Les cendres de Tirwendel - Chapitre LII

 

LII

— Nous avons déjà assez de vivres pour tenir une semaine. Qu'est-ce que tu cherches encore exactement ?
Naëwen refusait de regagner l'entrée du tunnel et persistait à chercher une plante que Tilou ne connaissait pas. L'elfe releva la tête quelques secondes pour lui répondre :
— C'est une plante qui donne des fleurs jaunes, avec un cœur duveteux orange, et des pétales longs, fins et jaunes. Nous l'appelons la fleur soleil, et ses racines sont efficaces pour éviter que des plaies ne s'infectent.
Elle laissa retomber ses épaules :
— Mais nous sommes trop au nord, ce n'est pas le bon climat pour cette plante.
Elle se redressa soudain, refusant le défaitisme :
— Il faut pourtant continuer à chercher ! Le groupe de Raëlnor en aura besoin. J'ai vu plusieurs blessés parmi eux !
Tilou la comprenait. Ils étaient les premiers elfes en vie qu'elle ait rencontrés depuis que les trolls avaient attaqué Nelandir, et elle souhaitait pouvoir échanger avec eux. Il y avait cependant un obstacle de taille :
— Ce Raëlnor ne nous fait pas confiance. Je ne peux pas l'en blâmer, après tout, nous sommes vos ennemis.
Naëwen répondit vivement :
— Tu n'es pas mon ennemi ! Pas plus que Alnard ni Rulna ! Vous êtes mes amis...
Elle baissa doucement la tête :
— Les seuls qu'il me reste.
Tilou s'approcha d'elle, lui prit les mains et les souleva pour lui faire relever la tête :
— Je ne parlais pas de nous en tant qu'individus, mais en tant qu'espèce. Les humains et les nains sont les ennemis des elfes. On ne peut pas lui en vouloir s'il se méfie de nous.
Alnard s'approcha d'eux :
— Ta mère utilisait des feuilles de bouleau pour soigner nos plaies. Il m'a semblé en voir en venant ici.
Le jeune forgeron réfléchit quelques secondes, puis il fouilla dans sa besace :
— Très bonne idée ! Et j'ai ramassé des myrtilles. Je comptais les manger, mais si j'en fais une décoction, nous pourrons aussi soigner les plaies avec !
Naëwen leur sourit :
— Alors, c'est parfait ! Allons cueillir des feuilles de bouleau !

En chemin, Tilou remarqua un petit parterre où poussaient de nombreuses plantes aux longues feuilles fines et pointues, dont la base s'enroulait autours d'une longue tige qui s'enroulait en spirale à son extrémité supérieure. Là, un bulbe paraissait s'être développé au sein même de la tige. Certains de ces bulbes étaient fendus et laissaient apparaître une étrange fleur faite de nombreuses bulbilles roses d'où sortait un petit bouton vert, comme si une fleur avait poussé sur une fleur. Le jeune forgeron s'arrêta :
— De l'ail ! On va en prendre, ce sera parfait !
Alors qu'il sortait sa dague pour creuser le sol à la recherche des bulbes, Naëwen le fixa comme s'il venait de dire une énormité :
— On ne va pas ramasser ça ! C'est la plante du Mal ! Son odeur est tellement insupportable que même les animaux évitent de s'en approcher !
Tilou s'amusa de sa réaction :
— C'est vrai, si on en mange trop, on peut faire fuir son entourage, mais utilisé avec parcimonie, ça donne un bon goût aux plats, et c'est un puissant remède.
Elle le fixa, horrifiée :
— Vous mangez ça !
Il avait déjà ramassé deux bulbes et creusait pour en récolter un troisième :
— Oui, ça donne du goût, ça guérit certains maux de ventre, ça évite les rhumes, et on peut s'en servir pour désinfecter les plaies ou pour retirer des échardes.
Comme il avait l'air sérieux, elle le fixa avec de grands yeux étonnés avant d'interroger Alnard du regard. Le jeune soldat se contenta de répondre :
— Pour la cuisine, les échardes et les maux de ventre, je confirme. Pour les plaies, sa mère avait heureusement aussi d'autres soins, comme certains miels, dont l'odeur était bien plus agréable, alors elle ne m'a jamais soigné avec de l'ail, mais je fais confiance à Tilou.
Il lui sourit avec un air amusé :
— Et puis au pire, ça chasse les moustiques, c'est déjà pas si mal !

Après avoir récolté une dizaine de gousses d'ail, ils allèrent cueillir des feuilles de bouleaux à proximité de l'entrée du tunnel. Naëwen insista pour que les garçons s'appliquent à ne pas casser les branches de l'arbre, afin de ne pas le faire souffrir. Tilou et Alnard s'interrogèrent silencieusement du regard, ne sachant trop qu'en penser, mais ils commencèrent leur récolte en se pliant aux désirs de l'elfe. Leurs besaces étaient presque pleines lorsque Rulna arriva en courant, un sanglier sur les épaules :
— Vous êtes là, c'est bien ! On doit rentrer et prévenir les elfes dans le tunnel. Des trolls sont sortis de l'île, au moins une centaine ! J'ai l'impression qu'ils vont ratisser la forêt à leur recherche. S'ils trouvent le tunnel, Raëlnor et les siens sont morts !

Après avoir traversé Rorg Alren, Rulna ouvrit la porte et laissa passer l'elfe qui déboucha dans la petite cavité servant de refuge aux combattants de Raëlnor :
— Vous devez nous suivre ! Et vite !
Raëlnor s'inquiéta :
— Que se passe-t-il ?
— Rulna a vu des trolls s'approcher de ce tunnel ! Vous n'êtes plus en sécurité ici !
Plissant les yeux, le chef des elfes observa attentivement la naine, cherchant le moindre signe de duperie. Il demanda à Naëwen :
— C'est une naine... Vous lui faites confiance ?
Rulna s'en offusqua et ne laissa pas le temps à son amie de répondre :
— Écoutez mon vieux, vous avez le choix, ou bien vous me suivez vers un hypothétique piège, ou bien vous restez ici et vous faites face à une certitude : les trolls vous recherchent, ils arrivent, et je ne suis pas sûre qu'ils vous veuillent du bien. Mais je vous préviens, lorsque nous repartirons, nous refermerons la porte, et il sera inutile de venir y frapper. Je ne prendrai pas le risque de laisser entrer ces monstres dans ma cité !
Naëwen tenta d'apaiser la naine en posant doucement une main sur son épaule :
— Rulna est souvent rude, comme tous les nains, mais tout comme eux, elle a un grand sens de l'honneur et je lui confierai ma vie sans la moindre hésitation. Il en est de même pour Tilou et Alnard.

Un jeune elfe s'approcha maladroitement. Il portait une tenue de camouflage sommaire, mais efficace et ne s'était pas encore habitué à l'obscurité du tunnel :
— Il y a des trolls dehors. Ils fouillent le moindre buisson.
Il semblait sur le point de paniquer :
— Ils vont finir par trouver l'entrée du tunnel.
Raëlnor regardait tour à tour Rulna et le jeune guetteur, indécis. La naine n'y tenant plus décida de se passer de son consentement. Elle prit la main du jeune elfe :
— Viens, nous allons vous mettre à l'abri.
Elle se tourna ensuite vers les autres :
— Il y a de la place pour vous tous là-bas, et si ma présence vous gêne, ne vous inquiétez pas, c'est assez grand pour qu'on ne soit pas obligés de nous supporter à longueur de journée.
Sur ce, elle se dirigea vers le fond du tunnel, entraînant avec elle le jeune guetteur qui se tournait vers ses camarades, l'air embarrassé.
D'un signe de tête, Naëwen remercia la naine et s'adressa aux autres elfes hésitants :
— La cité est déserte. Nous sommes les quatre seules personnes à y vivre. Notre peuple n'a plus subi d'attaque des nains depuis plus de cents ans, et les humains nous laissent en paix depuis dix ans. En revanche, les trolls qui sont là dehors, nous recherchent tout autant que vous. À vous de voir avec qui vous souhaitez tenter votre chance. En ce qui me concerne, mon choix est fait depuis que Nelandir est tombée.
Elle s'approcha des blessés :
— Suivez nous. Vous ne pourrez rien faire contre les trolls.
Elle tendit la main vers un elfe d'âge mûr qui la fixa quelques secondes avant de se tourner vers l'entrée du tunnel. Une ombre vint masquer la lumière durant un court instant. Il sourit à Naëwen :
— Je crois que nous n'avons guère le choix. Je vous suis.
Il se leva péniblement, rapidement suivi par les autres, et la jeune elfe guida ses semblables vers Rorg Alren. Alnard s'approcha de Raëlnor qui fixait la lumière en serrant son arc dans sa main :
— Si vous voulez combattre, je reste avec vous. À deux, nous pouvons certainement les retarder, leur taille est un handicap dans cet espace réduit.
Surpris, l'elfe se tourna vers lui comme pour le sonder. Il se tourna à nouveau vers l'entrée du tunnel, où une nouvelle masse imposante vint bloquer la lumière, puis il jeta un coup d'œil à son carquois :
— C'est généreux de votre part, mais je crains de ne pas avoir assez de flèches à leur distribuer. Vous allez rapidement être seul à combattre.
Alnard tendit la main vers le fond du tunnel :
— Ou alors, nous pouvons aussi remettre ce combat à plus tard. Ce ne sont pas les trolls qui manquent dans la région.
Las, Raëlnor sourit :
— En effet. Vous me montrez le chemin ?

Le jeune soldat s'approchait de la porte lorsqu'il entendit quelqu'un qui courrait vers lui. Les pas s'arrêtèrent, et une voix qui lui était familière l'interpella sur un ton rassuré :
— Alnard ! Mais qu'est-ce que tu fichais ! J'allais fermer la porte !
Il sourit :
— Elle est trop choupinette à s'inquiéter pour moi !
— Arrête de raconter des bêtises et dépêche-toi !

Aussitôt qu'ils furent entrés dans Rorg Alren, Rulna referma la porte en prenant soin de ne pas faire de bruit. Elle la savait solide, comme tout ce que fabriquaient les nains, mais elle ne tenait pas à ce que les trolls comprennent que le tunnel débouchait sur une cité complète. Lorsqu'elle se fut assurée que tout était en ordre, elle se tourna vers Raëlnor :
— Alors, vous avez finalement décidé de nous suivre ? Bienvenue chez les nains... Ou ce qu'il en reste.
Elle les guida vers les premières salles éclairées de la cité, où Tilou, Naëwen et les autres elfes les attendaient. Rulna se planta devant son amie :
— Ça, c'est fait ! Et maintenant, qu'est-ce qu'on fait ?
Naëwen balaya les elfes du regard :
— On s'organise pour sauver les enfants.
L'elfe d'âge mûr lui répondit, navré :
— Ça fait des lunes qu'on essaye. Mais il y a trop de trolls là-haut.
Naëwen remarqua que Alnard hésitait à prendre la parole, elle l'y invita pourtant. Le jeune homme scruta les elfes, remarquant chez quelques-uns des indices de réprobation. Il s'avança néanmoins au milieu du groupe :
— Une attaque directe par le pont est vouée à l'échec.
Un elfe le railla :
— Merci pour l'information, nous n'avions pas encore remarqué !
Le jeune soldat remarqua que Rulna serrait ses poings, prête à se battre. Il s'approcha d'elle, posa délicatement une main sur l'épaule de la naine et lui murmura :
— Ce n'est rien, calme-toi. Garde ta rage pour ceux qui sont dehors.
Il se tourna à nouveau vers les elfes :
— Notre seule chance, c'est de les surprendre. En attaquant par le fleuve.
Raëlnor hocha la tête :
— Nous y avons déjà pensé. Mais le courant est trop fort pour le remonter, et une attaque par l'amont nous ferait forcément passer sous le pont. Les radeaux que nous tenterions de lancer vers l'île seraient immanquablement repérés et détruits avant d'avoir pu accoster.
Alnard lui sourit. Il avait trouvé cette idée durant les nuits qu'il avait passées à observer la prison des trolls, mais elle était irréalisable tant qu'ils n'étaient que quatre. Maintenant que les elfes de Raëlnor les avaient rejoints, elle restait suicidaire, mais elle avait une chance de permettre la libération des enfants :
— Des radeaux se feraient repérer, effectivement. Nous devrons donc y aller à la nage.
Les elfes le regardèrent incrédules :
— Tu nous prends pour des poissons ?
Naëwen s'approcha de lui :
— Tu es conscient que seuls toi et Tilou pouvez le faire. Mais à deux, vous n'avez aucune chance.
Le jeune forgeron avait compris le plan de son ami :
— Mais nous pouvons accrocher une corde sur l'île et la laisser se dérouler dans le courant. Un radeau pourrait alors s'en servir pour remonter le fleuve jusqu'à l'île.
Raëlnor commençait à accepter l'idée et cherchait à pousser la réflexion plus loin :
— Mais le temps que nous puissions rejoindre la berge avec les enfants, les trolls seront déjà sur place pour nous massacrer.
Alnard le fixa quelques secondes :
— C'est pour ça que nous devrons les retenir le plus longtemps possible sur le pont. Ils y seront limités par l'étroitesse du passage. Vous placerez vos archers en trois lignes espacées d'une cinquantaine de mètres. Lorsque la première ligne se repliera, elle sera couverte par les deux autres. Nous nous replierons vers l'entrée qui est proche du fleuve pour nous mettre à l'abri dans la cité.

 

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