Litak du clan de la Forêt Sombre - Chapitre LIV

 

LIV

À la nuit tombée, un homme reconduisit Litak dans sa cellule. Il dut pratiquement la porter pour la faire avancer. Rien de surprenant après deux jours complets de roue, le manque de nourriture et le stress permanent que lui imposait Halbair. À la voir ainsi, petite, frêle, épuisée, il imaginait mal cette créature capable de tuer dix hommes et de réduire à néant les bénéfices de toute une expédition. Il connaissait certains des gars qu'elle était censée avoir occis. Si la plupart n'étaient que de pauvres types en mal d'argent, trois d'entre eux étaient tout de même des vétérans de la guerre, trois rudes gaillards qui avaient survécu à Babunta et à toute la retraite jusqu'à la Croisée des Eaux. Comment pouvait-elle en être venue à bout ? Il la déposa dans son cachot qu'il referma. Il resta un instant à l'observer. Elle s'allongea sur le sol et s'endormit rapidement. Encore quelques jours comme celui-là et elle craquerait. Ce qui, d'après son expérience, serait la meilleure chose pour elle. Il en avait déjà vu des coriaces comme elle, ou comme ce jeune orque, pas encore en âge d'être un guerrier, qui faisait pourtant preuve d'une grande force de caractère. Ils avaient tenu bon, refusant de céder, suscitant chez lui une forme d'admiration. Ils étaient morts sous les coups du chef. Et à chaque fois, il éprouvait une grande tristesse de voir ces êtres valeureux succomber face à la vanité et à la cruauté de Halbair. Il s'assura qu'elle soit bien endormie, bien qu'il trouvât sa position étrange pour profiter d'un sommeil réparateur. Puis, il se retira en silence.

Elle avait cru un instant que l'homme ne partirait pas. Étrange rafleur que celui-là, il ne s'était pas montré brutal, au contraire, il l'avait pratiquement portée jusqu'à la cellule et il l'avait déposée en douceur au sol, là où les autres l'auraient jetée sans ménagement. Et puis, elle n'avait perçu aucune haine chez lui, mais une forme de respect et comme une triste résignation... Elle n'avait pas le temps d'essayer de comprendre les états d'âme de ce rafleur, elle devait rapidement surveiller Halbair. Il était vital qu'il quitte cette prison, afin qu'il ne perçoive pas les orques manœuvrer cette nuit. Elle se concentra donc sur sa respiration, s'imagina autour du feu avec Sharle, comme cette nuit après leur première rencontre. Assez rapidement, elle se sentit flotter dans les airs et fut surprise de la facilité avec laquelle elle y était parvenue.

Litak sortit de sa cellule et se mit à la recherche de Halbair. Elle le trouva dans la bâtisse que lui avait désignée Sharle. Il était en compagnie de Bessilla et visiblement, ils étaient très intimes, mais elle ne percevait aucune émotion de la part de la jeune femme, alors que le rafleur vivait un festival de sentiments : désir, crainte, espoirs, colère, haine... Comment pouvait-elle à ce point manipuler les hommes et comment un homme pouvait-il ressentir autant de choses en même temps ? Elle attendit patiemment qu'ils terminent leurs ébats.

Lorsqu'il reprit enfin emprise sur ses sens, il se releva et commença à se rhabiller.
Je dois aller à Blanche Tour. Je dois empêcher les hommes de Valfond de contacter le commandant. S'ils y parviennent, je risque de tout perdre.
Elle vint se blottir encore nue contre lui.

Garmond a trop besoin de tes services. Ne t'inquiète pas mon amour, il ne te livrera jamais à ces pouilleux.
Elle le couvrit de baisers, alors que Litak ne percevait que dégoût chez elle. Il n'était qu'un pion dans son jeu et il ne s'en rendait même pas compte.

Je ne dois prendre aucun risque. Le commandant ne m'a jamais apprécié. Il pourrait fort bien céder aux exigences de ce montagnard.
Elle fit mine de bouder.

Ne t'inquiète pas ma belle, je serai de retour demain matin et nous pourrons reprendre là où nous nous sommes arrêtés.
Il lui administra une petite claque sur les fesses, provoquant chez elle un accès de haine envers lui, qu'elle ne trahit pas un instant sur son visage.

Repose-toi, il faudra que tu sois en forme quand je serai de retour.
Sur ce, il se chaussa et sortit.
Il avait à peine franchi la porte qu'elle marmonna :

Si jamais tu reviens sale tripuk ! Si Valfond ne te tue pas, je m'en chargerai moi-même.

Litak suivit l'homme au catogan, en notant que cette femme était plus dangereuse qu'un narzal affamé. Elle retrouva Halbair dans la cour de l'école, qui organisait ses hommes. Quelques instants plus tard, il partait avec la moitié des hommes présents, armés de pied en cape.
Litak allait rejoindre Sharle pour lui expliquer le déroulement des événements, lorsque Bessilla entra dans la cour. Elle interpella le rafleur au nez cassé en minaudant :

Dites-moi, charmant jeune homme, savez-vous où est enfermé le monstre ?
L'homme devint rouge et fit un effort exceptionnel pour se maîtriser et tenter de paraître à son avantage, bien qu'il n'ait aucune chance de s'attirer les faveurs de cette femme.

Bien sûr Mademoiselle, voulez-vous que je vous y conduise ?
Inutile mon brave. Notre cher Halbair m'a chargé de vous demander de ne la laisser s'évader à aucun prix. Si elle devait tenter quoi que ce soit, auriez-vous l'amabilité de la tuer ?
Sans aucun souci !
Litak prit l'information avec une angoisse certaine. Elle savait que Halbair la voulait vivante, car elle représentait un profit potentiel non négligeable, mais cette femme la préférait morte, car à ses yeux, elle n'était qu'une menace qu'il fallait éliminer à tout prix.
L'homme alla monter la garde devant la cellule de la métisse. La situation se compliquait sérieusement.
La demi-orque décida qu'il faudrait régler ce problème en son temps. Pour l'instant, elle se concentra sur Sharle. Elle vit apparaître sa lueur qu'elle reconnaissait maintenant et se dirigea vers lui.

Sharle, le chef est parti avec une quinzaine d'hommes.
Elle perçut une bouffée de chaleur monter en lui.
Bien. Mon petit numéro a donc été efficace.
Il enterra le bout de son fil métallique dans le sol en terre battue, fixa l'autre extrémité sur sa lame, qu'il tenait avec un bout de cuir arraché à son manteau. Il l'enfonça entre le pêne de la serrure et la gâche. Une série d'étincelles et de la fumée jaillirent et Litak se sentit mal durant un bref instant. Le bourdonnement cessa dans la cellule, mais tous deux le percevaient encore dans le reste du bâtiment. Sharle semblait contrarié.
Je pensais qu'un court-circuit stopperait ce maudit bruit de fond, je me suis trompé. Les orques ne percevront jamais mon signal...
Elle le sentit abattu l'espace d'un instant, puis, refusant de s'avouer vaincu, il commença à réfléchir pour trouver une solution. Ne sachant comment l'aider, Litak le laissa à ses pensées, puis elle l'interrompit :
Est-ce qu'on pourrait arrêter ce bourdonnement depuis la salle des poignées ? Je crois que je l'ai déjà fait.
Il se tourna vers elle, bien qu'il ne puisse la voir.
Tu penses pouvoir y parvenir à nouveau ?
Je ne sais pas, mais je peux toujours essayer.

Elle lui effleura le bras et quitta la cellule. Elle se rendit immédiatement dans la salle de contrôle et se figea devant le mur d'interrupteurs. Lequel avait-elle actionné pour couper le bourdonnement ? Elle le retrouva, se concentra et l'abaissa. Le bruit de fond cessa immédiatement et elle se sentit soudain plus faible. Elle parvint tout de même à rejoindre Sharle.
C'est fait.
Je l'ai senti. Tu es vraiment surprenante, tu sais.

Elle aurait rougi si elle s'était réellement trouvée là.
Je vais prévenir les guerriers. Si tu le fais d'ici, Halbair pourrait te percevoir.
D'accord. Je vais tenter d'ouvrir ma porte. Peux-tu essayer de prévenir les deux soldats qui sont enfermés ici. Je pense qu'ils peuvent te sentir. C'est pour ça que je les ai choisis.
J'y vais.

Elle sortit à nouveau de la cellule, mais elle avait l'impression qu'elle était plus lourde et l'air plus dense. Elle avait du mal à se diriger, à se déplacer. Elle parvint à trouver les archers de Sharle et chacun leur tour, elle les effleura en leur disant que le bourdonnement avait cessé. Même si aucun n'avait clairement compris ses mots, tous deux réagirent à sa présence et elle les vit sortir une lame de leurs bottes. Elle se concentra ensuite sur son père et sa lueur lui apparut. Elle se dirigea vers lui, posa sa main sur son front et lui dit qu'ils pouvaient agir. Elle attendit. Corg releva la tête, fit un signe aux guerriers et aux soldats de Valfond. Ils se levèrent comme un seul homme et se dirigèrent par groupes de trois vers les maisons occupées.

Litak sentait qu'elle devait réintégrer son corps. Elle venait de dépenser beaucoup d'énergie et elle percevait Bénobog qui s'inquiétait :
Il faut que tu rentres maintenant. Tu en as déjà fait beaucoup. Ne prends pas de risques inutiles.

Elle se dirigea vers sa cellule, sa vision commençait à se brouiller et elle eut des difficultés pour retrouver son chemin. Elle ne se souvenait pas d'avoir eu ce genre de soucis durant ses précédentes expériences. Soudain elle paniqua : que se passerait-il si elle ne parvenait pas à rejoindre son corps ? Elle n'en avait aucune idée, mais elle avait l'intuition qu'il était vital qu'elle revienne à son état normal. Elle pensait se trouver dans la bonne allée, mais elle était trop désorientée pour en être certaine. Elle aperçut un homme qui semblait monter la garde devant une porte. C'était peut-être sa cellule. Il fallait que ce soit sa cellule, car elle n'aurait pas l'énergie de chercher plus longtemps. Elle traversa l'homme, ressentant au passage toutes ses émotions, ses ressentis, mais elle n'avait ni le temps, ni la lucidité d'analyser l'âme de ce rafleur. Un corps était étendu au sol. Dans un dernier sursaut d'énergie, elle s'en approcha et ce fut l'obscurité.



 

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