Les cendres de Tirwendel - Chapire LXIV
LXIV
Tilou, Alnard, Rulna,
Lak'Mor et Delendir s'étaient spontanément portés volontaires pour cette
reconnaissance, mais Raëlnor leur avait imposé la présence de Milnëor,
Telendir et Gornaël, trois de ses plus fidèles archers, ce que la naine
interprétait avec agacement comme une mise sous surveillance, une preuve
de défiance, mais qu'elle n'avait pu refuser, sous peine de donner
raison à Raëlnor.
Ils avaient quitté Rorg Alren au milieu de la
nuit et s'étaient dirigés en silence vers une petite crique couverte de
roseaux. Tilou et Alnard s'étaient alors enfoncés dans l'eau pour aller
chercher l'un des radeaux qu'ils avaient cachés là, pour les soustraire à
la vue des trolls.
Ils avaient embarqué tous les huit, et les deux
humains équipés de longues perches avaient commencé à diriger leur frêle
embarcation vers le large.
Ils
avaient convenu de garder le silence durant la traversée, mais
lorsqu'ils eurent dépassé le milieu du fleuve, Tilou remarqua que le
courant s'accélérait et les emmenait vers de grosses vagues. Il prévint
Delendir :
— Nous arrivons sur des remous, ça va secouer un peu. Fais passer le message et restez bien au centre du radeau.
Serrant les dents, Rulna se cramponna de toutes ses forces aux cordes
qui maintenaient les rondins de bois entre eux, mais lorsqu'ils
atteignirent les turbulences, elle ne fut plus en mesure de masquer sa
terreur. Comprenant parfaitement ce qu'elle pouvait ressentir, Lak'Mor
s'approcha d'elle :
— Ça me rappelle le jour où nous avons dû
traverser la rivière que vous aviez franchie à la nage. Ça, je ne risque
pas de l'oublier ! Shack'Gan a fait geler de l'eau, une belle plaque,
puis il est monté dessus. J'ai cru qu'il était devenu fou ! Mais imagine
ma tête quand il m'a demandé d'en faire autant ! Je ne comprenais pas
ce qu'il voulait faire, mais comme nous étions au bord de la rivière, je
me suis dit qu'il ne devait pas y avoir trop d'eau en dessous, alors
j'ai fini par accepter de le rejoindre. Heureusement qu'il ne m'avait
pas tout expliqué... Je serais encore au bord de cette rivière.
Il sourit à cette idée, puis il reprit :
— Il m'a juste demandé de m'accrocher, et il a créé un vent violent
qu'il a projeté vers la berge, et son radeau de glace s'est mis à
avancer très vite ! Trop vite pour moi ! Je me suis jeté à plat ventre
sur la glace et j'ai planté mes griffes aussi fort que je le pouvais
pour ne pas glisser. Mais quand je regardais Shack'Gan, je le voyais qui
s'amusait comme un enfant, fier de la bonne blague qu'il venait de
faire.
Il sourit en revoyant cette image qui l'avait pourtant terrorisé sur l'instant.
— Et soudain, il y a eu un grand choc, j'ai glissé sur la glace et je
crois même que j'ai dû crier de frayeur. Je n'ai compris que nous
venions d'atteindre l'autre berge que lorsque Shack'Gan m'a demandé
pourquoi je ne voulais plus descendre de son radeau.
L'anecdote amusa bien Tilou et Alnard, mais elle n'eut apparemment aucun effet sur les elfes ni sur la naine.
Cependant, lorsqu'ils accostèrent quelques minutes plus tard, Rulna
prit Lak'Mor par le bras, pendant que les elfes prenaient appuis sur la
terre ferme :
— Merci.
Comme il ne semblait pas comprendre, elle précisa :
— Merci de m'avoir fait oublier le danger. Avec ton histoire. Tu m'as
fait comprendre qu'il n'y a aucune honte à avoir peur de ce qu'on ne
peut pas maîtriser.
Elle lâcha enfin les cordages et se releva, flageolante :
— Et tu m'as permis de repenser à cette traversée à la nage. Tilou a porté Naëwen, et Alnard m'a portée.
Elle posa un pied sur la berge, ferma les yeux quelques instants,
inspirant profondément trois fois d'affilée et finit par afficher un
sourire radieux :
— Un arbre dérivait dans l'eau et nous a percuté.
Alnard a été emporté vers le fond, et comme je me débattais,
complètement paniquée, il n'a eu d'autre choix que de me lâcher pour que
je puisse tenter ma chance. Lorsqu'il est remonté à la surface, j'avais
coulé, comme une pierre. Mais il m'a retrouvée. Il m'a ressortie de
l'eau.
Elle le montra du doigt et chuchota sur la pointe des pieds pour tenter de se mettre, mais en vain, à hauteur du troll :
— Je crois qu'il ne m'aurait pas laissée tomber à l'eau sans aller me rechercher encore une fois.
Lak'Mor observa le jeune soldat. Avec Tilou, ils tentaient de tirer le
radeau hors de l'eau, mais il prit le temps de sourire à la naine
lorsqu'il vit qu'elle le regardait. Le jeune troll inclina la tête :
— Il n'y a aucun doute là-dessus.
Il donna une claque amicale dans le dos de la naine :
— Si nous allions les aider. Ces deux-là nagent peut-être comme des
poissons, mais sur la terre ferme, ils ne valent pas un troll et une
naine !
Lorsque le radeau fut bien caché dans les hautes herbes, Gornaël s'approcha de la naine :
— Et maintenant ? Où va-t-on ?
Sans la moindre hésitation, Rulna pointa le doigt à la perpendiculaire du fleuve :
— Par là !
Surpris par l'assurance qu'elle affichait, l'elfe haussa un sourcil :
— Par là ? Tu te moques de nous ? Tu n'as même pas regardé la direction que tu montrais !
Elle posa les mains sur ses hanches et se hissa sur ses pointes de pieds :
— Monsieur le suspicieux ! Depuis Rocknor, aucun nain n'a foulé ce
territoire. Alors, j'ai besoin de repères pour pouvoir nous guider. Ces
repères, je ne les aurais que lorsqu'il fera jour. Mais en attendant, je
préconise que nous nous éloignions de cette berge, afin d'éviter d'être
repérés par les trolls. Cela vous convient-il ou préférez-vous prendre
la tête de cette expédition ?
Estomaqué par cette réponse, l'elfe la
fixa silencieusement pendant quelque secondes avant de lui tourner le
dos pour s'éloigner en maugréant :
— Elle ne sait même pas où elle va !
Énervée par son attitude, elle lui répondit :
— Si tu as une meilleure idée, tu peux la suivre et tenter de trouver un abri par toi-même, sinon, on y va maintenant !
Aux premières lueurs du jour, elle demanda à Alnard de la porter pour qu'elle puisse se repérer. Il lui sourit :
— C'est toujours un plaisir Mademoiselle !
Et, sans hésiter, il la hissa sur ses épaules :
— Comme au bon vieux temps !
— Ne t'inquiètes pas, tu n'auras pas besoin de me porter toute la
journée. J'ai juste besoin de voir dans quelle direction on doit aller.
Elle observa les montagnes qui se dressaient loin devant eux et
soupira. Le fleuve les avait emmenés plus loin vers le sud-ouest que ce
qu'elle avait supposé. Elle pointa alors le doigt vers le Nord :
— Là ! Les Crocs du Loup ! Il faut aller par là !
Le jeune homme observa attentivement les montagnes sans parvenir à
différencier ces Crocs de Loup des autres sommets. Rulna voulu se
laisser glisser à terre pour reprendre la route, mais il la retint :
— Je ne parviens pas à distinguer une montagne des autres. Je crois
qu'il vaut mieux que tu restes là-haut pour nous guider. Il sentit que
les épaules de la naine s'affaissaient :
— Je vais encore être un fardeau inutile pour toi...
Tilou la rassura :
— Si tu voyais son air de grand benêt ravi, tu changerais d'avis. Et
puis, tu es la seule à pouvoir nous guider, et tu le feras bien mieux
depuis ses épaules que depuis le sol. J'ai moi-même du mal à voir
par-dessus ces herbes.
Alnard renchérit :
— Et si tu vois de quoi faire une bonne chasse, je te laisserai descendre et nous attraper un bon repas.
Vers
le milieu de la matinée, ils constatèrent que l'herbe avait été foulée
et broutée par un grand nombre de bovidés. Les bouses fraîches et
odorantes qu'ils croisaient régulièrement prouvaient que le troupeau
n'était pas loin devant eux, et Rulna s'impatientait :
— Des bisons ! Ça fait une éternité que je n'en ai pas chassé !
Lak'Mor s'étonna :
— Oh ! J'ai cru que c'étaient des buffles. Dans nos steppes, ils se déplacent en troupeau et broutent l'herbe sèche.
Telendir, silencieux jusque-là, s'irrita :
— Nains, trolls, humains ! Tous les mêmes ! Des mangeurs de viande !
Toujours prêts à tuer tout ce qui bouge, sans aucun respect pour la vie !
Rulna, Lak'Mor et Alnard le regardèrent bouche bée, sidérés par sa remarque fielleuse.
Tilou lui demanda calmement :
— Es-tu aussi acerbe envers le loup et le lynx qui tuent leurs proies pour se nourrir ?
L'elfe semblait ne pas comprendre où il voulait en venir :
— Bien-sûr que non, c'est dans leur nature.
— Nains, trolls, humains, il est aussi dans notre nature de chasser
pour nous nourrir. Cela fait-il de nous des personnes mauvaises ?
Telendir hésita avant de répondre :
— Le fait est que vos trois races ont combattu notre peuple et que nous sommes aujourd'hui au bord du gouffre.
Tilou regarda Rulna. Son peuple était passé lui aussi près du gouffre. À
quel point était-il sorti d'affaire aujourd'hui ? Un détail lui revint à
l'esprit :
— Quand a commencé votre guerre contre les nains ?
— Il y a une centaine d'années.
— Mais vous avez chassé les nains de Rorg Alren, leur cité première, il
y a plus de cinq cents ans. Quelle est la part de responsabilité de
votre peuple dans cette guerre ?
Sans lui laisser le temps de répondre, il poursuivit :
— Mon peuple ignorait tout du vôtre, jusqu'à ce que votre mépris envers
les « mangeurs de viande » ne vous pousse à nous attaquer pour protéger
la nature. J'ai traversé votre forêt depuis Vertpré jusqu'à Tirwendel
et Rorg Alren. Elle est magnifique et mérite d'être protégée. Mais
étiez-vous à ce point obligés de nous attaquer sans même chercher à
négocier avec nous ? Quant à cette guerre entre vous et les trolls,
Lak'Mor ignore quelle en est la raison, mais nous pensons qu'elle a un
lien avec Gorwindel, que vous avez enfermé sur cette île après la
bataille de Rocknor.
Il constata que Telendir se renfrognait. Probablement avait-il manqué de tact :
— Votre peuple est un grand peuple. Vous avez fait des choses
extraordinaires, vous avez acquis des connaissances phénoménales et une
sagesse que je ne peux même pas imaginer. Mais peut-être devriez-vous
arrêter de considérer les autres peuples comme des nuisibles qu'il
faudrait éliminer.
L'elfe les regarda quelques secondes, les deux
humains, la naine juchée sur les épaules du plus grand, et le troll qui
marchait à leurs côtés comme s'ils étaient amis depuis longtemps, mais
il ne comprenait pas la logique de leur relation.
Rulna pointa soudain le doigt vers l'ouest :
— Tu vois cette colline ? Il faut y aller !
Alnard chercha attentivement dans la direction qu'elle pointait, mais
ne vit tout au plus qu'une petite bosse quatre ou cinq mètres plus haute
que la prairie. Il obtempéra sans rechigner, et Rulna expliqua :
—
Après la perte de Rorg Alren, les nains se sont repliés vers les
montagnes. Mais pour surveiller la frontière, ils ont bâti des postes
avancés. Je suis à peu près certaine que c'en est un. Et au pire, si je
me trompe, de là-haut, nous pourrons voir où se situe le troupeau.
Gornaël s'approcha :
— Tu veux que nous venions trouver refuge ici, c'est bien gentil, mais
depuis que nous sommes là, je n'ai rien vu qui puisse nourrir un elfe !
Alors mourir de faim ici ou chez nous en défendant notre terre, mon
choix est vite fait !
Tilou s'étonna :
— Tu n'as rien vu de comestible ? Mais on pourrait nourrir une armée avec ce que j'ai déjà repéré.
Rulna soupira :
— Laisse tomber. Notre ami est un membre du peuple des arbres. Sorti de sa forêt, il ne connaît plus grand-chose.
Elle se tourna vers l'elfe :
— J'ai l'impression qu'il va falloir modifier ton menu habituel et
apprendre deux ou trois choses de ces créatures néfastes que nous
sommes.
Prenant conscience qu'elle s'était montrée un peu trop sarcastique, elle se fit plus rassurante :
— Et nous sommes loin d'être arrivés à destination. J'aimerais vous
conduire jusqu'à Gar Taln, là-bas, la montagne est couverte de forêt. Ça
devrait vous plaire.
Elle tendit la main vers la petite colline :
— Mais en attendant, cet avant-poste fera l'affaire.
À
peine arrivés sur le petit talus, Rulna sauta à terre et se mit à
l'inspecter attentivement à la recherche du moindre indice qui
dévoilerait une porte cachée. Après l'avoir parcouru plusieurs fois sur
toute sa surface, elle finit par s'exclamer :
— Ça y est ! Je t'ai trouvée !
Elle appuya énergiquement sur une petite pierre qui semblait engoncée
dans la terre, mais qui s'enfonça sur quelques centimètres
supplémentaires. Un léger bruit métallique se fit entendre sous leurs
pieds, et un gros bloc de rocher se déplaça vers la pente, avant de
s'immobiliser. En fermant les yeux, Rulna glissa ses mains dans l'espace
qui venait de se dégager entre le rocher et la pente du talus, puis
elle fit le tour du rocher avant d'ouvrir les yeux et d'afficher un
sourire radieux :
— Je te tiens !
Elle tira alors avec force sur
ce qui n'était qu'une lourde porte camouflée en rocher, avant de lire
l'inscription qui y était gravée :
— Je vous souhaite la bienvenue à Rel Da Gar Taln, la colline fortifiée de Gar Taln.
Elle s'engouffra la première dans l'étroite ouverture, suivie par
Alnard, Tilou et Delendir, pendant que Lak'Mor observait la prairie à la
recherche du troupeau, et que les trois elfes se regardaient en se
demandant que faire. Rulna ressortit au bout de quelques minutes et
interpella Gornaël :
— Eh les gars ! Si vous voulez pouvoir faire votre rapport à Raëlnor, il va falloir vous décider à faire la visite !
Telendir fut le premier à se décider, suivi par Milnëor. Gornaël haussa
les épaules en ronchonnant avant de leur emboîter le pas.
Ils
durent se baisser et franchir une chicane avant d'entrer dans la
première salle, beaucoup trop basse pour qu'ils puissent s'y déplacer à
leur aise. Ils se trouvèrent bien encombrés par leurs arcs et durent les
laisser près de l'entrée. Rulna haussa les épaules en tournant ses
mains vers le plafond :
— Je suis désolée, les légendes ne
mentionnaient pas que les elfes auraient des soucis pour se déplacer
dans les avants postes. En même temps, je crois bien que c'était
l'objectif de ceux qui ont construit cet endroit.
Elle se dirigea vers un escalier au fond de la pièce :
— Attention, les marches sont petites pour vous. Mais Alnard est arrivé
en bas sans encombre en descendant en marche arrière. Encore une fois,
je crois que c'est pour gêner les mouvements des elfes qui voudraient
prendre cette place par la force. Mais rassurez-vous, ça ira mieux en
bas.
Les trois elfes se sentirent effectivement plus à leur aise
dans la grande salle circulaire, soutenue par douze colonnes de pierre
brute, taillées sans réel souci esthétique.
La naine leur présenta les lieux :
— Vous êtes ici sur la place centrale de Rel Da Gar Taln. Cet
avant-poste est vraiment beaucoup plus petit que Rorg Alren, vous verrez
qu'il est donc bien plus simple de s'y repérer.
Elle montra la porte qui leur faisait face :
— Devant vous, il y a les habitations. Rien de bien luxueux, juste un
confort sommaire, mais suffisant. Sur votre gauche, les réserves. Ce qui
reste de nourriture est bon à jeter, mais il y a un puits d'eau
potable, et quelques armes naines... J'irai voir ça de plus près quand
j'aurai le temps. Sur votre droite, les locaux techniques. Infirmerie,
forge, ateliers divers et salle du conseil. Ce sera un peu serré, mais
vous devriez pouvoir tous tenir ici, le temps de vous préparer pour
aller à Gar Taln.
Milnëor plissa les yeux avant de demander :
— Qu'est-ce qui nous garantit qu'il n'y aura personne pour nous attendre là-bas ?
Elle le fixa en souriant :
— Absolument rien si ce n'est ma bonne tête !
Il ne semblait pas convaincu, alors Telendir lui rappela quelques évidences :
— Rulna est une naine, d'accord. Mais si elle avait voulu nous nuire,
le plus simple pour elle aurait été de laisser les trolls nous capturer
le jour où elle nous a trouvés. Et puis, c'est elle qui s'est tuée à la
tâche pour libérer le passage qui nous a permis de récupérer une bonne
partie des enfants, au nez et à la barbe des trolls.
Si elle nous voulait du mal, elle s'y prendrait d'une bien étrange façon.
Bien que les arguments soient logiques, Milnëor n'était toujours pas convaincu, mais il concéda :
— Soit, il n'y a pas âme qui vive ici, mais lorsque nous approcherons de Gar Taln, nous devrons redoubler de prudence.
La naine applaudit :
— Voilà qui est bien parlé ! Je vous laisse visiter les lieux, vous ne
pouvez pas vous perdre. Moi, j'ai faim, et un troupeau nous attends !
Les elfes lui répondirent par une grimace horrifiée qui la laissa de marbre. Elle se tourna vers Tilou et Alnard :
— Allez les gars, il va falloir mériter notre repas !
Alnard la suivit, mais Tilou déclina l'invitation :
— Allez-y sans moi. Je vais aider nos amis à trouver de quoi manger.
Pendant
que Rulna cherchait l'entrée du refuge, le jeune forgeron avait profité
de ce point élevé pour observer la prairie à la recherche d'un endroit
susceptible de fournir de la nourriture aux elfes. Il avait remarqué
vers le nord-ouest les plumeaux caractéristiques de massettes et
quelques buissons où il espérait trouver des baies comestibles.
En chemin, il expliqua aux quatre elfes :
— Pour autant que je sache, tous les milieux offrent assez de nourriture pour ceux qui savent quoi chercher.
Ils arrivèrent au bord d'un petit ruisseau qui coulait vers le fleuve.
Ils en remontèrent le cours jusqu'à ce qu'il s'élargisse pour former un
petit lac. Tilou leur montra les massettes :
— Cette plante-là est
comestible. Les rhizomes, les jeunes pousses et les fleurs quand elles
ne sont pas encore ouvertes. Il en récolta plusieurs plants pour leur
faire goûter au refuge.
Il repéra des plants de carottes sauvages,
vérifia bien qu'il ne s'agissait pas de grande cigüe, expliqua la
différence entre les deux, et en récolta une bonne vingtaine de racines.
Ils coupèrent au travers de la prairie pour regagner le refuge et
trouvèrent les buissons que Tilou avait remarqués depuis le promontoire :
— Des groseilles ! On a trouvé notre dessert !
Gornaël se méfiait de ces baies rouges qu'il ne connaissait pas :
— Tu es certain que ça se mange ? Il existe des baies rouges dans la forêt. Elles sont pratiquement toutes dangereuses !
Pour seule réponse, Tilou en récolta une pleine poignée qui mangea comme un glouton :
— Et comment ! Mais si vous n'en voulez pas, je ne m'en formaliserai pas.
Sans plus attendre, il tissa un panier sommaire avec les tiges des
graminées qui les entouraient, prenant grand soin de mettre de côté les
épis qui semblaient bien murs :
— Avec ces grains et ces groseilles,
nous avons de quoi préparer des galettes de voyage de premier choix.
Vous m'en direz des nouvelles !
Tilou récolta encore quelques
feuilles d'ail des ours pour agrémenter leur repas, mais les elfes
semblaient ne pas apprécier l'odeur dégagée par cette plante.
De
retour à l'avant-poste, ils constatèrent que Rulna, Alnard et Lak'Mor
avaient abattu un bison de bonne taille. Tilou s'étonna :
— C'est peut-être un peu trop pour nous quatre non ?
Rulna lui sourit, satisfaite de leur prise :
— On s'était décidé pour une jeune génisse, mais ce gros mâle n'avait pas l'air d'accord.
Alnard précisa :
— Il nous a chargé. Je n'ai pas l'habitude de chasser ce genre de
gibier, Mais Lak'Mor, lui, il a assuré ! Un coup de masse. Un seul ! Et
c'était fini.
Rulna protesta avec humour :
— J'allais l'avoir
avec mes haches, mais ce grand dadais tenait tellement à nous épater
avec ses techniques de chasse... Je n'ai pas eu le courage de le
décevoir.
Elle regarda l'entrée du refuge puis le bison en se grattant la tête :
— Il va falloir le dépecer pour le faire entrer.
Le jeune forgeron s'inquiéta pourtant :
— Sans vouloir préjuger de ton appétit, nous ne pourrons jamais tout manger avant que toute cette viande ne se gâte.
— Tu crois qu'on t'a attendu pour apprendre à conserver notre viande ? Il y a un fumoir à l'intérieur.
Tilou se tourna vers la petite bute :
— Ah ! Mais, je n'ai pas vu de cheminée...
Rulna se redressa et le fixa d'un air dépité :
— Ici, c'est un avant-poste pour observer les elfes. Pas pour nous
faire repérer. Et puis, dans un fumoir, tu veux qu'elle aille où la
fumée ? Dans le ciel ou dans la viande ?
Elle soupira en secouant la tête de gauche à droite et s'attaqua au dépeçage.
Lorsqu'en
milieu d'après-midi, Rulna et Alnard en eurent fini avec la viande. La
naine alimenta le foyer du fumoir pour qu'il soit actif jusqu'au matin.
De leur côté, Lak'Mor et Tilou avaient montré aux elfes les plantes
qu'ils appréciaient et ils en avaient récoltées assez pour nourrir les
enfants pendant deux jours, ce qui serait suffisant dans un premier
temps.
Gornaël regarda le soleil qui déclinait :
— Nous ferions bien de nous remettre en route. J'aimerais qu'on puisse faire traverser quelques enfants cette nuit.
Tilou acquiesça :
— Bonne idée.
Il se tourna vers la naine :
— Qu'en penses-tu ?
Elle jeta un coup d'œil vers les montagnes avec une pointe de déception :
— J'aurais adoré pousser jusqu'à Gar Taln, mais Gornaël a raison. Nous
devons leur faire quitter Rorg Alren au plus vite. Quand les trolls
auront trouvé toutes les entrées, il sera trop tard.
La
nuit venait de tomber lorsqu'ils arrivèrent sur la berge du fleuve.
Tilou et Alnard récupérèrent le radeau et ils se dirigèrent vers l'amont
avant d'envisager la traversée.
Milnëor se proposa de rester sur
place pour guider les enfants vers le poste avancé, ce qui pourrait
peut-être permettre un second voyage dans la nuit. Tilou supposa que
l'elfe avait eu la traversée du matin en horreur, et qu'il se trouvait
là une bonne raison de ne pas réitérer l'expérience. Il jugea cependant
que l'idée était bonne et n'y vit donc aucune objection.
Avant
d'embarquer, Rulna sortit de son sac une longue corde qu'elle avait
trouvé dans les réserves de Rel Da Gar Taln. Elle la fixa sur le tronc
du plus gros arbuste qu'elle trouva et expliqua :
— Comme il n'y a
guère que Tilou et Alnard qui sachent diriger un radeau, nous nous
servirons de cette corde pour traverser avec les enfants. Avec un peu de
chance, on devrait pouvoir gagner un peu de temps comme ça.
Elle se tourna vers Milnëor :
— Je compte sur toi pour veiller à ce qu'elle ne se décroche pas.
L'elfe apprécia cette marque de confiance, et cette raison supplémentaire de rester sur cette berge :
— J'y veillerai.
Durant
la traversée, Alnard se tourna vers Rulna lorsqu'ils arrivèrent au
niveau des vagues les plus grosses. Il l'interrogea du regard et elle
répondit par un sourire légèrement crispé avant de s'accrocher aux
cordages.
Arrivés sur la berge, ils tirèrent à nouveau le radeau
vers l'amont pour s'approcher au maximum de l'entrée de Rorg Alren. Puis
la naine fixa sa corde sur le tronc d'un saule qui bordait le fleuve et
s'assura qu'elle ne serait pas trop visible depuis la berge avant de
conduire le groupe vers l'entrée du fleuve.
Arrivés dans la cité naine, Gornaël les conduisit immédiatement à la salle du trône, et Tilou nota mi-amusé, mi-agacé :
— C'est quand même plus facile quand on est escortés par des elfes !
Les gardes ouvrirent la porte de la salle et, pendant qu'un peu à
l'écart, Gornaël faisait son rapport à Raëlnor, Naëwen laissa éclater sa
joie et se précipita vers ses amis pour les enlacer les uns après les
autres, même Lak'Mor, qui fut surpris et ne sut comment réagir, sous les
yeux amusés de Rulna. La naine lui chuchota à l'oreille :
— C'est assez bizarre la première fois, mais on finit par s'y habituer.
Naëwen prit enfin les mains de la naine :
— Alors ? Est-ce qu'on peut faire la traversée en sécurité ?
— La traversée peut se faire de nuit. Nous avons installé une corde en
travers du fleuve pour guider les radeaux plus facilement. Une fois de
l'autre côté, nous serons en sécurité.
Elle lança un regard vers Gornaël avant de poursuivre :
— Mais il n'y aura pas de forêt avant d'atteindre la montagne. Alors
durant le voyage, il faudra modifier un peu vos habitudes alimentaires.
Naëwen la regarda inquiète :
— Tu ne veux quand même pas nous faire manger de la viande ?
La naine pouffa :
— Non, rassure-toi, mais vous ne trouverez pas vos fruits et plantes de
la forêt là-bas. Vous aurez de quoi manger, mais ce sera différent.
Forcément. Tilou et Lak'Mor ont commencé à montrer ce qui est comestible
à Gornaël et Telendir.
Naëwen semblait pleinement rassurée :
— Bien. Quand pouvons-nous partir ?
Surprise par l'entrain de son amie, Rulna se tourna vers Raëlnor :
— Nous, nous sommes prêts. Mais lui ? Et les enfants ?
L'elfe fit un signe vers un des archers :
— Faites réveiller les enfants ! Qu'ils soient prêts à partir le plus tôt possible !
L'archer s'inclina et sortit rapidement de la salle. Naëwen se tourna alors vers Raëlnor :
— Préparez-vous, nous allons faire traverser autant d'enfants que
possible dès cette nuit. Mes amis vont vous expliquer comment.
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