Litak du clan de la Forêt Sombre - Chapitre XLVII
XLVII
Elle se réveilla trempée. Un rapide coup d'œil lui apprit que le frère de Paharvis lui avait lancé un seau d'eau glacée.
— Fini de dormir, tu n'es pas là pour te reposer, tu vas devoir
apprendre à obéir. Le maître a un programme spécial pour toi...
Elle
observa la cour. Le jeune orque de la veille était à nouveau attaché en
face d'elle. Il était mal en point. Une jeune humaine lui appliquait un
baume sur le dos et elle percevait du soulagement chez lui. Lorsqu'elle
eut terminé ses soins, elle s'approcha avec un petit seau et un gobelet
et elle fit boire Litak.
— Méfie-toi de Tibair, il t'en veut d'avoir tué son frère. S'il le peut, il te le fera payer.
Tibair accourut et gifla la jeune fille qui tomba aux pieds de Litak.
— Qui t'a autorisé à faire boire cette bête.
La petite se massa la joue.
— Mais, elle est là depuis le matin. Il fait chaud, je pensais bien faire.
— Je t'interdis de lui donner quoi que ce soit ! Fiche le camp de là !
Il la regarda partir en maugréant :
— C'est bien la sœur de Farabert. Irrécupérables ces deux-là. Ils sont
presque devenus aussi sauvages que les animaux chez qui on les a
retrouvés.
Litak accueillit cette information avec espoir. Le jeune Farabert s'était montré compatissant et même, elle en était certaine, protecteur envers elle et ceux qui s'étaient échappés. Peut-être sa sœur serait-elle une alliée sur qui elle pourrait compter dans ce lieu sordide.
Halbair vint la voir quelques heures plus tard.
— Tu vas devoir apprendre quelle est ta place dans ce monde. Tu es un
animal, je suis un être supérieur, tu es une esclave, je suis ton
maître, j'ordonne, tu obéis, je te punis, tu me remercies. Tu vois,
c'est très simple. Tu peux expliquer ça à ton ami. Cet animal est un peu
buté, ou idiot, toujours est-il qu'il ne veut pas comprendre. Dans ma
grande bonté, je suis obligé de le rafistoler après chaque leçon. Si tu
parviens à le convaincre, il vivra, sinon, il vivra un enfer jusqu'à une
mort la plus tardive possible, devant tes yeux et ceux de sa petite
sœur.
Cet homme était un monstre et Litak se découvrait un sentiment qu'elle ignorait jusque-là : la haine.
Il continua son monologue :
— Vous aurez toutes les deux sa mort sur la conscience.
Sur ce, il gifla Litak.
— La leçon du jour : je te punis, tu me remercies.
Elle refusa de lui faire ce plaisir, alors il la gifla encore et
encore, attendant entre chaque coup un remerciement qui ne vint jamais.
Elle
se réveilla dans son cachot, où on l'avait jetée à la tombée de la
nuit. La sœur de Farabert lui apporta à boire ainsi qu'une sorte de
galette sèche et insipide, qu'elle lui donna au travers des barreaux de
la porte La jeune fille regarda la métisse avec curiosité. Litak sentait
qu'elle voulait parler, mais ne l'osait pas.
— Bonjour. Comment t'appelles-tu ?
La jeune fille sursauta.
— Tu... Tu parles notre langue ?
— Oui, n'aie pas peur, je ne te ferai aucun mal.
— Je m'appelle Lina. Tu sais où est mon frère ? Il n'est toujours pas rentré... Je m'inquiète pour lui.
— La dernière fois que je l'ai vu, il avait aidé certains de mes amis à
s'enfuir. Il allait bien. Mais Halbair a abandonné les siens avant que
les guerriers de mon clan ne viennent libérer les captifs. Alors, je ne
sais pas où il est maintenant.
— Oh...
Litak devinait qu'elle était inquiète, mais elle ne pouvait pas la rassurer sans lui mentir, ce qu'elle ne voulait pas faire.
— Ton frère est quelqu'un de bien, j'avais l'impression qu'il n'était pas à sa place parmi les rafleurs.
— Les rafleurs ?
— Les hommes de Halbair.
— Oh, non, il ne voulait pas aller avec eux, mais le maître l'a obligé en menaçant de me faire du mal.
— Le maître ? Mais tu es humaine, tu n'es pas son esclave !
— Et pourtant, le clan où j'ai grandi comme esclave nous traitait bien
mieux que le maître. Ils étaient gentils avec nous et moi, je les aimais
bien. Mais le maître est venu pendant la guerre, il en a tué beaucoup
et capturé les plus jeunes. Il a dit qu'il nous avait libérés... Moi
j'aimais mieux avant qu'il ne vienne. Radgog et Laïna, étaient dans
notre clan. Ce sont les derniers.
— Radgog, c'est le jeune orque qui était attaché avec moi aujourd'hui ?
— Oui.
Un homme cria dans la cour :
— Lina ! Qu'est-ce que tu fabriques encore ? Si tu ne viens pas
nettoyer les quartiers tout de suite, tu vas passer un sale quart
d'heure !
Elle sursauta, paniquée.
— Je dois y aller.
Litak avait pitié de la jeune fille.
— Courage !
Lina se retourna, surprise. Elle observa un instant la demi-orque.
Comment pouvait-elle encore l'encourager, alors qu'elle était
prisonnière sans espoir de liberté.
— Merci. Courage à toi aussi.
Elle fit demi-tour et partit en courant.
Litak s'allongea, ferma les yeux et se concentra sur la gamme du chaman :
— Bénobog ?
— Décidément, tu progresses très vite. Tu es vraiment surprenante.
Elle
ne savait pas si elle devait se réjouir du compliment et de ses
progrès, ou si elle devait s'inquiéter de l'étendue inhabituelle de ses
capacités.
— Merci. Je voulais te demander, si je pouvais, lorsque
je le désire, voyager comme je l'ai fait aujourd'hui lorsque je suis
venue te voir dans ta cellule ?
— Je ne sais pas. Dans ce domaine, c'est toi le maître et moi l'élève. Je ne pensais même pas que c'était possible.
La réponse du chaman ne satisfaisait pas Litak.
— Explique-moi, que s'est-il passé, comment as-tu réussi à faire ça ?
— Ce n'était pas la première fois, je l'ai déjà fait il y a trois
nuits, lorsque je suis allée voir Sharle. À chaque fois, j'avais perdu
connaissance. Mais j'aimerais pouvoir le faire lorsque je le décide.
— Je vois.
Il
comprenait surtout que cet humain, Sharle, était lié d'une manière ou
d'une autre à cette jeune fille. Serait-il en mesure un jour de
comprendre la nature de ce lien ?
—
Peut-être faudrait-il que tu parviennes à te détendre suffisamment pour
atteindre le même niveau de relâchement que lorsque tu es inconsciente.
— Et comment fait-on ?
— Trouve une position confortable, il ne faut pas qu'une gêne extérieure te perturbe.
Une
position confortable, rien que ça ! Sa côte la faisait souffrir, ses
épaules étaient douloureuses après une journée attachée à ce maudit
poteau et son visage était enflé à cause des gifles –combien en
avait-elle reçues ? – assénées par cet immonde Halbair.
Elle opta pour la position allongée sur le dos, les bras le long du corps, paumes tournées vers le sol.
—
Maintenant, souviens-toi de ce moment de calme et de plénitude qui t'a
permis de contacter ton amie tout à l'heure. Souviens-toi des couleurs.
Le
feu, jaune, orange, lumineux, la roche grise éclairée par le feu,
Sharle, sa veste verte, son pantalon noir, ses yeux gris, le ciel noir
piqué d'étoiles.
— Souviens-toi des sons.
Le feu qui
crépite, la respiration calme et régulière de Zanéa qui dormait, le cri
d'un tarnug au loin, la voix de Sharle, douce, posée, chaleureuse.
— Souviens-toi des odeurs.
La fumée, l'infusion qu'elle tenait dans ses mains, l'herbe sèche sur
laquelle elle était assise, le bois pas assez sec entassé à côté pour
alimenter le feu durant la nuit, l'odeur de Sharle, qu'elle ne se
souvenait pas avoir remarqué ce soir-là.
— Souviens-toi de tes sensations.
Le goût original du plat qu'ils avaient partagé, l'air froid sur sa
peau, la chaleur du feu, la douceur de la couverture qu'il avait posée
sur ses épaules, la sensation étrange qui venait du ventre et remontait
jusqu'au cœur lorsqu'il posait ses yeux sur elle, la douceur, la
bienveillance et l'intérêt qu'elle percevait chez lui. Cet espoir diffus
d'avoir trouvé ce qu'elle n'osait plus chercher...
— Essaye de sentir ton corps, là où il est en contact avec le sol. Inspire calmement. Expire lentement. À chaque fois que tu expires, tu sens ton corps devenir plus lourd. Inspire, expire, ton dos s'enfonce un peu plus dans le sol. Inspire, expire. Tes épaules s'affaissent. Inspire, expire. Tes coudes sont lourds. Inspire, expire, tes poignets à leur tour s'enfoncent un peu plus dans le sol.
Son ton était monotone, régulier. Elle se sentait lourde et étrangement légère à la fois. Lorsqu'il évoqua sa tête, elle se sentit flotter et soudain, elle se vit étendue sur le sol. Elle tenta de bouger un doigt et le vit bouger. Elle était perturbée par la sensation de son corps posé, lourd sur le sol et son esprit qui flottait au-dessus. Il lui fallut un moment pour s'habituer à la dualité de son être : son corps étendu sur le sol froid et dur et son esprit léger et libre.
Elle
percevait toujours Bénobog, qui continuait sa litanie d'instructions.
Elle n'osait l'interrompre, de peur de ne pas être en mesure de se
maintenir seule dans cet état étrange.
Elle se concentra sur Sharle
et après quelques instants, elle vit une lueur briller au travers des
murs de sa cellule. Elle se déplaça dans cette direction, traversant la
paroi de pierre et gravit la montagne qui surplombait le village.
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