Litak du clan de la forêt sombre - Chapitres VII et VIII

 

VII

Comme souvent, il rêva de la guerre. Il était à la bataille de Pont des Landes et les deux armées se faisaient face. Il était au milieu du champ de bataille et un silence de plomb régnait sur la plaine. Il tentait de parlementer afin d'éviter le combat, mais ni les hommes, ni les orques ne semblaient l'entendre, ni même avoir envie de l'écouter. Soudain, dans une parfaite synchronisation, les deux armées s'élancèrent au pas de charge. Le choc, terrible, eut lieu là où se trouvait Sharle. Les combats firent rage et les guerriers des deux camps tombaient tout autour de lui, à chaque fois remplacés par de nouveaux guerriers, comme si le flot des combattants ne devait jamais se tarir. Il vit la terre se couvrir de sang au point que les cadavres des combattants disparurent, engloutis par le liquide rouge et poisseux. Il regarda ses mains, elles en étaient couvertes et il en prit peur. Il tendit ses mains vers les deux camps et hurla « NON ! »
Dans un terrible coup de tonnerre, les combattants furent rejetés de chaque côté. Le sang et les cadavres avaient disparu. Au milieu du champ de bataille, un étrange halo lumineux venait d'apparaître. Sharle se tourna vers lui et compris qu'il s'agissait d'une créature intelligente et sensible. Il percevait qu'elle était aussi effrayée et désireuse de l'arrêt des combats que lui. Ils se regardèrent un instant. L'être lumineux était de forme humanoïde, mais il ne distinguait pas de visage et il ne comprenait pas de quelle nature il était. Il en émanait une grande force, mais aussi une paisible douceur. Il voulut s'en approcher, mais ses pieds semblaient lourds comme du plomb et malgré les efforts terribles qu'ils lui coûtaient, ses pas ne lui permettaient pas de se déplacer vers cet être de lumière. Il tendit la main vers la créature et voulut lui parler, mais aucun son ne sortait de sa bouche.
Dans un nouveau coup de tonnerre, il perçut
« RÉVEILLE-TOI ! »

Il se réveilla en sursaut, trempé de sueur. Encore ce rêve ! Mais cette fois-ci, quelque chose avait changé. Cette fois-ci, il avait réussi à mettre fin aux combats. Soudain, les derniers détails du rêve lui revinrent dans une étonnante précision. Il n'était pas seul. Quelqu'un l'avait aidé, quelqu'un d'étrange.


VIII

L'orage se déchaînait dehors et Urog ne parvenait pas à dormir. Il avait repéré ce qui pourrait être des traces de passage masquées et il ne parvenait pas à décider si c'en était vraiment ou simplement le fruit de son imagination. Tout portait à croire qu'il n'y avait rien d'inquiétant, Garnox n'avait rien vu d'inhabituel, jugeant que ces traces étaient celles d'un animal, cependant il ne pouvait s'empêcher de penser que des hommes étaient passés par là et avaient effacé leurs traces.
Un éclair plus lumineux que les autres, un coup de tonnerre terrible, à faire trembler le sol et soudain, il perçut la menace, claire, tangible : des hommes, toute une armée, étaient là avec la ferme intention de se battre. Il saisit sa hache, réveilla Anala, sa compagne et se précipita dehors pour donner l'alerte. Il s'aperçut que tous les guerriers étaient déjà sortis, prêts à défendre le clan. Ils fouillèrent la nuit du regard, aidés par les nombreux éclairs qui illuminaient le ciel nocturne. Rien. Et pourtant, ils sentaient tous la menace.
Soudain, ils perçurent le déchaînement de violence. On se battait avec rage et détermination, tous ceux qui étaient allés au combat connaissaient cette ambiance d'excitation et de violence exacerbée, cette manifestation de la mort en marche et mais, ils ne voyaient rien, n'entendaient rien du tumulte habituel des combats, les armes qui s'entrechoquent, les cris, les râles d'agonie. Rien.

Ils guettaient tous le danger vers l'aval, provenance plus probable d'une armée hostile, lorsque Xartak fit remarquer que la bataille semblait se dérouler en amont. Après un instant de flottement, Bratog confirma cette impression. Ils se dirigèrent donc vers l'amont et l'écho des combats s'amplifia. Ils sortirent du village et s'aperçurent que tout se déroulait derrière eux. Déroutés, ils firent demi-tour et après plusieurs va-et-vient, ils finirent par déterminer le lieu de cette bataille épique qui les avait alertés : la tente de Corg. Ils se regardèrent incrédules et Corg entra chez lui. Il trouva Amalia au chevet de sa fille :
— Je n'arrive pas à la réveiller. Elle est très agitée, elle doit faire un cauchemar, mais elle ne veut pas se réveiller.
Corg se pencha sur sa fille, posa sa main sur son épaule et la secoua gentiment.

RÉVEILLE-TOI !
Litak sorti enfin de son sommeil :
Quoi ? Qu'est-ce qui se passe ?
Tu as réveillé tout le clan, qu'est-ce qui s'est passé ?
Elle fixa son père, l'air perdue, avant que des images ne lui reviennent en mémoire :
Je ne sais pas, j'ai fait un rêve étrange... Des gens se battaient... Et puis...

Corg n'attendit pas la suite, il sortit de sa tente pour informer les autres qui semblaient soudain plus détendus, tous les signes de la bataille avaient soudain disparu.
Litak faisait un rêve !
Darlak s'emporta :
Elle ne pourrait pas faire ça sans empêcher tout le monde de dormir !
Amalia m'a toujours dit que les rêves s'imposaient aux humains, ils ne les décident pas... Litak non plus.
Les guerriers se dispersèrent pour regagner leurs tentes et rassurer les leurs, non sans maugréer à l'encontre de cette métisse qui apportait décidément bien des soucis au clan.

Dès la matinée, le clan se mit à construire les nouvelles habitations. Litak, Zanéa et Lazaée creusaient une tranchée circulaire qui délimitait ce qui deviendrait la hutte de Mortak et Mélinia. Zanéa arrosait le sol pour ramollir la terre que Litak bêchait à l'aide d'un bâton à fouir et Lazaée retirait la terre en se servant d'une pierre plate. Le côté répétitif de leur tâche laissait à la jeune métisse tout le loisir de repenser à son rêve de la nuit. Jamais elle n'avait fait de tel rêve, à la fois si étrange et réaliste. Zanéa remarqua bien vite que son amie était étrangement absente.
Hé Litak, tu as mis une belle panique dans le clan cette nuit. Qu'est-ce qui s'est passé ?
Elle se doutait que le sujet serait abordé aujourd'hui, mais elle n'avait aucune envie d'en parler, ne sachant pas elle-même comment interpréter ce qui s'était passé.
Je ne sais pas, j'ai rêvé, c'est tout.
Comme à son habitude, Zanéa ne se contentait pas d'une réponse évasive.
C'est tout ? Mais tu as réveillé tout le monde, on a tous cru que toutes les armées humaines étaient venues nous affronter !
Elle avait toujours les éléments de son rêve à l'esprit, aussi nets et précis que si elle venait de les vivre à l'instant. Zanéa ne pensait pas si bien dire.
C'était le cas. Dans mon rêve en tout cas.
Elle avait piqué la curiosité de Lazaée.
Allez, raconte-nous.
Litak soupira. Que pourraient-elles comprendre à un rêve, elles qui n'en faisaient jamais ?
Ça se passait dans une grande plaine. Deux armées gigantesques se faisaient face. Des orques et des hommes. J'étais au milieu et je sentais qu'ils allaient s'affronter, mais je ne le voulais pas. J'essayais de leur parler, de leur dire qu'il ne fallait pas, mais ils se sont précipités les uns sur les autres. Il y avait beaucoup de morts, des montagnes de morts et du sang partout, mais il arrivait toujours plus de guerriers des deux côtés. J'avais peur et j'ai hurlé. Il y avait de l'orage. Un coup de tonnerre comme je n'en avais jamais entendu et les deux armées ont été séparées. Les morts avaient disparu. J'ai cru que j'étais seule au milieu du champ de bataille, mais j'ai senti qu'il y avait quelqu'un d'autre. Je me suis retournée et il y avait quelque chose ou quelqu'un derrière moi.
C'était qui ?
Je ne sais pas, il y avait quelqu'un mais je ne le voyais pas vraiment. C'était comme un petit nuage lumineux avec deux bras, deux jambes, une tête, mais pas de visage. C'était agréable, chaleureux, je me sentais en sécurité. Il était comme moi, il ne voulait pas de cette bataille. J'ai voulu lui parler et je sais qu'il voulait aussi me parler...
Zanéa et Lazaée écoutaient Litak comme si elle racontait une légende ancienne qu'elles ne connaissaient pas encore. Elles étaient captivées par le récit et elles attendaient la suite avec avidité.
Et alors, qu'est-ce qu'il t'a dit ?
Rien, mon père m'a réveillée à ce moment-là.
Elle sentit que ses amies étaient frustrées de ne pas connaître la fin de l'histoire, mais cela n'était rien en comparaison de ce qu'elle pouvait éprouver. Elle avait été privée de la fin de son rêve, mais elle avait l'étrange impression qu'il lui fallait absolument en connaître la suite.
Lazaée brisa le silence.

Je me demande ce que c'était.
Quoi ?
Cette chose qui était avec toi à la fin de l'histoire.
Moi aussi, mais je ne le saurai jamais.
Siléa apporta des pierres pour élever le futur mur de la hutte.
Vous feriez bien de travailler au lieu de vous raconter des histoires idiotes, justes bonnes à effrayer les petits !
Zanéa la laissa s'en aller avant d'ajouter en imitant la jeune orque :
Tu ferais bien mieux de t'occuper de toi plutôt que de nous dire ce qu'on a à faire !
Au moins arracha-t-elle un sourire à Litak.
Lazaée n'avait pas encore satisfait à sa curiosité.

Les légendes racontent des histoires pour nous enseigner des choses, mais là, je ne vois aucun sens à cette histoire ? Tu peux nous expliquer ?
Il n'y a rien à expliquer, c'est un rêve. Ils n'ont souvent aucun sens, ni aucun rapport avec la réalité... Même si j'aimerais vraiment en connaître la fin.
Tu n'as qu'à le refaire.
Zanéa éclata de rire :
Pour que tout le clan panique à nouveau ? Sûrement pas !
Elle désigna Siléa du menton.
Mademoiselle pimbêche n'aime pas les histoires qui font peur aux petits.
Litak soupira.
De toute façon, ça ne fonctionne pas comme ça. On ne peut pas décider de ce que l'on va rêver.
Elle ajouta dans un sourire :
Sinon, jamais, je n'aurais choisi de faire un rêve aussi perturbant.

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