Litak du clan de la Forêt Sombre - Chapitre XLV
XLV
Elle commençait à avoir soif, mais elle imaginait bien que personne ne lui apporterait de quoi boire. Ses épaules étaient douloureuses, elle avait des pics de douleurs de manière régulière du fait de sa côte cassée et à chaque fois, elle s'efforçait de se calmer et de se détendre, car elle avait remarqué que cela apaisait sa souffrance.
— Litak ?
Elle
appréciait de pouvoir discuter avec quelqu'un, mais Bénobog s'imposait
toujours à elle sans prévenir. Cependant, se dit-elle, comment
pourrait-il la prévenir dans les circonstances où ils se trouvaient ?
— Oui.
— Veux-tu que je t'initie ?
— Tu peux le faire comme ça, maintenant ?
— Oui, sauf si tu as prévu de faire autre chose.
Elle
éclata de rire et aussitôt, sa côte lui fit mal, ce qui lui arracha un
petit cri de douleur. Le garde sur une des tours face à elle la regarda
avec un air étrange, de surprise et d'incompréhension. Il devait penser
qu'elle devenait folle, mais Litak n'en avait cure.
— Je crois que j'ai un peu de temps devant moi.
— Bien, commence par te détendre, repense à un moment de ta vie où tu te sentais bien, paisible et confiante.
Elle
chercha un instant un tel souvenir et le premier qui lui vint à
l'esprit, fut la soirée qu'elle avait passée au coin du feu avec Sharle,
lors de leur première rencontre et elle en fut surprise. Mais en y
réfléchissant, elle finit par admettre qu'effectivement, durant ces
quelques instants là, elle s'était sentie incroyablement bien, détendue
et confiante. Étrange, sachant qu'elle avait tenté de tuer Sharle
quelques heures plus tôt.
Bénobog perçut qu'un homme était présent
dans le souvenir de la demi-orque, ce qui le perturba. Il imaginait
qu'il s'agissait de ce Sharle et il en conclut qu'il devait avoir un
rôle à jouer dans le destin de Aélania, mais qu'il ne lui appartenait
pas d'en décider. Il fit donc un effort pour en faire abstraction.
— Bien, garde ce souvenir présent et pense à quelqu'un à qui tu voudrais t'adresser.
Elle
aurait volontiers discuté avec Sharle, mais elle ne savait pas où il
était. Elle était pourtant persuadée qu'il était à sa recherche, avec
les guerriers. Elle pensa alors à Siléa, qu'elle n'avait plus revu
depuis qu'elles avaient été séparées.
— Essaye de te souvenir de sa gamme.
Litak
fit un effort pour percevoir cette « voix », douce, agréable, parfois
agressive, mais souvent pour masquer un profond désespoir.
— Appelle-la, en essayant d'utiliser sa gamme.
Litak pensait que cela ne servirait à rien, mais elle n'avait rien à perdre à tenter l'expérience.
— Siléa ? Siléa, tu es là ?
Aucune réponse.
— Bénobog, elle ne répond pas !
— Recommence, mais en modifiant ta gamme pour qu'elle ressemble le plus possible à la sienne.
Elle
recommença de nombreuses fois, modifiant à chaque tentative sa façon
d'émettre. En début d'après-midi, la soif se faisait cruellement sentir,
mais elle persévérait.
— Siléa, tu es là ?
— Oui... Litak, c'est toi ?
— Oui. Je suis contente de te retrouver. Comment ça va pour toi ? Où es-tu ?
— Mais comment... ? Je n'ai réussi à parler avec personne. Je suis dans
une cellule, mais je ne vois rien, que des murs et parfois, une petite
humaine qui vient me donner de quoi manger et boire.
— Ils ne t'ont rien fait ?
— Non, c'est comme si je ne les intéressais pas. Je ne sais pas si je dois m'en réjouir ou non. Et toi, ça va ?
— Non, mais étant donné la situation, ça pourrait être pire. Il faut qu'on s'échappe d'ici.
— Mais comment ?
— Il faut entrer en contact avec les guerriers. Je suis certaine qu'ils essayent de nous retrouver. Courage.
Elle
perdit la communication avec Siléa. Bénobog n'était pas intervenu
durant la conversation, mais il tenait à féliciter la demi-orque :
— Excellent ! Je suis impressionné ! Il m'a fallu de nombreux jours pour en faire autant !
Litak
ne répondait pas. Elle était épuisée par l'effort, la soif et le manque
de sommeil. Elle se sentait sombrer dans l'obscurité. Elle eut une
dernière pensée pour Sharle avant d'avoir la même sensation étrange de
se voir de l'extérieur, inconsciente, comme lors de la mort de Xartak.
Elle percevait toujours Bénobog qui avait l'air inquiet, car il ne la
percevait plus. Elle décida donc de suivre la gamme du chaman. Elle se
dirigea vers une porte entre deux cellules, descendit un escalier, pour
entrer dans un sous-sol. Là, elle longea plusieurs cellules, jusqu'à
percevoir Siléa. Un homme était dans sa cellule, armé d'un bâton. Elle
était effrayée, mais Litak sentait que le rafleur n'avait pas
l'intention de la battre, abîmée, elle aurait moins de valeur.
— Il ne te fera aucun mal. Fais ce qu'il te demande et ne tente rien pour l'instant.
— Litak, c'est toi ?
— Oui. Courage, quoi que je fasse, je ne t'abandonnerai pas ici.
Elle
continua son chemin. La gamme de Bénobog se faisait plus nette, plus
forte. Elle le trouva enfin. Elle vit un vieil orque, usé par les
années, enchaîné à un mur. Il la perçut dès l'instant où elle était
entrée dans sa cellule. Il était à la foi rassuré de la percevoir à
nouveau, mais aussi inquiet de la sentir si proche de lui.
— Litak ?
— Je suis là. Contente de te voir enfin !
— Tu veux dire que tu es là, dans ma cellule ?
— Oui... et non. Je sais qu'en fait, je suis toujours dans la cour,
attachée aux poteaux, mais je suis aussi là avec toi. Mais pourquoi
es-tu enchaîné au mur ? Je ne comprends pas.
— Je crois qu'ils ont
décidé de me laisser mourir ici. Je suis trop vieux pour avoir une
valeur à leurs yeux. Il n'y a guère qu'une petite humaine qui vienne me
donner à manger. Elle a toujours l'air triste quand elle me voit, mais
je ne sais pas pourquoi. Il faut dire que je ne connais pas le langage
des humains.
— Comment fais-tu pour rester si calme dans
ces conditions. Tu ne représentes quand même pas un danger pour eux.
Même moi, je ne suis pas attachée comme ça dans ma cellule !
Ces
chaînes la mettaient en rage. Elle s'imagina en train de les arracher.
Et elles se mirent à bouger légèrement, à la surprise de Bénobog.
— Tu as vu ça ?
La demi-orque n'avait pas noté le côté extraordinaire de ce qui venait de se passer.
— Quoi ?
— Les chaînes, tu les as fait bouger !
— Je ne peux pas, je ne suis pas vraiment ici, je suis restée dans la cour.
— Essaye encore !
— Mais comment ?
— Fais tout ce que tu as fait juste avant qu'elles ne bougent.
Elle
se concentra sur les anneaux de métal, elle s'imagina en train de les
soulever et ils se levèrent légèrement. Elle émit un "Oh !" de surprise et tout retomba.
— Mais ? Comment est-ce possible ?
— J'ai une petite idée, une vieille légende des temps d'avant la Grande Nuit.
Litak connaissait certaines de ces légendes, son père aimait les lui raconter les soirs lorsqu'elle était petite. Une grande nation orque unie et prospère aurait bâti Babunta, il y a très longtemps, et un jour, la grande nuit était arrivée, à l'issue de laquelle seuls quelques rares braves et purs se réveillèrent...
— Peux-tu essayer de faire bouger ce caillou qui se trouve à mes pieds ?
Elle
n'aimait pas la façon dont les choses évoluaient, mais elle avait
besoin de savoir. Elle se concentra donc sur le caillou, s'imagina le
faire rouler sur le sol. Rien ne se produisit. Elle tenta l'expérience
avec une brindille, l'eau croupie au fond d'un bol, sans résultat.
Cependant, elle sentait qu'elle était en mesure de faire bouger les
attaches qui fixaient les chaînes au mur, ce qu'elle parvint à faire
rapidement. Le chaman la stoppa :
— Ne me libère pas tout de
suite, les hommes pourraient s'en apercevoir. Nous avons besoin d'un
plan pour nous évader. Mais avant tout, tu dois en savoir plus sur la
légende : elle dit qu'avant la Grande Nuit, certains chamans étaient
capables de dévier la hache d'un guerrier par la pensée. Le plus
puissant d'entre eux pouvait même repousser toute une armée... Cela
m'avait toujours semblé n'être qu'une légende, mais tu viens de me
montrer de grandes choses aujourd'hui. Tu as réussi à communiquer sur
les gammes, après seulement quelques instants d'initiation et par
toi-même, tu as su invoquer "l'Esprit Libre" pour sortir de ton corps et
"le Métal Apprivoisé" pour plier l'acier à ta volonté.
C'était
trop pour Litak. Elle ne voulait pas être une sorte de chamane que l'on
montrerait du doigt, son physique ingrat était déjà assez lourd à
porter.
— Mais je n'ai pas voulu tout ça ! Je veux juste être moi, seulement moi !
Bénobog la sentit paniquée et il voulut la rassurer :
—
Mais tu es déjà une personne extraordinaire, tu l'as toujours été : tu
es née de deux races différentes, cela ne s'était jamais vu. Personne
n'a jamais vu le fruit des amours d'un narzal et d'un speedrun, ou d'un
tripuk et d'un glapis laineux. Et pourtant, tu es là.
— Et j'ai
toujours été considérée comme un monstre, par les orques comme par les
humains... Je n'ai pas envie d'être encore plus monstrueuse.
— Mais cela n'a rien de...
Elle venait de disparaître et il craignait pour elle.
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