. Un jour, ces hommes comprendront peut-être que les orques ne sont pas inférieurs, mais différents.

Ils sortirent de la forêt et les deux jeunes filles du clan virent pour la première fois le lac de près. La hutte de Sharle, cachée du lac par un gros rocher, n'était pas très grande, mais au moins semblait elle proposer un abri suffisant pour y passer la nuit. Sharle fit asseoir Zanéa sur une grosse pierre lisse et il examina à nouveau la blessure. Il la nettoya et alla chercher un petit pot dans la hutte. Il prévint Zanéa :
— Ça va piquer, mais cela empêchera l'infection et permettra la cicatrisation. Ce baume a été fabriqué par Wanuka.
Zanéa tressaillit lorsqu'il appliqua la pommade. Il banda la cheville de la jeune orque avec un tissu fin. Ensuite, il raviva son feu et prépara de l'eau pour infuser des plantes. Pour lui et Litak, l'infusion avait seulement des vertus apaisantes, alors que le mélange pour Zanéa contenait en plus des plantes aux vertus anti-inflammatoires.

Ils burent leur infusion puis Sharle dépiauta le tripuk pour le mettre à rôtir sur une broche. Ensuite, il lava les racines de rétane et Litak proposa de l'aider à les préparer.
Au crépuscule, ils mangèrent autour du feu. Elles dévorèrent leur repas, car elles n'avaient rien pris depuis le matin. Sharle tenta d'en apprendre un peu plus sur ses invitées :
— Vous n'êtes quand même pas venues jusqu'ici seules, j'ai connu un guerrier du clan de la Forêt Sombre durant la guerre, Matrog, je crois, et j'ai cru comprendre que vos territoires étaient bien plus au nord.
Zanéa et Litak, surprises, se regardèrent.

Qu'est-ce qu'on peut lui dire ?
Je ne sais pas, que ferait ton père ?
Jamais il ne parlerait de la faiblesse du clan, mais comment expliquer qu'on soit ici ?
D'une manière ou d'une autre, il saura où nous sommes installés. C'est peut-être mieux si nous le lui disons maintenant. En fonction de sa réaction, nous pourrons savoir s'il va nous attirer des ennuis.
Zanéa pris sa décision.
— Guerrier être Martog. Blessé pendant guerre.
Elle désigna la barre rocheuse.
— Clan installé derrière montagne pour l'hiver. Pas savoir être sur terres Valfond. Peut rester jusqu'au printemps ? Chef devrait demander, mais pas ici.
Sharle sentit une grande détresse chez Zanéa et une tension palpable chez Litak.
— Je ne peux pas parler non plus au nom de mon père, mais nous n'exploitons pas la vallée où vous êtes installés, alors si vous n'êtes pas trop nombreux, je pense que votre présence ne sera pas un souci. Il me faudra tout de même en informer la seigneurie.
Zanéa sembla s'effondrer. Il jugea bon de préciser :
— Nous envoyons régulièrement des patrouilles –des guerriers– aux limites du territoire, pour vérifier s'il n'y a pas d'intrusions. S'ils ne savent pas que vous êtes là, il pourrait y avoir des incidents. Ils doivent être prévenus.
— Bonne chose toi savoir alors.
Litak acquiesça de la tête.
— Je pense oui. Et maintenant, dites-moi, avez-vous déjà mangé des fruits confits ? Il m'en reste quelques-uns.

La nuit était tombée depuis longtemps lorsque Zanéa se retira pour aller se coucher dans la hutte, comme le lui avait proposé Sharle. Litak, bien que tombante de sommeil, resta encore près du feu. Sharle lui proposa aussi d'aller se coucher à l'abri, mais Litak, encore un peu méfiante, refusait de se laisser piéger dans un espace fermé.
— La couche est trop petite. Tu ne dois pas avoir beaucoup de visites.
Elle fit un grand sourire, qui illuminait son visage.
— C'est le but de ma présence ici, je voulais être seul.
— Je crois que pour aujourd'hui, c'est raté.
Elle lui sourit.
— Non, aujourd'hui, c'est agréable. Même si les circonstances de notre rencontre ne le sont pas.
— Oui... Désolée de t'avoir attaqué tout-à-l'heure.
— Ne le sois pas, tu cherchais juste à protéger Zanéa, ce qui est très honorable. Elle a beaucoup de chance d'avoir une amie comme toi.
— Je ne sais pas. Je ne suis pas de celles dont on veut comme amie, alors je pense que c'est moi qui ai beaucoup de chance d'être son amie.
En disant cela, son regard s'était perdu dans le vague et il émanait d'elle quelque chose qui ressemblait à de la solitude.
— Pourquoi veux-tu être seul ?
— Lorsque je suis rentré de la guerre, les gens m'ont pris pour un héros couvert de gloire, ce que je ne suis pas. J'ai commandé des hommes contre des orques dans une guerre qui ne me concernait pas directement. Beaucoup de braves sont tombés des deux côtés et je n'y vois là aucune gloire...
Il avait dit cela sans chercher à contrôler ses émotions et Litak perçu toute la culpabilité qu'il pouvait ressentir.
— Depuis, des personnes que je n'aurais jamais fréquentées s'intéressent à moi, sans que je n'en comprenne la raison. Est-ce Sharle ou bien le « héros » qu'ils désirent rencontrer ? Le héros que l'on croit voir n'existe pas. Il n'y a qu'un homme simple, qui ne supporte pas d'avoir vu tomber autant de braves.
— La guerre n'est jamais une bonne chose. Chez nous, les guerriers pleurent les braves tombés au combat et tirent fierté de leurs actions et de leurs victoires. Je ne pensais pas qu'un guerrier pouvait regretter d'avoir combattu, surtout lorsqu'il avait vaincu. Tu es particulier.
— Je suis un Valfond, mon peuple est composé d'hommes et d'orques et tous ont une grande valeur à mes yeux. Je ne peux chasser cette impression d'avoir envoyé mes frères se tuer entre eux.
— Aucun n'était de ton peuple. Tu n'es pas responsable de cette guerre. Elle t'a emporté là où tu ne souhaitais probablement pas aller.
Elle frissonna, ce qui surprit Sharle, car les orques n'avaient jamais ce genre de réaction. Sharle se leva, entra dans sa hutte et ressortit avec une peau de glapis laineux, qu'il déposa sur les épaules de Litak. Elle s'enveloppa dedans, le remerciant d'un sourire chaleureux. Elle s'allongea, pelotonnée dans sa fourrure et ne tarda pas à s'endormir.

Sharle avait apprécié cette agréable soirée. Il était resté coupé du monde pendant si longtemps, que cette présence à ses côtés ce soir lui avait fait le plus grand bien. Pas de louanges ou d'accusations pour son rôle de général des Belles Landes, juste une présence simple et relativement chaleureuse compte tenu des circonstances. La simplicité de cette jeune métisse lui plaisait et il ne put s'empêcher de la comparer à Bessilla, incroyablement belle mais sophistiquée, insondable et dont le côté ingénu ne cadrait pas avec le rang.

Il était resté là, à regarder dormir Litak, étrange créature mélange de deux mondes. Elle semblait paisible et douce dans son sommeil. Néanmoins, elle avait fait preuve de beaucoup de courage et de détermination pour défendre son amie. Il avait bien compris que Zanéa, fille de chef, jouissait d'un statut élevé au sein du clan. Litak quant à elle ne devait avoir qu'un rang très bas dans la hiérarchie du clan et pourtant, elle était unique.
Plus il l'observait, plus il la trouvait fascinante. Ce visage mi-humain mi-orque, déconcertant de prime abord, s'avérait finalement plutôt agréable à regarder avec ses traits fins et bien proportionnés, et il ne s'en lassait pas.

Lorsque l'aube apporta un peu de lumière dans la nuit, Sharle remis une bûche sur le feu et il prépara de l'eau à chauffer. Puis, il alla récolter quelques baies, des graines de céréales et quelques fruits juteux et sucrés. Lorsqu'il revint à sa hutte, Litak s'était réveillée. Elle était emballée dans sa couverture et se réchauffait près du feu.
— Merci pour la couverture.
— Ce n'est rien. Et puis quel hôte serais-je si je laissais mes invitées de marque prendre froid.
— Invité de marque ? Je ne comprends pas.
— Un invité de marque est un invité important, de prestige.
Visiblement, elle ne comprenait toujours pas. Il ajouta :
— Avec un grand statut.
— Zanéa a un grand statut, pas moi !
— À mes yeux, tu as un grand statut. Tu es unique, courageuse et plutôt mignonne.
Elle le coupa avec un petit rire.
— Non, Zanéa est belle, la plus belle du clan, moi, je suis laide.
— Oui, Zanéa est belle, même aux yeux d'un humain. Mais la beauté est dans l'œil qui regarde et mes yeux ne te trouvent pas laide. Tu es différente et cette différence peut masquer à certains cette beauté qui n'appartient qu'à toi.
Sharle sentit que Litak était confuse. Excepté ses parents, tout le monde l'avait toujours trouvée laide, les orques de son clan et même le rafleur. Cet homme-là la trouvait belle... Comment pouvait-il penser cela ? C'était insensé.
— Je ne voulais pas te mettre dans l'embarras. Je suis désolé.
— Je... Ce n'est rien. Elle détourna le regard.
Il ne voulait finir cette conversation sur un malaise, mais ne sachant trop comment s'y prendre, il lui proposa de l'aider.
— Je vais préparer des galettes de voyage pour votre retour, tu veux m'aider ?
— Oui.
Étrangement, l'évocation du retour chez elle raviva ce vide en elle. Elle était pourtant heureuse au sein du clan, mais elle sentait que quelque chose lui manquerait bien plus maintenant qu'elle pouvait en percevoir la nature.

Litak lava les différents fruits, pendant que Sharle broyait les grains récoltés ce matin, auxquels il avait ajouté ses réserves. Dans une marmite, il versa un peu d'eau chaude, les grains broyés et les fruits. Il ajouta aussi une sorte de purée de fruits onctueuse et très sucrée.
— Qu'est-ce que c'est ?
— C'est une purée de piares.
Il montra un fruit ovoïde, rouge et vert qui tenait dans une main et très parfumé.
— C'est un fruit qui pousse en grande quantité sur les pourtours du lac. Tu veux goûter ?
Il lui tendit le pot. Elle huma le parfum capiteux, trempa un doigt et, doucement, goûta une toute petite pointe de purée. Elle sourit et lécha consciencieusement son doigt.
— Mmm, c'est très bon. Comment tu fais ça ?
Il sourit franchement à son tour.
— Tu fais cuire les fruits dans une grande marmite, à feu doux. Ils fondent tout-seuls. Tu remues de temps en temps et quand ça commence à coller à la cuillère, c'est prêt.

Zanéa sortit de la hutte, visiblement réveillée par les odeurs de cuisson. Elle boitait légèrement, mais semblait aller bien mieux que la veille. Sharle nettoya la plaie et examina à nouveau sa blessure. Elle était propre et l'inflammation pas trop importante. Zanéa se crispa lorsqu'il appliqua à nouveau l'onguent, mais elle se détendit vite, car la plaie n'étant plus à vif, elle ne ressentit pas la même brûlure que la veille. Il banda ensuite la cheville de la jeune orque et ils déjeunèrent tous les trois, dans la bonne humeur.

Lorsque la préparation de la pâte à galette fut achevée, Sharle sortit une pierre plate du feu et y étala de la pâte en petits disques épais. Il les retourna et au bout de quelques instants les retira de la pierre pour recommencer l'opération. Litak rangea les galettes dans une besace tapissée de feuilles longues et propres.
Sharle remarqua un mouvement à l'orée de la forêt. Quatre guerriers orques, armés, avançaient vers la hutte. Litak et Zanéa virent alors aussi les leurs approcher.
— Être Urog, Mallog, Corg et Martog !
— Urog est le frère de Zanéa. C'est le plus grand des quatre. Mallog est le plus jeune, Martog est celui que tu as connu, Corg, mon père, est le quatrième.

Les trois plus âgés portaient des cicatrices sur le corps, prouvant qu'ils avaient l'expérience du combat. Corg en était couvert et les plus nombreuses étaient anciennes, probablement des blessures dues à la première guerre des clans. Il semblait avoir été pris sous une volée de flèches. Qu'il ait pu survivre à autant de blessures était assez surprenant.
Le plus grand des quatre était une montagne de muscles. Beaucoup plus grand qu'un orque normal. Sharle pensait l'avoir déjà aperçu sur les champs de bataille : un orque aussi imposant que lui y avait semé la terreur chez les soldats des Belles Landes.
Il reconnut Martog. Sa présence le rassurait un peu. Il avait déjà rencontré ce guerrier lorsqu'il était en convalescence à Valfond et il gardait un bon souvenir de cet orque, fier, mais doté d'un certain sens de l'humour.
Le quatrième portait la hache du guerrier, mais il paraissait trop jeune pour ça. Visiblement, il n'avait jamais combattu, mais il semblait déterminé.

Il faisait toujours ses galettes lorsque les orques s'approchèrent de la hutte. Litak sauta au cou de son père, Zanéa se comportait étrangement, entre bonheur de revoir les siens et indifférence feinte envers le jeune Mallog. Sharle se leva calmement et salua les nouveaux venus.
— Soyez les bienvenus.
Urog demanda à Corg de faire l'interprète.
— Salutations. Qui es-tu ?
— Je suis Sharle de Valfond.
Se tournant vers celui qu'il connaissait déjà :
— Je pense que Martog se souvient de moi. Heureux de voir que tu as bien récupéré.
— Heureux de pas trouver autre que toi ici.
Urog qui semblait comprendre assez bien le langage humain demanda des précisions à Martog.

C'est le Guérisseur, l'homme qui a fait soigner tous les blessés pendant la retraite. J'ai eu l'occasion de parler un peu avec lui pendant que j'étais soigné.
Litak et Zanéa se regardèrent, surprises d'avoir été secourues par celui-là même qui avait déjà sauvé nombre d'orques durant la guerre.
Urog posa lui-même la question suivante :
— Pourquoi Zanéa et Litak être ici ?
Zanéa répondit aussitôt :

Nous cherchions des frouges et...
Son frère lui jeta un tel regard de fureur qu'elle se tut immédiatement et baissa les yeux. Litak n'osait intervenir.
J'ai posé ma question à l'homme. Plus tard, tu auras l'occasion d'expliquer pourquoi nous avons dû envoyer quatre guerriers à votre recherche, alors que nous ne sommes pas assez nombreux pour assurer la sécurité du clan !
Il se tourna à nouveau vers Sharle.
— Je vis ici depuis quelque temps. Je chassais le tripuk dans la forêt, lorsque j'ai entendu un cri de douleur au-delà des arbres. Je me suis approché et j'ai vu Zanéa, prise dans un piège. Litak l'a bien protégée. Un homme, vous l'avez certainement trouvé, avait posé ces pièges près des frouges. Il ne fera plus de mal à aucun clan. Ces gens-là sont punis de mort à Valfond. Traverser la montagne de nuit est dangereux, Zanéa était blessée et je ne voulais pas qu'elle prenne ce risque. Je leur ai donc proposé de passer la nuit ici, en sécurité. Nous préparions ces galettes pour leur retour et je me proposais de les escorter.
Certains termes lui échappaient, mais Corg comprenait l'essentiel et il traduisait tant bien que mal.
— Pas besoin escorter. Guerriers être venus pour ça. Nous partir maintenant.
Sharle comprenait bien que rien ni personne ne pourrait les retenir ici, surtout pas lui.
— Bien. Laissez-moi vous offrir ces galettes de voyage. Litak m'a aidé à les préparer.
Il tendit la besace à Urog qui, méfiant, se garda de la prendre. Martog saisit le sac et remercia avec un sourire :
— Urog bon compagnon. Être le plus brave, mais aussi le plus fier.
— Personne ne peut douter de sa bravoure. Je crois bien qu'une légende court à son sujet chez les humains.
— Être légende aussi chez orques.
Sharle les pria d'attendre encore un instant. Il entra dans sa hutte et en ressortit presque aussitôt avec le petit pot d'onguent. Il l'offrit à Zanéa. Urog faillit interdire à l'homme d'approcher sa sœur, mais Martog lui fit signe de laisser faire.
— Pour ta cheville si elle te fait souffrir.
Zanéa remercia par le plus joli sourire qu'il ait jamais vu chez une orque et il sentit une pointe de jalousie étreindre le cœur de Mallog. Il semblait que les deux jeunes orques étaient faits l'un pour l'autre.
Il se tourna alors vers Litak et lui tendit sa dague, à la surprise des guerriers.
— J'ai vu que tu es très courageuse. Mais seul le fou attaque son ennemi avec colère. Le sage reste maître de ses émotions pour être maître de son adversaire. C'est un vieil orque qui me l'a enseigné. Prends bien soin de toi et souviens-toi de ce que je t'ai dit ce matin.
— Je... Je ne peux pas accepter, c'est bien trop précieux pour moi !
— Quoi que tu puisses penser, tu es précieuse.
Corg comprenait qu'il y avait là un message caché, sans comprendre de quoi il s'agissait et il n'aimait pas cela.
Puis, Sharle se tourna vers Corg.
— Ta fille est très courageuse. Hier, elle a risqué sa vie par deux fois pour protéger Zanéa. Veille bien sur elle.
Corg et les autres guerriers furent surpris par une telle information.
— Elle est précieuse pour moi aussi.
Sharle donna à Mallog des plants de frouge.
— Afin que Zanéa ne soit plus dans l'obligation de trop s'éloigner de votre campement.
Zanéa et plus encore Mallog furent surpris de ce don. Ils se demandèrent tous deux si cet homme n'avait pas deviné leurs sentiments naissants. Martog fit un clin d'œil – surprenant de la part d'un orque – et un grand sourire à Sharle.
— Sharle avoir bonne vue !
Enfin, Sharle se tourna vers Urog
— Transmets mes salutations à ton chef.
— Je ferai.

Les orques prirent le chemin du retour et Sharle resta là, les regardant s'éloigner. Avant qu'ils n'entrent dans la forêt, il crut voir Litak se retourner vers lui une dernière fois.


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