Litak du clan de la Forêt Sombre - Chapitre LXXXV
LXXXV
Elle se sentait bien.
Tout était calme. Pourtant, quelqu'un l'appelait. Elle l'entendait et le
percevait. Cela venait de si loin. Pourquoi la dérangeait-on ? Elle ne
voulait pas qu'on la dérange, elle voulait rester là, en paix. Mais
celui qui l'appelait insistait. Elle sentait de l'angoisse, de la
tristesse et de la culpabilité. L'appel était de plus en plus insistant,
de plus en plus proche. Et puis soudain, ses poumons furent en feu. La
chaleur forçait le passage et se frayait un chemin jusqu'à ses alvéoles.
La douleur était insupportable. Elle sentait maintenant qu'elle avait
froid, elle était gelée. Un contact chaud sur sa bouche et à nouveau, le
feu entrait en elle, mais cette fois, la chaleur lui faisait du bien,
la réchauffait. Et puis toujours, cet appel insistant.
Cette voix,
elle pensait la connaître. Cette voix lui était agréable et elle se
rendit compte qu'elle l'aimait. Elle aimait une voix. Cette pensée lui
parut incongrue. Qui pouvait bien l'appeler ainsi ? Soudain, une image
lui vint à l'esprit. Un homme, jeune, cheveux bruns, yeux bleus comme un
ciel de printemps, un sourire qui lui réchauffait l'âme. Comment
s'appelait-il déjà ? Sharle. Sharle de Valfond. Elle ouvrit les yeux.
Une lumière aveuglante. Elle inspira, brusquement, profondément et une
douleur fulgurante lui traversa la poitrine. Elle toussa, inspira à
nouveau, bruyamment, toussa à nouveau. La lumière baissa d'intensité,
ses oreilles bourdonnèrent, puis sifflèrent. Elle vit un visage angoissé
au-dessus d'elle. Elle se rendit compte qu'elle était allongée sur un
sol de graviers et de galets. Un grondement lointain se fit entendre à
mesure que le bourdonnement s'apaisait. Elle regarda le visage. Il
sourit.
— J'ai cru que je t'avais perdue.
Il la souleva et la
serra dans ses bras, si fort qu'elle crut qu'elle ne pourrait plus
respirer, mais la chaleur de ce corps lui fit du bien et elle avait
l'impression que c'est là qu'elle aurait toujours dû être. Les souvenirs
revinrent, l'attaque, Halbair qui allait tuer Sharle, la chute dans le
ravin, son corps qui heurtait les pierres, puis l'eau, glaciale,
furieuse, la panique de se noyer, les rochers sur lesquels le torrent la
projetait. Il lui semblait qu'elle avait passé une éternité dans ce
torrent et puis enfin, une accalmie, un sol meuble sous ses pieds,
l'impression d'être sauvé. Halbair était là, lui aussi, une large plaie
au front. Ses yeux déments lorsqu'il la vit, ses mains puissantes autour
de son cou, à nouveau l'eau. Elle ne pouvait pas lutter et il la
maintenait sous l'eau, il l'étranglait. Elle se souvint de ses poumons
en feu, elle se souvint s'être sentie partir, indifférente, comme
détachée de tout. Plus de lutte, plus de souffrances, juste le calme.
Elle
prit enfin conscience de ses douleurs, sa côte cassée, son corps
meurtris par la chute, les mauvais traitements et ses combats, ses
poumons qui se remplissaient d'air froid et humide.
— À quoi bon me sauver de la noyade si c'est pour m'étouffer ?
Il la relâcha et elle regretta aussitôt ses paroles. Il plongea son regard dans le sien.
— Pardon, je... Je croyais t'avoir perdue.
Elle percevait qu'il aurait voulu en dire beaucoup plus, mais il se
tut. Ils restèrent ainsi quelques instants et Litak dut faire un effort
terrible pour briser le silence.
— Mais tu m'as retrouvée. Merci.
Elle crut voir couler une larme sur ses joues, mais il était trempé
comme elle. Peut-être n'était-ce que son imagination. Elle voulut se
lever, mais elle ne put masquer une grimace de douleur. Elle s'était
blessée dans sa chute, elle était couverte d'ecchymoses et ne parvenait
pas à prendre appui sur son pied droit. Il la prit dans ses bras et
entreprit de regagner le chemin. Malgré les douleurs qu'elle ressentait
sur tout son corps, elle se sentait bien, heureuse, là, contre lui.
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