Les cendres de Tirwendel - Chapitre XIII
XIII
Un peu contrariée
d'avoir dû payer si cher un simple pain, Rulna retournait à la fontaine
où elle avait laissé Ficelle se reposer. En arrivant sur la place du
village, elle vit l'attroupement autour du point d'eau et se précipita.
Trois garnements s'en prenaient à la fillette, sous les encouragements
d'une bande d'adolescents :
Rulna bouscula le groupe pour venir
s'interposer. Ficelle tentait de se protéger comme elle le pouvait
pendant que les trois garçons la poussaient de l'un vers l'autre en lui
posant toutes sortes de questions :
— Qui t'a donné le droit de boire notre eau ?
— Et depuis quand les traîne-misère comme toi ont le droit de s'asseoir sur nos bancs ?
— Qu'est-ce que tu as volé chez nous ?
L'un d'eux leva la main pour frapper la fillette, mais Rulna lui bloqua le bras :
— Depuis quand faut-il payer pour boire de l'eau qui coule à volonté ?
Surpris par la poigne inhabituelle de Rulna, le garçon, d'une bonne tête de plus qu'elle, lui lança un regard de haine :
— De quoi j'me mêle toi ?
— Je me mêle de t'empêcher de la frapper. Ça t'embête à ce point ?
C'est vrai que c'est plus facile pour toi de t'en prendre aux petits,
parce que les plus grands, ça ne se laisse pas faire.
Ne parvenant pas à se dégager, le garçon tenta de l'intimider :
— Fous nous la paix, ou on va te faire payer pour ça !
Rulna prit un air étonné :
— On ? Pourquoi ? Tu ne te sens pas de taille tout seul dans ton petit
pantalon ? Il te faut l'aide de tes copains pour te défendre contre moi.
Oh désolé mon chou, je ne voulais pas te faire peur.
Sous les moqueries de ses camarades, le garçon tenta de la frapper, elle esquiva à chaque fois, sans pour autant le lâcher :
— C'est bon ? Tu t'es assez ridiculisé comme ça ou on continue ?
Rouge de colère et de honte, l'adolescent hurla :
— Mais aidez-moi bande de crétins ! Donnez-lui une bonne leçon !
Après un instant de flottement, un premier garçon tenta de la frapper,
elle esquiva et lui coupa le souffle d'un coup de pied dans l'estomac.
Un second tenta sa chance, elle lui empoigna le bras et le fit rouler au
sol.
Quelqu'un cria :
— V'là la garde ! On se tire !
La bande de garçons se dispersa rapidement, abandonnant sans remords les trois victimes de Rulna. Une voix forte tonna :
— Qu'est-ce qui se passe ici ?
Sans se démonter, Rulna répondit :
— Rien mon capitaine, ses trois garçons ont glissé sur une flaque d'eau, je me suis proposée pour les aider à se relever.
— Sergent ! Pas capitaine !
D'un air inquisiteur, il observa la situation très attentivement :
— Diguert ! Rouald ! Trank ! Pourquoi ne suis-je pas surpris de vous retrouver là où il y a du grabuge ?
— C'est pas nous sergent, c'est elle !
Il s'attarda un peu sur Rulna qui n'avait toujours pas lâché le premier
garçon et remarqua ensuite Ficelle, tremblante de peur derrière elle :
— C'est bon ! Ils sont assez grands pour se relever seuls. Qui êtes-vous et que faites-vous ici ?
Rulna consentit enfin à libérer sa victime et répondit calmement :
— Nous traversions votre charmant village pour nous rendre à Marendis.
Ma sœur avait soif, je l'ai donc laissée près de la fontaine pendant que
j'allais acheter un peu de pain à la boulangerie. Lorsque je suis
revenue, j'ai trouvé ces trois sympathiques garçons bien à la peine pour
se relever. Que pouvais-je bien faire si ce n'est leur apporter mon
aide ?
Le garde haussa un sourcil d'un air méfiant :
— Ouais... On va dire ça comme ça... Vous trois ! Rentrez chez vous ! Je ne veux plus vous voir traîner par ici.
Il se tourna ensuite vers Rulna :
— Quant à vous deux, je vous donne une heure pour quitter le village.
— Nous n'avions pas l'intention de rester. Merci.
Le sergent lui lança un dernier regard sévère avant de faire demi-tour.
Lorsqu'elles se retrouvèrent seules, Ficelle demanda :
— Pourquoi tu lui as dit que j'étais ta sœur ?
— Je me suis dit que ça lui semblerait moins suspect.
Rulna lui tendit le pain. La petite fille en coupa un bon morceau
qu'elle s'empressa de dévorer pendant qu'elle remplissait leur outre
d'eau. Entre deux bouchées, Ficelle lui dit :
— J'aimerais bien que ce soit vrai.
Rulna releva la tête :
— Quoi ?
— J'aimerais bien que tu sois vraiment ma sœur.
Surprise, elle se contenta de répondre en bougonnant. Ficelle insista :
— Tu ferais une sœur formidable.
Rulna chargea son sac sur son dos sans même la regarder :
— On a assez traîné ici. Il est temps de repartir.
En
fin de journée, tiraillée par la faim, Rulna décida de quitter la route
et de s'enfoncer en forêt. Elle chargea Ficelle de cueillir des fruits
et de ramasser des racines pendant qu'elle allait chasser.
Elle retrouva la fillette une heure plus tard, un sanglier sur le dos. Ficelle s'étonna :
— J'ai cru que tu allais chasser un lapin, ou des oiseaux. Je ne pensais pas que tu attraperais une si grosse bête.
Rulna répondit sèchement :
— J'ai faim.
Puis elle se ravisa et sourit un peu honteuse :
— Mais si tu veux, tu pourras en prendre un morceau.
Elles
s'approchaient de la route tout en cherchant du bois pour faire cuire
leur repas lorsqu'elles entendirent des voix en pleine conversation.
Rulna fit immédiatement signe à Ficelle de se cacher dans les fourrés.
Une dizaine d'hommes approchaient, discutant à voix haute :
— Pourquoi ? T'as rien entendu de ce que disait le gamin ou quoi ? Elle va vers Marendis ! Alors on y va aussi !
— Comment tu veux qu'on la trouve là-bas ?
— T'as entendu les ordres, Grandguy les veut, vivantes de préférence.
Il veut faire un exemple ! Et puis, elles n'ont que quelques heures
d'avance sur nous. On va bien les rattraper avant qu'elles n'arrivent
là-bas.
Une voix mal assurée demanda :
— Mais c'est des gamines ! Moi je touche pas aux enfants.
Le chef de la bande s'énerva :
— C'est comme tu veux, mais si Grandguy apprend qu'on les a laissées
filer, lui, il va pas se gêner pour nous le faire payer. Alors si
quelqu'un doit morfler, quitte à choisir, ça me va très bien si c'est
les gamines.
Elles
étaient restées cachées encore bien après que ces hommes aient disparu
de leur vue. Rulna serrait les poings, la mâchoire crispée. Ficelle fut
la première à briser le silence :
— Et maintenant, qu'est-ce qu'on fait ?
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