Les cendres de tirwendel - Chapitre LXIII

 

LXIII

Une patrouille arriva sur l'île dans un état d'excitation comme Shack'Gan n'en avait plus vu depuis longtemps chez les trolls. Il comprit à leur air réjouit qu'ils avaient trouvé quelque chose et cela ne présageait rien de bon pour les elfes qui s'étaient échappés. Tark'Olg était parti en patrouille, comme tous ses guerriers encore valides, pour tenter de retrouver les évadés dont il avait la charge, aussi le chef de la patrouille se mit-il à la recherche de Zol'Kor. Un blessé lui expliqua que depuis l'attaque, il passait le plus clair de son temps au fond du tunnel, pour tenter de forcer le passage qu'avaient emprunté nombre d'elfes pour quitter l'île.

Lorsqu'ils ressortirent du tunnel, le chef de guerre constata que toute la patrouille était là. Il entra aussitôt dans une colère terrible :
— Pourquoi êtes-vous tous rentrés. Pourquoi n'y a-t-il pas des guerriers là-bas pour surveiller cette entrée et tuer tout ce qui passe par là ?
Le guerrier sembla se recroqueviller sur lui-même :
— C'est que nous avons craint que cela ne soit qu'un piège... Nous sommes venus chercher des renforts...
— Un piège ? Tendu par une bande de gamins et trois elfes décatis ? Seriez-vous tous des couards ? Tu mériterais que je te fasse exécuter pour trahison !
Zol'Kor poussa un hurlement qui glaça le sang des trolls blessés. Aussitôt une quinzaine de ces guerriers accourut. Il donna quelques ordres brefs et dans la minute qui suivit, tous étaient prêts à partir en patrouille.
Zol'Kor jeta un coup d'œil vers le mage et l'interpella :
— Tu viens aussi avec nous ! À moins que quelques petits bobos ne te retiennent ici...
Shack'Gan balaya les blessés du regard. Aucun d'entre eux ne nécessitait de soins vitaux ou urgent. Il se leva donc, prit son sac de remèdes et s'approcha du chef de guerre :
— Où allons-nous ?
— Mettre la main sur des elfes.

Gurt'Rak, le chef de la patrouille, les conduisit loin dans la forêt, sur un promontoire rocheux. De là, ils s'éloignèrent vers le Sud jusqu'à un tas de rochers au pied d'un grand chêne. Gurt'Rak montra l'amas de pierres :
— C'est là ! Quand nous avons vu ces traces, nous avons remonté la piste jusqu'ici. Nous avons cherché l'entrée du terrier, elle est bien dissimulée – il montra une petite cavité sans intérêt – dans ce trou, cachée derrière un rocher. Il a fallu que Zar'Korg se glisse là-dedans pour la trouver. Le passage est très étroit. Jamais nous ne pourrons attaquer par là, mais on s'est dit qu'on pouvait poser des pièges et monter la garde pour attraper ceux qui passeront à nouveau par là.

Shack'Gan examina attentivement les traces de passage. Un détail lui sembla étrange :
— Je ne suis pas un bon pisteur, mais je crois bien que personne ne passera par ici avant longtemps.
Gurt'Rak le fixa, mi-étonné, mi-énervé :
— Qu'est-ce qui te fait dire ça ?
Le mage lui montra les traces qu'il avait pu observer :
— Je ne vois aucune trace qui revienne par ici. J'en conclus donc que vous avez été repérés et que ceux qui sont sortis par là ne sont jamais revenus. Mais comme je l'ai dit, je suis loin d'être un bon pisteur.
Zol'Kor fit un geste de la main vers l'un de ses guerriers qui se mit à suivre la piste. Il se dirigea rapidement vers le sud-est, et Gurt'Rak expliqua précipitamment :
— Nous avons, nous aussi, suivi cette piste, mais nous avons perdu la trace quand ils ont dû grimper dans les arbres.
Le chef de guerre le fixa d'un air sombre :
— Alors, vous avez fui comme des lâches.
Gurt'Rak s'offusqua :
— Est-ce que tu sais le nombre de patrouilles qui sont parties à la recherche de ces maudits elfes et qui ne sont jamais rentrées ? Est-ce que tu as la moindre idée du nombre de guerriers que nous avons perdu dans cette forêt infernale ? Nous avons trouvé cette entrée de terrier, et nous sommes rentrés pour rendre compte. Combien d'entrées tes guerriers ont-ils trouvées ? Aucune. Alors, tu n'as pas de leçon à me donner !
Zol'Kor serra si fort la poignée de sa masse de guerre qu'il donnait l'impression de vouloir la broyer. Lorsqu'il s'en rendit compte, Gurt'Rak regretta l'audace dont il venait de faire preuve envers l'ombrageux chef de guerre.

Le pisteur s'arrêta soudain, cherchant attentivement la moindre trace au sol, en vain. Il s'approcha de Zol'Kor :
— Je perds la piste ici. De nombreux trolls sont venus ici. Ils ont laissé des traces partout autour de nous, mais je n'en trouve plus aucune des elfes.
Le chef de guerre se tourna vers Gurt'Rak en fulminant :
— Voilà comment vous avez été repérés ! Vous avez laissé autant de traces que la horde entière ! Espèces d'incapables !
Il aboya un ordre à ses guerriers :
— Fouillez la zone ! Trouvez par où ils sont repartis ! Nous ne quitterons pas cet endroit tant que vous n'aurez pas retrouvé ces elfes.

Le soleil était encore haut dans le ciel lorsqu'un guerrier de Tark'Olg s'approcha :
— J'ai trouvé des traces étranges... Je ne sais pas comment les interpréter.
Zol'Kor fit chercher son pisteur et le guerrier lui montra les traces en question. Le pisteur les examina et se frotta la tête, perplexe :
— Je vois les traces de trois elfes, dont un petit et d'un troll. Mais les traces se mélangent, comme si ces quatre-là se déplaçaient ensemble...
Shack'Gan sourit intérieurement : Son jeune ami était encore en vie. Zol'Kor en était arrivé à la même conclusion :
— Lak'Mor, le traître ! Je le tuerai de mes propres mains !
Revenant au pisteur, il lui demanda :
— Et ces traces, tu peux les suivre ?

Le pisteur les mena rapidement vers le centre de la zone, où il retrouva les traces des elfes qui les avaient menés jusqu'ici. Puis, suivant la piste avec aisance, ils arrivèrent jusqu'à une petite clairière au bord d'une falaise qui dominait le fleuve et l'île. Shack'Gan s'attarda quelques instants devant le panorama. Il observa la grande prairie de l'autre côté du fleuve, et réalisa qu'il avait quitté sa steppe depuis bien trop longtemps à son goût. Son fils avait-il déjà réussi sa première chasse ? Sa compagne ne trouvait-elle pas le temps trop long ? Le savait-elle encore en vie ?
Un guerrier de Tark'Olg l'interpella :
— On n'a pas le temps de s'endormir ! Dépêche-toi, je préférerais qu'on ait trouvé cette autre entrée de terrier avant la nuit !

Le pisteur s'arrêta enfin au pied d'un affleurement rocheux :
— Je perds la piste ici. Toutes les traces s'arrêtent au niveau de ces rochers.
Zol'Kor afficha un sourire carnassier :
— La moitié du groupe cherche si la piste reprend plus loin, l'autre moitié fouille chaque pierre à la recherche d'une entrée !
Les trolls s'exécutèrent sans discuter, et après une vingtaine de minutes, un troll s'écria :
— J'ai trouvé un passage ! Ce n'est pas très large, mais un elfe doit pouvoir s'y glisser.
Zol'Kor s'approcha rapidement et ordonna à Gurt'Rak :
— Qu'est-ce que tu attends ? Vas voir de quoi il retourne !
Le guerrier observa le trou, à peine assez large pour qu'il puisse s'y glisser, et imagina une bande d'elfes prêts à lui régler son affaire là où il pourrait à peine bouger un doigt :
— Mais c'est trop étroit ! Jamais je ne pourrais avancer là-dedans !
Le chef de guerre laissa s'exprimer sa colère :
— Tu n'avais qu'à empêcher les elfes d'entrer là-dedans ! Tu as préféré te mettre en sécurité, maintenant, tu dois réparer ton erreur !
Shack'Gan s'approcha à son tour :
— Je ne doute pas un instant du courage de Gurt'Rak, mais il a raison, le passage est étroit, trop étroit pour qu'il puisse s'y défendre si des elfes l'y attendent.
Il invoqua une petite boule de feu et la leva sous le nez de Zol'Kor qui dû reculer pour ne pas être brûlé :
— Moi, en revanche, je peux me défendre sans avoir de grands gestes à faire.
Le chef de guerre le fixa comme s'il essayait de lire dans ses pensées. Au bout de quelques secondes, il accepta la proposition du mage :
— Si tu insistes, je ne te refuserai pas ce plaisir, mais Gurt'Rak te suivra. Si jamais il t'arrivait malheur, il reviendra nous en informer.
Le sourire mauvais qu'il affichait montrait à quel point cette éventualité n'était pas pour lui déplaire.

Shack'Gan se glissa dans la mince ouverture, et très vite, il dut se contorsionner pour pouvoir avancer. Juste derrière lui, il entendait Gurt'Rak qui s'efforçait de le suivre. Lorsque le guerrier s'estima suffisamment loin de l'entrée pour ne plus être entendu par Zol'Kor, il demanda à voix basse :
— Pourquoi tu t'es proposé pour entrer là-dedans ? On n'est pas près de ressortir d'ici. Si ce ne sont pas les elfes qui nous tuent, ce sera ce maudit tunnel !
— Je l'ai dit, je peux me défendre même dans ce trou de souris. Et puis, Lak'Mor est mon ami. Je ne tiens pas à ce qu'il soit tué sans avoir l'occasion de nous expliquer pourquoi il a rejoint les elfes. Enfin, je pense sincèrement que Zol'Kor ne verrait aucun inconvénient à tuer tous les elfes qui seraient dans ce tunnel.
Gurt'Rak s'offusqua :
— Mais ils sont sous la garde de Tark'Olg ! Ort'Kan le fera exécuter s'il tue les elfes !
— Penses-tu que Zol'Kor s'en soucie ?
Le silence renfrogné de Gurt'Rak parlait pour lui.

Le passage devint soudain plus large et les deux trolls purent se redresser et bouger à leur aise. Shack'Gan prévint néanmoins en invoquant une petite boule de feu pour éclairer devant leurs pas :
— Méfions-nous, il pourrait y avoir des pièges.
Gurt'Rak en doutait :
— Les elfes sont des proies, qui préfèrent fuir ou se défendre, mais ils n'utilisent jamais de piège. Ce ne sont pas des chasseurs.
— Tu oublies qu'il n'y a pas que des elfes. Il y a des humains et un troll avec eux. Et je peux t'assurer que ce sont des chasseurs.
Ils arrivèrent face à une rangée de pics en acier plantés dans le sol, les pointes d'une dizaine de centimètres prêtes à transpercer le pied du malheureux qui viendrait à ne pas les voir.
Ils traversèrent le passage dangereux avec la plus extrême prudence, après quoi le passage s'élargit encore, et la voûte devint circulaire, parfois renforcée d'arches maçonnées. Gurt'Rak s'interrogea :
— Je n'ai jamais vu de chose semblable. Les elfes vivent dans les arbres, pas sous terre. Comment ont-ils pu découper ces pierres de cette façon ? Et comment les ont-ils assemblées pour que ça tienne sans tomber ?
Shack'Gan connaissait la réponse, mais il ne voyait aucune raison de dévoiler l'existence des nains. Il se contenta donc de hausser les épaules et Gurt'Rak s'en contenta.

Ils arrivèrent enfin face à une porte similaire à celle qui fermait le tunnel de l'île. Le guerrier s'exclama :
— Fin du voyage, faisons demi-tour, je n'ai aucune envie de m'attarder ici, et je ne me vois pas creuser à côté de cette chose pour la contourner comme nos amis sur l'île.
Joignant le geste à la parole, il fit demi-tour, invitant le mage à en faire autant. Songeur, celui-ci fixait la porte :
— Vas-y, je tente quelque chose et j'arrive.
Sur ce, il invoqua une boule de feu qu'il projeta sur la porte, sans résultat. Il recommença une dizaine de fois. Comme la porte ne semblait pas souffrir de ses attaques, Shack'Gan invoqua la plus grosse boule de feu possible et prévint son compagnon :
— Tu ferais mieux de t'éloigner. La dernière fois, des guerriers de Zol'Kor y ont laissé quelques poils.
Gurt'Rak avait entendu des trolls parler de cet incident et ne tenait pas à être une nouvelle victime des attaques magiques :
— D'accord, je commence à retourner à la surface. Ne traîne pas trop, ou Zol'Kor me fera refaire le chemin pour aller te chercher.

Lorsque le guerrier se fut assez éloigné, Shack'Gan projeta sa boule de feu sur le sol, au pied de la porte. Sous l'effet de la chaleur, la terre fondit. Surpris par cette réaction du sol, Shack'Gan resta quelques instants pour observer ce qui se passait. En refroidissant, la terre durcit, puis elle craquela en émettant des petits claquements secs. La curiosité poussa le mage à en récupérer un morceau encore chaud. Il constata alors qu'il avait dans la main la même matière que celle des armes qui avaient fait tant de dégâts lors de l'attaque des elfes sur l'île. Satisfait d'avoir découvert l'un des secrets des mages de la matière et espérant que son avertissement serait bien compris, il fit demi-tour.

 

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