Les cendres de Tirwendel - Chapitre XII
Je profite de la publication de ce chapitre pour vous souhaiter une belle et heureuse année 2022.
XII
Naëwen avait vu son
père, son frère et tous les capitaines de la garde entrer dans la salle
du conseil. Pareil événement se déroulait tous les jours, mais cette
fois-ci, une foule compacte les avait suivis, ce qui était assez
inhabituel. Piquée par la curiosité, elle descendit de la cime de
l'arbre cité et se mêla à la foule massée sur la branche principale.
Elle y retrouva Nelfnir qui semblait soucieux :
— Que se passe-t-il ?
Le jeune elfe tenta maladroitement de la rassurer :
— Ce n'est rien, la patrouille envoyée vers le Sud n'est pas encore
rentrée. Alors nos capitaines sont sur les nerfs, mais je ne pense pas
qu'il faille nous en inquiéter outre mesure. Ce genre de chose arrive
fréquemment. Ils ont certainement trouvé des humains à la frontière, et
ils les surveillent de près.
Naëwen porta ses mains au visage :
—
Des humains ? Mais personne n'en a revu depuis au moins dix ans.
Pourquoi ces créatures viendraient soudain nous chercher querelle ?
—
Personne n'en a jamais revu sur notre territoire depuis la bataille de
Lornaël, mais parfois, on en observe sur la frontière. Ils y viennent
chasser, mais peut-être n'est-ce qu'un prétexte pour nous épier. Ce
n'est qu'un jeu, où chacun veut montrer qu'il ne craint pas l'autre, et
où l'un comme l'autre tient à montrer qu'il est toujours sur ses gardes.
Naëwen n'était pourtant qu'à moitié rassurée. Les humains se montraient
tranquilles depuis si longtemps maintenant qu'elle en avait presque
oublié qu'ils étaient si proches :
— Tu crois qu'ils pourraient s'être entendus avec les trolls pour nous attaquer ?
— Non. Le territoire des trolls est à l'autre bout du royaume. Et je
crois que les humains comme les trolls ne chercheraient pas à négocier.
Ils ne connaissent que la manière forte. Si ces deux peuples s'étaient
rencontrés, ils se seraient déjà entre-tués.
Un sourire illumina le visage de Nelfnir :
— Tiens ! C'est une idée intéressante. On devrait organiser une
rencontre, de préférence en terrain découvert, et les observer se
massacrer mutuellement.
Guelnor sortit de la salle du conseil et leva le bras pour faire taire la foule curieuse et inquiète qui attendait :
— Comme vous le savez certainement, la patrouille envoyée ce matin vers
le Sud n'est toujours pas rentrée. J'ai décidé d'envoyer une seconde
patrouille à sa recherche. En attendant d'en savoir plus, toute la cité
est placée en état d'alerte.
Une mère sera son enfant contre elle :
— Pourquoi les humains nous attaqueraient-ils ? Nous ne les avons pas provoqués !
Guelnor se tourna vers elle plein d'empathie. Son fils aîné faisait partie de la patrouille :
— Pour l'instant, rien ne dit qu'une attaque ait eu lieu. Mais tant que
nous n'en saurons pas plus, je ne prendrai aucun risque pour la cité.
Il leva à nouveau les bras pour faire taire le brouhaha naissant :
— Les mères et les enfants seront regroupés dans les branches hautes.
Les combattants prendront leurs ordres auprès de leurs capitaines.
Il se tourna pour rentrer dans la salle du conseil, mais il se ravisa :
— Puisse la Grande Forêt veiller sur vous.
Naëwen ne put réprimer un frisson d'angoisse. Jamais depuis la bataille de Lornaël, elle n'avait vu son père aussi tendu.
Le
ciel commençait à s'éclaircir vers l'est, et, fatiguée par une nuit de
veille, Naëwen faisait les cents pas près de la salle du conseil :
—
Pourquoi Elanoël m'a-t-il placée ici ? Je suis bonne archère, je serai
certainement plus utile là où auront lieu les combats. Il ne se passera
jamais rien ici !
Nelfnir lui répondit avec autant de douceur que possible :
— Tu es Naëwen de Nelandir. Tu es précieuse pour ton peuple... Ainsi
que pour Guelnor et Elanoël... Surtout depuis que ta mère nous a
quittés. Tout le monde l'aimait, comme tout le monde t'aime aujourd'hui.
Naëwen eut l'impression qu'il rougissait. Il baissa la tête avant de poursuivre :
— Chacun d'entre nous préfèrerait subir mille morts plutôt que de
risquer ta vie. C'est pour ça que Elanoël t'a placée ici, pour être
certain que chacun soit concentré sur sa tâche, plutôt que de veiller à
ta sécurité.
Elle fut troublée par la détermination qu'il avait affichée en prononçant ces mots. Elle fit donc un effort pour se calmer :
— C'est idiot ! Je ne suis pas là pour être aimée. Je suis là pour servir et protéger mon peuple.
Nelfnir posa une main sur son épaule :
— Comme nous tous. Et tu n'es pas inutile. Nous sommes ici pour
protéger les branches hautes. Si nous sommes attaqués, nous devrons
stopper tout ennemi qui tenterait d'escalader Nelandir.
Levant la
tête vers les branches hautes elle aperçut quelques mères qui scrutaient
la forêt avec angoisse et, en serrant le poing sur sa pique, elle
révisa son point de vue sur son rôle. Nelfnir voulu la rassurer :
— Mais pour l'instant, nous ne sommes qu'en état d'alerte, pas en situation de guerre.
Une
soudaine agitation au pied de l'arbre citée vint cependant le
contredire. Un elfe de la seconde patrouille s'approchait en titubant.
D'autres descendirent rapidement au sol pour aller le soutenir, et
quelqu'un appela un guérisseur qui se laissa glisser le long d'une
corde. Les elfes s'écartèrent du blessé, et les questions fusèrent.
Guelnor et Elanoël s'approchèrent enfin, et Naëwen entendit clairement
un capitaine demander :
— Pourquoi les humains nous attaquent-ils ?
Le guérisseur examina le dos du blessé et en retira un petit dard qu'il
tenait avec précaution. Guelnor voulu le saisir, mais le guérisseur le
lui déconseilla :
— Cette pointe a été enduite d'une substance, très certainement un poison. Mieux vaut ne pas y toucher.
Elanoël se pencha sur le blessé :
— Qui vous a attaqué ? Des hommes ?
Naëwen n'entendit pas la réponse, mais elle vit son frère s'affaisser
subitement. Il se releva péniblement et s'adressa à son père :
— Les hommes n'y sont pour rien. Ce sont les trolls.
L'un des conseillers de Guelnor s'emporta :
— Des trolls ! C'est impossible. La fièvre lui fait dire n'importe
quoi ! Les trolls sont bien trop loin au Nord pour nous attaquer. Nous
les aurions repérés !
Dans un ultime effort, le blessé releva la tête :
— Des trolls... Nombreux... Danger...
Dans un dernier souffle, il laissa tomber sa tête. Le guérisseur se pencha sur lui quelques instants :
— Il ne respire plus... Il est mort.
Naëwen avait tout entendu. Une énorme boule lui comprimait soudain la
poitrine. Les trolls étaient déjà là, et Nelandir n'était pas prête à
les affronter. Paniquée, elle leva à nouveau les yeux vers les branches
hautes et comprit en voyant les mères serrer leurs enfants contre elles
qu'elles en étaient arrivées à la même conclusion.
L'aube commençait à éclairer le ciel d'Est lorsque l'enfer se déchaîna. Une boule de feu s'éleva d'un buisson à la périphérie de l'arbre cité. Aussitôt, le son du cor d'alarme retentit dans la nuit. Pétrifiée, Naëwen observa la boule qui se dirigeait vers son père et son frère qui eurent à peine le temps de se jeter sur le côté pour éviter l'impact. Dans l'instant qui suivit, une terrible clameur monta de la forêt. Des centaines de voix puissantes et rauques se joignaient pour lancer le cri de guerre de la horde. Les elfes encore au sol se hâtèrent de regagner les branches basses, mais déjà, les premiers trolls apparurent, armés pour la plupart de grosses branches à peine élaguées, masses de guerre sommaires mais néanmoins mortelles. Les archers elfes décochèrent leurs premières flèches, touchant leurs cibles à chaque tir, mais les trolls avançaient pourtant toujours vers le tronc de Nelandir.
Nelfnir la secoua énergiquement :
— Ils vont tenter d'escalader la cité ! Nous devons les en empêcher !
Naëwen se ressaisit. Elle empoigna son arc et son carquois et se mit en
position de tir. Un troll empoigna une corde. Elle ne lui laissa pas le
temps de grimper, le terrassant d'une flèche en plein cœur :
— Il faut remonter toutes les cordes !
Un elfe transmit immédiatement l'ordre en soufflant dans un cor, et les
cordes furent immédiatement remontées ou sectionnées sur toutes les
branches basses.
Nelfnir renchérit :
— Il faut aussi huiler le tronc pour les empêcher d'y monter !
Deux elfes allèrent immédiatement ouvrir les réserves d'huile placées tout autour du tronc.
Naëwen
vidait son carquois sur les trolls en contrebas, lorsqu'une boule de
feu monta vers elle, si vite qu'elle n'eut pas le temps de réaliser
qu'elle était en danger. Nelfnir la poussa vers la salle du conseil pour
l'écarter du danger. Pendant qu'elle tombait à la renverse, elle vit le
projectile incandescent lécher le pied de son ami qui hurla de douleur.
Elle se rétablit rapidement et se porta à son secours. Elle le tira à
l'abri de la salle et examina rapidement son pied. La brûlure semblait
superficielle, mais elle touchait l'ensemble du pied jusqu'à mi mollet :
— Il faut que je te soigne !
— Tu n'as pas le temps pour ça. Tu dois retourner combattre. Il faut les empêcher de monter à l'arbre !
— Mais...
— Ne t'inquiète pas ! Je survivrai à ça. Retourne leur tirer dessus !
Il la regardait avec une telle détermination qu'elle obtempéra, saisit
son arc, un nouveau carquois plein de flèches et ressortit sur la
branche.
Elle prit
quelques instants pour étudier la situation. De nombreux trolls se
tenaient à la périphérie de la cité, et quelques-uns tentaient parfois
de lancer un grappin pour pouvoir se hisser sur les branches basses. Ils
étaient systématiquement visés par les archers, eux mêmes immédiatement
sous le tir des sarbacanes des trolls. Naëwen, surprise par la portée
et la précision de ces armes, constata que plusieurs elfes en avaient
déjà été victimes, qui gisaient au sol. Sur la branche voisine, un
capitaine de la garde qui hurlait ses ordres avec autorité porta soudain
la main à son cou. Il en retira un petit objet qu'il examina avec
surprise avant de tituber et de tomber dix mètres plus bas. L'instant
suivant,une nouvelle boule de feu jaillit de l'obscurité et s'abattit
sur les archers qu'il commandait, tuant les plus chanceux sur le coup et
laissant les autres agoniser, atrocement brûlés. Naëwen porta la main à
sa bouche pour s'interdire de crier avant de se ressaisir. Elle encocha
une flèche, banda son arc en visant le point de départ de la boule de
feu. Un pic de glace monta immédiatement en réponse à son tir. Elle ne
le distingua que tardivement, à la faveur d'un reflet de la lumière de
la lune et se jeta au sol avant d'entendre trois autres projectiles
siffler au-dessus d'elle.
N'osant se relever et servir immédiatement
de cible, elle rampa vers la base de la branche et chercha un abri
derrière une petite branche secondaire. De là,elle aperçut trois trolls
qui lançaient des grappins sur la branche vidée de ses défenseurs.
Aussitôt les crochets pris dans l'écorce de l'arbre, ils entreprirent de
grimper pendant que d'autres immobilisaient la corde pour leur
faciliter la tâche. Naëwen comprit que s'ils parvenaient sur la branche,
la cité était perdue. Elle tua les trois premiers grimpeurs, puis les
suivants,mais ils étaient si rapides qu'à chaque fois, elle les
atteignait plus près de la branche.
Un hurlement rauque la fit
sursauter. Un troll courrait vers elle la masse levée, près à l'abattre
sur elle. Tétanisée par cette vision de cauchemar, elle n'eut pas le
temps d'encocher une nouvelle flèche pour l'arrêter. Il s'immobilisa
pourtant, une flèche plantée en travers de la gorge, tituba quelques
secondes, tomba et roula sur la branche avant de chuter vers le sol.Elle
tourna la tête et vit Nelfnir, à l'entrée de la salle du conseil, un
arc en main, une flèche sur la corde. Déjà un deuxième troll courrait
vers elle.Elle le tua elle-même, Nelfnir abattit le suivant pendant
qu'elle se repliait vers la salle :
— Ils sont trop nombreux ! On ne tiendra pas longtemps !
Nelfnir décocha une nouvelle flèche :
— Ils sont déjà sur trois branches ! La partie basse de la cité est perdue. Nous devons nous replier vers le haut !
Trois
elfes tentèrent d'escalader. Une nouvelle boule de feu les tua dans
l'instant. Stupéfaite par la proximité du tir, Naëwen se tourna vers sa
source. Elle eut à peine le temps d'apercevoir un troll étrange, qui
marchait calmement sur la branche, tenant dans sa main une sphère
incandescente.
Elle voulut le mettre en joue, mais Nelfnir l'en empêcha pendant que d'autres elfes les rejoignaient :
— Tu dois fuir par la galerie ! Nous allons les retenir.
— Non ! Nous devons protéger les mères et les enfants !
Avec une grande douceur, il prit son visage entre ses mains :
—
Tu ne peux plus rien faire. Ils vont juste nous tuer ici avant de
poursuivre leur attaque comme si de rien n'était. Tu dois fuir !
Elle hésita :
— Mais...
Il insista en lui montrant l'entrée de la galerie :
— Maintenant ! Ils ne doivent pas te voir partir.
— Mais, et toi ?
— Comme je te l'ai dit, nous sommes tous prêts à mourir pour que tu vives.Alors va ! Et vis !
Il se releva en grimaçant et la poussa énergiquement vers la galerie, masquée par le siège de Guelnor :
— Maintenant ! Ou notre mort n'aura aucun sens !
Il attrapa la dague naine de Guelnor, trophée de la guerre des nains, accrochée au-dessus du siège princier et la lui tendit :
— Ton arc ne passera jamais dans la galerie, mais avec ça, tu pourras quand même te défendre.
Le mince rideau défensif assuré par les quelques elfes commençait déjà à céder. Naëwen posa son front contre celui de Nelfnir :
— Puisse la Grande Forêt veiller sur vous.
— Puisse-t-elle veiller sur toi. Maintenant, va !
Elle
se glissa dans l'ancienne galerie qu'un parasite, un vers géant, avait
creusée il y a bien longtemps. Elle n'avait encore parcouru que quelques
mètres lorsqu'elle entendit des bruits de combat résonner entre les
parois, rapidement suivis par un cri de victoire bestial qui lui glaça
le sang. Elle se mordit les lèvres pour s'empêcher de crier, mais elle
ne put retenir ses larmes.
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