Les cendres de Tirwendel - Chapitre LIII

 

LIII

Zol'Kor et Tark'Olg firent un signe et la colonne se mit en marche. Une centaine de guerriers franchirent le pont et se dirigèrent vers la forêt, à la recherche des elfes qui leur tendaient régulièrement des embuscades. Les ordres qu'ils avaient donnés étaient clairs. Ils allaient devoir avancer sur une même ligne, chaque troll, éloigné de ses voisins d'une dizaine de pas, devait fouiller la parcelle de terrain située devant lui, afin d'y chercher la moindre trace, la moindre cachette possible. Les deux chefs de guerre espéraient ainsi mettre la main sur leurs ennemis, et, éventuellement, retrouver enfin l'elfe insaisissable qui avait fui Nelandir, et qui, d'après Ort'Kan, aurait le pouvoir de réduire à néant les efforts de la horde depuis le début de la guerre.

Comme les autres, Lak'Mor avançait dans la forêt, mais il n'avait pas la même soif de sang que ses semblables. Il ne comprenait pas quel danger pour la horde représentait cette Naëwen, qui, comme ses trois amis, l'avait épargné et même soigné.
Le jeune guerrier se demandait encore ce qu'il ferait si les quatre fugitifs venaient à être retrouvés, lorsqu'il aperçut une petite empreinte de pas dans le la terre humide du sous-bois, qu'il attribua rapidement à Rulna. Il tourna son regard dans la direction qu'avait prise la naine, une petite colline plus loin, dans la forêt, et espéra qu'elle n'avait pas laissé d'autres traces, que les guerriers ne manqueraient pas de remarquer. Il guetta si les autres avaient remarqué quelque chose, mais il ne vit que des guerriers inspectant le sol, ou fouillant la cime des arbres du regard. Lak'Mor posa alors discrètement son pied par-dessus l'empreinte et prit soin de l'effacer, avant de continuer, comme si de rien n'était.
Rapidement pourtant, un troll hurla à proximité de la colline. Il venait de trouver des traces, et, malgré les ordres, les guerriers de Tark'Olg s'approchèrent, comme une meute de loups en chasse. Suivant les autres, Lak'Mor s'approcha, le cœur serré. Il fut soulagé d'apprendre que les empreintes étaient nombreuses, trop nombreuses pour être celles des quatre fugitifs.
Tark'Olg fut satisfait lorsque les pisteurs signalèrent qu'il s'agissait assurément d'elfes, une trentaine, dont certains étaient vraisemblablement blessés. Il tenait enfin ceux qui harcelaient ses guerriers. Il ordonna à ses pisteurs de suivre les traces, et tous les trolls se mirent en marche derrière eux, n'attendant qu'un signe pour passer à l'attaque.
L'excitation se transforma en une tension nerveuse après une bonne heure, alors qu'ils avaient déjà dépassé la colline. Zol'Kor lui-même commençait à perdre patience et certains guerriers évoqueèrent la possibilité d'un leurre, destiné à les éloigner de l'île, ou à les attirer dans un piège.
Lak'Mor aperçut un affleurement rocheux devant eux. Il donna un petit coup de coude à son voisin et montrant les pierres jaunâtres :
— J'ai l'impression qu'on va bientôt perdre la trace.
L'autre en était probablement arrivé à la même conclusion :
— Peut-être. Mais s'ils sont venus jusqu'ici, ils s'y sont peut-être bien cachés, ou alors, on devrait pouvoir retrouver leur piste de l'autre côté. Ils ne se sont certainement pas volatilisés.

Les trolls s'immobilisèrent devant les rochers. Tark'Olg leva un bras pour stopper la colonne et se pencha vers Zol'Kor :
— On passe de l'autre côté et on cherche leurs traces !
Le second de Ort'Kan resta silencieux. Il observait tour à tour la cime des arbres et les rochers, puis il se tourna vers Tark'Olg :
— Envoie tes pisteurs de l'autre côté. S'ils trouvent quelque chose, on avisera. Mais pour l'instant, nous allons rester ici et chercher.
— Chercher quoi ? Tu ne verras aucune trace sur la pierre !
Zol'Kor le fixa en plissant les yeux :
— Cela fait des lunes que tu cherches ces elfes, et tu ne les as toujours pas trouvés. Il est possible que tu ne les cherches pas au bon endroit.
Tark'Olg s'énerva :
— Que veux-tu dire ?
— Tu les cherches là où nous avons l'habitude de les trouver... Mais ils ne sont probablement pas cachés dans les arbres. Peut-être sont-ils cachés sous les arbres.
Il se tourna vers les guerriers :
— Cherchez l'entrée d'un terrier !
Tark'Olg s'emporta :
— Nous ne sommes pas à la chasse au lapin ! Tu nous fais perdre du temps !
Zol'Kor lui répondit sur un ton glacial :
— Si tu y tiens, continue avec ta méthode, elle a l'air efficace. Combien de guerriers as-tu perdus déjà à cause de ces elfes ?
Il n'attendait aucune réponse et ordonna à nouveau :
— Cherchez l'entrée d'un terrier !
Ses guerriers se mirent aussitôt à l'ouvrage, tandis que les guerriers du clan de la Roche aux Démons attendaient un signe de leur chef. Celui-ci fini par céder :
— Faites comme il dit, jusqu'au retour des pisteurs.

Rapidement, un troll découvrit une petite cavité dans l'affleurement. Elle était si étroite que Lak'Mor doutait qu'un troll puisse s'y faufiler. Tark'Olg devait en penser de même :
— Nous allons poster des guerriers devant cette entrée. Comme ça pas un elfe ne pourra passer par là sans y laisser sa peau !
Zol'Kor s'impatienta :
— Et s'il n'y avait jamais eu d'elfe là-dedans ? Combien de temps tes guerriers devront rester plantés là pour en avoir le cœur net ?
Tark'Olg supportait de moins en moins les remarques sarcastiques du chef de guerre :
— Et que comptes-tu faire ?
— Nous allons chasser le lapin !
Il se tourna vers ses guerriers :
— Allumez un feu à fumées dans ce terrier ! Quoi qu'il y ait à l'intérieur, ça en sortira ou ça y mourra !
Les trolls entassèrent du bois vert et des feuillages dans la petite ouverture et ils y mirent le feu. Zol'Kor ordonna alors :
— Surveillez les fumerolles ! Il pourrait y avoir d'autres entrées.
De petites colonnes de fumée s'élevèrent de-ci de-là, aussitôt surveillées par quelques guerriers prêts à abattre leurs masses sur tout ce qui viendrait à passer par ses ouvertures, pourtant trop petites pour y glisser même un elfe.
Impuissant, Lak'Mor enrageait, espérant que les quatre fugitifs n'étaient pas piégés à l'intérieur.

Lorsque les flammes se furent enfin éteintes, les pisteurs étaient déjà rentrés, sans avoir trouvé la moindre trace, mais ils ne savaient toujours pas si les elfes étaient jamais entrés dans le terrier. Zol'Kor ordonna alors à ses guerriers de dégager un passage assez large pour un troll.
Lorsque cela fut fait, il se tourna vers Lak'Mor avec un sourire mauvais :
— Tu vas aller voir ce qu'il en est.
Comme le jeune troll le fixait incrédule, il précisa :
— Ton ami le mage ne s'est pas montré très efficace jusque-là. Peut-être auras-tu plus de résultats que lui... Allez ! De toute façon, quoi qu'il puisse y avoir là-dedans, c'est mort. Tu n'as rien à craindre !
Lak'Mor serra les poings. Zol'Kor venait d'insinuer ouvertement qu'il était un pleutre. S'il tenait un tant soit peu à son honneur, il n'avait d'autre choix que de s'exécuter.

Le tunnel était si étroit qu'il ne pouvait y avancer qu'à plat ventre, n'ayant parfois que la possibilité de se pousser de la pointe des pieds, ou de se tirer du bout des doigts, et la fumée, qui stagnait dans certaines parties hautes du tunnel, lui irritait les yeux et la gorge. Il parvint pourtant péniblement jusqu'à une petite litière, probablement celle d'un renard, dans une cavité à peine plus large que le tunnel. Là, il apercevait la lumière du jour au travers de petites fentes dans la roche, et entendait les guerriers discuter au-dessus de lui.
L'endroit était manifestement bien trop étroit pour avoir jamais abrité le moindre elfe, à tel point qu'il lui était impossible de faire demi-tour. Il dut donc se résoudre à sortir de cet endroit à reculons, sans avoir la possibilité de voir où il allait et, lorsqu'il traversa à nouveau une nappe de fumée, il dut faire un effort considérable pour ne pas céder à la panique.

Lorsqu'il parvint enfin à regagner la surface, Lak'Mor prit une grande inspiration et se tourna vers le soleil pour en sentir la chaleur. Aveuglé par la lumière intense, il lui fallut quelques instants pour constater que les guerriers groupés autour de lui attendaient avec avidité ses premiers mots. Zol'Kor les bouscula pour se frayer un passage :
— Alors ? Qu'est-ce que tu as vu ?
Lak'Mor toussa pour évacuer les poussières et la fumée qu'il avait respiré :
— Il n'y avait rien là-dedans. Ce n'est qu'un simple terrier de renard.
Le chef de guerre le fixa d'un regard suspicieux :
— Tu es certain qu'il n'y a rien d'autre là-dessous ?
Le jeune troll s'énerva :
— Mais je t'en prie, va vérifier par toi-même !
Il coupa court à la conversation et s'assit près d'un buisson, pour récupérer son souffle.

Après quelques minutes, un guerrier vint s'installer à côté de lui et tenta d'engager la conversation :
— Tu as du cran. Les elfes n'étaient pas le seul danger que tu pouvais rencontrer dans ce terrier.
Lak'Mor lui répondit irrité :
— Je sais. Fumée, poussière éboulis... Autant de bonnes raisons pour Zol'Kor de m'y envoyer !
Le guerrier s'approcha pour lui chuchoter :
— On est plusieurs à se demander... Tu n'as pas l'air d'être un couard, tes cicatrices montrent que tu es un combattant, alors, qu'est-ce qu'il te reproche au juste ?
Le jeune guerrier l'observa quelques secondes, se demandant ce qu'il pouvait ou non lui dire :
— Pour faire simple, Shack'Gan et moi ne sommes pas toujours d'accord sur ses méthodes.
L'autre observa Zol'Kor :
— Il n'a pas l'air commode, ça c'est sûr. Je crois bien que même Tark'Olg s'en méfie... Il n'est pourtant pas du genre à se laisser impressionner.
Il se pencha en arrière, posant ses mains sur le sol pour se retenir. Une pierre se décrocha et, déséquilibré, il disparut derrière le buisson. Passé l'instant de surprise, il grogna de mécontentement avant de hurler :
— J'ai trouvé l'entrée de leur terrier !

Aussitôt, les trolls arrachèrent le buisson et élargirent l'entrée, pendant que Zol'Kor et une dizaine de guerriers confectionnaient des torches. Lorsque le passage fut enfin dégagé, le chef de guerre s'y engouffra, la torche dans une main, sa masse dans l'autre. Lak'Mor voulu le suivre avec les guerriers, mais le chef de guerre le stoppa :
— Nous n'avons pas besoin de toi !
Lak'Mor s'irrita :
— Il faudrait savoir ! Tout à l'heure, tu as douté de mon courage devant les guerriers pour m'obliger à prendre seul les risques, et maintenant, tu ne veux pas que j'entre dans ce trou ! Tu estimes peut-être qu'accompagné de tes guerriers, tu ne crains rien cette fois-ci ?
Zol'Kor lui lança un regard plein de colère :
— Je ne doute pas de ton courage. Je doute de ta loyauté envers la horde.
Le jeune guerrier s'avança aussitôt vers le chef de guerre pour lui faire ravaler ses paroles, mais les guerriers s'interposèrent. Il serra les poings et fit un effort pour ne pas l'humilier devant les guerriers, sachant ce qu'il lui en coûterait :
— Tu doutes de ma loyauté envers la horde ou bien envers toi ?
Zol'Kor fit un pas vers lui ;
— Je suis Zol'Kor ! Second de Ort'Kan ! La Horde, c'est moi !
Lak'Mor tendit le bras vers les guerriers derrière lui :
— Tu te trompes. La horde, c'est eux. Toi, tu n'es qu'un chef de guerre qui devrait se soucier un peu moins de sa gloire personnelle et respecter un peu plus ses guerriers.
Le chef de guerre avança vers lui, prêt à l'écorcher vif, mais Perk'Ort le retint par le bras et lui montra les guerriers autour d'eux, qui semblaient adhérer à l'opinion du jeune troll. Après quelques secondes de flottement, Zol'Kor se détendit :
— Nous finirons cette discussion plus tard... Nous avons un terrier à vider. Toi tu restes ici, c'est un ordre !
Il fit un pas vers l'entrée du tunnel avant de se retourner avec un sourire vicieux :
— Tu vois, je me soucie de ta sécurité...

Les guerriers ressortirent après une bonne dizaine de minutes. Tark'Olg s'approcha :
— Alors ?
Zol'Kor était d'humeur encore plus sombre qu'à l'accoutumée :
— Rien. Pas le moindre elfe. Mais ils se sont cachés ici. Il y a des restes de nourriture et des traces de campement, mais ils ont quitté l'endroit peu de temps avant notre arrivée.
— Une autre sortie ?
— Non. Une petite salle, un petit couloir étroit, c'est tout. Nous les avons ratés de peu.
Lak'Mor accueillit la nouvelle avec un certain soulagement. Il se surprit à constater que si le sort des elfes qui s'attaquaient aux guerriers de Tark'Olg lui importait peu, la vie des quatre fugitifs lui semblait bien plus précieuse.

Le soleil était déjà bien bas sur l'horizon lorsque les trolls regagnèrent l'île. Zol'Kor paraissait plus irritable qu'à l'accoutumée et rares furent les guerriers qui osèrent l'approcher. Il se dirigea vers la petite cabane qu'il avait attribuée à Shack'Gan pour y interroger les otages. Après en avoir franchi la porte, il s'immobilisa, étonné par le spectacle qu'il découvrit. Le mage était assis en tailleur, les yeux fermés, face à une elfe dont il tenait la tête entre ses mains. Passé l'instant de surprise, il s'apprêta à défouler sa frustration et sa colère sur Shack'Gan, mais le garde en faction dans la petite pièce lui fit signe de se taire et lui chuchota :
— Il est en train de lire dans son esprit.
Dès lors, les digues se rompirent et le chef de guerre explosa :
— Qu'est-ce que tu fabriques ! Je ne t'ai pas demandé de faire la sieste avec les prisonniers ! Je veux savoir où se cachent les elfes qui attaquent nos patrouilles !
La jeune elfe sursauta et, désorientée par la rupture brutale du lien avec le mage, elle se recroquevilla péniblement dans un coin de la pièce. Shack'Gan ouvrit calmement les yeux et fixa silencieusement Zol'Kor quelques secondes avant de se relever lentement et de se placer entre le chef de guerre et la prisonnière :
— Ce n'est pas en les effrayant comme ça que tu vas obtenir ces réponses.
Zol'Kor pointa le doigt en direction de l'enclos :
— Donne-moi des informations, ou je vais moi-même torturer ces maudits elfes pour les obtenir !
Le mage répondit sur un ton calme, mais glacial :
— Méfie-toi de ta colère. Si Ort'Kan avait voulu les faire tuer, il ne se serait pas embarrassé de les faire conduire jusqu'ici.
Il chargea un garde de faire ramener l'elfe dans l'enclos avant de poursuivre :
— J'ai appris que d'après une de leurs légendes, les elfes ont affronté des créatures souterraines dangereuses en arrivant ici. Les elfes sont parvenus à les chasser d'ici, mais qui sait ? Peut-être utilisent-ils encore leurs nids comme cachette.
Zol'Kor explosa :
— Tu ne m'apprends rien ! On a découvert l'un de ces nids et des elfes, nombreux, s'y sont réfugiés. Mais ils étaient partis avant que nous ne découvrions ce tunnel.
Shack'Gan se montra impassible :
— Il ne te reste donc plus qu'à trouver les autres nids.

 

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