Litak du clan de la Forêt Sombre - Chapitre LXVIII

 

LXVIII

Ils se remirent en marche, le temps était doux et ensoleillé, propice à la marche. Les vivres manquaient et personne ne tenait à rester dans cette vallée stérile plus longtemps que nécessaire. Les fugitifs réalisaient maintenant qu'ils avaient retrouvé leur liberté et pour les plus chanceux, ils étaient à nouveaux avec leurs proches.

Litak cheminait aux côtés de Corg, Darlak et Siléa. Cette dernière n'avait d'yeux que pour Trogak et la métisse s'amusa de l'attitude de son amie :
J'ai l'impression de voir Zanéa lorsque Mallog est à proximité.
Siléa lui répondit par un sourire radieux, mais Litak percevait une tension monter chez Darlak. S'opposerait-il à cette relation entre sa fille et le soldat de Valfond. Elle avait pourtant appris qu'il avait largement fait ses preuves lors du sauvetage du clan, ainsi que lors de la bataille de Mont Noir. L'attitude de Darlak la laissait perplexe, mais elle se dit qu'elle n'avait pas à s'immiscer dans cette histoire-là. Elle pouvait simplement soutenir Siléa. Elle vit Sharle en discussion avec Urog et fut surprise de constater qu'ils se parlaient aussi naturellement que s'ils étaient amis depuis toujours. Les choses avaient décidément bien changé en si peu de temps. Elle eut l'impression étrange d'avoir quitté ses proches depuis longtemps, qu'elle avait manqué plusieurs années de leur vie et elle eut à nouveau la certitude qu'elle ne retrouverait jamais sa vie d'avant. Elle regarda Siléa, Radgog et Laïna, Farabert et Lina, Bénobog et même Mallog qui semblait avoir mûri. Et puis elle reporta à nouveau son attention sur Sharle. Leurs regards se croisèrent et elle sentit une bouffée de chaleur monter en elle, partant de l'estomac, passant par son cœur qui s'emballa et finissant sur ses joues.
Oui, jamais elle ne retrouverait sa vie d'avant, mais le futur qu'elle apercevait dans ces yeux-là valait bien mieux que ce qu'elle laissait derrière elle.

Sharle et Urog s'approchèrent de Corg et Darlak. Le colosse fit un signe à Martog qui vint se joindre à eux.
Beaucoup de ces gens n'ont plus de clan. Nous ne pouvons pas les abandonner à leur sort.
Ils étaient d'accord avec le fils du chef, mais pour la plupart, ils n'y avaient encore pas songé.
Martog fit une première proposition :

Nous pourrions les accueillir dans notre clan.
Le veulent-ils seulement ? Nous ne pouvons pas les y forcer.
Urog tenait à rappeler une triste vérité :
Votre générosité vous honore mes amis, mais n'oublions pas que les rafleurs ont détruit notre village.
Darlak se voulait optimiste :
Avec leur aide, nous pourrions reconstruire plus vite.
Sharle devait le détromper :
Nous sommes en altitude, ici l'hiver arrive bien plus vite que dans votre forêt. Les arbres commencent à jaunir, il sera bientôt là. Vous pourriez certainement reconstruire quelques huttes, mais pas assez pour accueillir tout le monde et je ne pense pas que vous puissiez reconstituer vos réserves de nourriture.
Corg refusait de se laisser abattre :
Il le faudra pourtant bien. Nous n'allons tout de même pas nous laisser mourir de froid ou de faim. Nous sommes des orques ! Nous ne craignons pas l'adversité. Nous ferons face, quoi qu'il arrive !

Urog les avait laissés s'exprimer. Il était temps qu'il leur explique ses intentions :
Tu parles en orque et ton courage n'est plus à démontrer. Mais il y a parmi ces gens de futures mères, des enfants, des chasseurs affaiblis par la captivité et les mauvais traitements. Quelles chances auraient-ils de survivre à l'hiver rigoureux de la montagne. Dans notre forêt, nous pouvions trouver de la nourriture, même sous la neige, mais nous n'avons jamais affronté ce genre d'hiver. Sharle me dit que l'épaisseur de neige peut parfois atteindre deux fois ma taille.
Il leur laissa un peu de temps pour assimiler cette information et ce qui en découlait.
Comme l'a si bien dit Corg, nous sommes des orques, nous sommes de taille à affronter cet hiver, mais nous n'y sommes tout simplement pas préparés.
Ils semblaient dépités. Litak assistait à la conversation et soudain le futur lui parut moins prometteur. Darlak fut le premier à réagir :
Nous ne pouvons tout de même pas retourner sur notre ancien territoire, le clan de la Rivière Rouge nous en a chassés, il ne nous laissera pas y revenir !
À nouveau, Urog les laissa se faire à cette évidence.
Non, nous ne pouvons plus revenir sur nos pas. Mais Sharle a une proposition à nous faire.

Tous se tournèrent vers le Général et Litak se fit plus attentive que jamais.
J'ai dit à Halbair qu'il s'était attaqué à des citoyens de Valfond et bien que ce ne soit pas la stricte vérité, en ce qui me concerne, je vous considère comme tels. Ce qui implique que vous avez droit à la solidarité de la nation de Valfond. Vous le savez, nous avons accueilli de nombreux blessés de guerre, ce qui nous a obligés à construire des habitations pour les loger durant leur convalescence.
Martog acquiesça.
Le confort y est assez simple, mais vous pourriez tous y passer l'hiver à l'abri. De plus, nos stocks de provisions sont toujours abondants et je pense que nous pourrions vous nourrir sans souci. Enfin, puisqu'il semble que nous soyons destinés à vivre en voisins, la mauvaise saison nous permettra d'apprendre à nous connaître.

Litak était aux anges et tous semblaient songeurs. La proposition de Sharle était généreuse, mais cela impliquait que le clan aurait dorénavant une dette envers Valfond. Corg, fils de chef, en avait parfaitement conscience :
Cela est très généreux de ta part, mais comment devrions-nous rembourser notre dette ? Qu'attends-tu de nous en échange ?
Sharle ne s'attendait pas à cette question et sa surprise manifeste déconcerta les orques. Litak s'autorisa à intervenir :
Aux yeux d'un orque, lorsqu'un clan contracte une dette envers un autre, cela peut l'engager sur plusieurs générations, ce qui peut parfois impliquer son annexion pure et simple par le clan qui a acquis des droits sur lui.

Sharle comprenait mieux maintenant l'hostilité sous-jacente de Corg.
Oh ! Je n'avais pas envisagé la chose sous cet angle. Pour nous, à Valfond, le fait de faire partie de la nation vous donne le droit de solidarité : si vous êtes en difficulté, la nation doit vous venir en aide, sans contrepartie.
Corg persista :
C'est bien ce que je voulais dire. Ta proposition implique que nous fassions partie de ta nation. Comme l'expliquait ma fille, cela revient à dire que Valfond annexerait notre clan.
Je n'ai pas l'intention de vous priver de votre indépendance. Si nécessaire, nous pourrions envisager un mode de contrepartie équitable. Ce n'est pas un domaine où j'excelle, mais pourquoi ne pas envisager une participation de votre part à nos récoltes et à la défense du territoire.
Urog appréciait les efforts de Sharle, mais il ne tenait pas à engager son clan à la légère.
Qu'entends-tu par "la défense du territoire" ?
Vous seriez en charge de défendre la vallée du lac blanc aussi longtemps que vous l'occuperez, ce qui n'implique pas que vous devriez assurer cette charge seuls, mais que vous y participeriez.
Urog allait apporter une nouvelle objection, mais Sharle se savait mauvais négociateur, il décida donc de couper court :
Tout cela devra être négocié entre le seigneur Jehan, mon père et le chef Bratog, mais je pousserai mon père à faire en sorte que cela soit équitable pour vous. Je tiens beaucoup à ce que le clan de la Forêt Sombre reste libre, mais je ne peux pas rester sans rien faire alors que vous êtes dans l'adversité.

Urog admit effectivement que ce genre de négociation devrait se faire entre les chefs des deux parties. Il était néanmoins soulagé de savoir que son clan pourrait passer l'hiver en sécurité. Il ne doutait pas des intentions du Général, mais l'honneur des clans était chose complexe à ne pas prendre à la légère.

 

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