Litak du clan de la Forêt Sombre - Chapitre XLI
XLI
À la nuit tombée, Halbair fit détacher Litak pour la jeter à nouveau dans son cachot. Elle était épuisée et avait les épaules endolories, mais elle ne se sentait pas le droit de se plaindre. Le jeune novice avait bien plus souffert qu'elle et jamais il n'avait émis la moindre plainte. Sa jeune sœur avait pleuré toute la matinée, puis une vieille femme était venue lui appliquer un baume sur sa plaie. Cela semblait l'avoir soulagée, mais la demi-orque n'avait perçu aucune empathie de la part de la soigneuse, juste de l'indifférence.
Le novice avait rapidement repris ses esprits et voyant l'air surpris de Litak, il lui avait expliqué que sa sœur perdrait toute sa valeur si elle était trop abîmée. Halbair était un marchand, il cherchait donc à tirer le meilleur prix de sa marchandise. Lui, il était un mâle. Il risquait d'être dangereux une fois adulte. Halbair devait donc le briser avant de pouvoir le vendre. Il était destiné à travailler dans les mines ou à des travaux pénibles qui exigeaient de la force. Peu importait qu'il soit couvert de cicatrices, il devait surtout être docile. Et cela lui était inenvisageable. Il n'avait qu'une idée en tête : tuer ce monstre qui avait assassiné leur mère sous leurs yeux.
Litak s'allongea à même le sol pour essayer de dormir, mais très vite, Bénobog se manifesta :
— Tu es de retour ?
Elle sursauta.
— Oui...
Elle se souvint de leur conversation du matin et sa curiosité prit le dessus :
— Pourquoi as-tu fait tout ce chemin et pris tant de risques pour me rencontrer ?
— C'est une longue histoire. J'étais le chaman de mon clan...
Litak l'interrompit :
— C'est quoi un chaman ?
— Disons que je suis parfois capable d'avoir des visions à propos de
choses passées ou à venir et qu'à l'instar de mes semblables, mon rôle
est d'interpréter ces visions et de transmettre le message aux autres.
Je n'étais pas à la bataille de la citadelle rouge durant la première
guerre des clans, car les chamans ne sont pas des combattants, mais j'ai
eu des visions de ce qui s'y déroulerait : j'ai vu les chefs tomber et
un être étrange naître d'une humaine. Dans ma vision, cette créature
s'appelait Aélania, La Lumière de Vie. Je ne savais pas trop quoi faire
avec cette vision de Aélania, alors je n'y ai plus pensé. J'ai tenté de
prévenir les chefs des clans, mais il était déjà trop tard. Mon clan m'a
chassé, jugeant que je n'avais pas averti du danger à temps. Depuis,
j'ai erré de clan en clan, apportant de l'aide où je pouvais. Mais il y a
quelques mois maintenant, au début de l'été, j'ai eu une nouvelle
vision. Aélania avait des capacités extraordinaires, mais elle était en
danger, je devais l'aider. Je ne savais pas comment, mais je devais le
faire. J'ai donc quitté mon clan et je suis parti à ta recherche.
Imagine ma surprise de te retrouver ici, alors que je te cherchais sur
votre territoire. Je suis désolé de ne pas t'avoir rencontré dans
d'autres circonstances, mais peut-être que cela devait être ainsi.
Elle ne comprenait toujours pas de quoi il s'agissait.
—
Je ne suis pas Aélania, je suis Litak, "Petite Chose". Je suis bien née
d'une humaine à la bataille de la citadelle rouge, mais je n'ai pas de
capacités extraordinaires.
— Aélania n'est pas nécessairement ton nom réel. Certains grands personnages sont appelés différemment que leur nom d'usage.
Elle comprit ce qu'il voulait dire.
— Les humains appellent le fils de notre chef "La Mort de Babunta" et nous, nous appelons Sharle "le Général".
Elle devina de la surprise chez Bénobog.
— Tu connais le Général et Le Démon Vert ?
— Oui, Urog sera un jour notre chef et nous nous sommes installés sur
les terres de Valfond, dont le Général sera un jour le chef.
— Il vous a laissés vous installer sur ses terres ?
— C'est une longue histoire, mais oui, nous ne représentons pas une
menace pour les siens et puis, son peuple est composé d'humains et
d'orques et tous y sont égaux.
Il semblait perplexe.
—
Comment La Lumière de Vie peut-elle fréquenter le Général, celui qui
avait repoussé l'armée unifiée des orques ? Aurais-je mal interprété la
vision ?
Elle
percevait le trouble dans lequel ses révélations l'avaient plongé et il
se tut quelques instants qui parurent une éternité à Litak.
— Quoi qu'il en soit, je dois te venir en aide et actuellement, je ne vois qu'une façon de le faire. De quoi es-tu capable ?
— Comment ça ?
— Y a-t-il des choses que tu saurais faire qui ne soient pas normales ?
Des choses étranges se seraient-elles produites, sans que tu comprennes
comment ?
Elle réfléchit quelques instants, mais elle ne savait
pas ce qu'elle devait chercher. Elle commença par ce qui lui semblait le
plus évident :
— Je suis capable de rêver.
— Rêver ? Qu'est-ce que c'est ?
— Lorsque je dors, il m'arrive de voir des choses qui ne sont pas
vraies, parfois, c'est agréable, parfois cela fait peur. Il y a peu de
temps, j'ai fait un rêve étrange, où deux armées s'affrontaient, des
hommes contre des orques. J'ai réveillé tout le clan. Ils ont cru que
nous étions vraiment attaqués. Tout s'est arrêté lorsque mon père m'a
réveillé.
— Tu es capable d'avoir des visions, comme moi ?
—
Non, ce ne sont que des rêves, ils n'ont aucun rapport avec la réalité.
Tous les humains rêvent et comme je suis à moitié humaine, je rêve
aussi. Parfois, ma mère parle en rêvant, moi aussi. Mais comme je suis
aussi à moitié orque, il m'arrive de parler comme une orque lorsque je
rêve, c'est pour ça que tout le clan a eu peur cette nuit-là.
— Donc tu me dis que cela n'a rien d'exceptionnel...
— Non... Quoique... Cette nuit-là, tout me paraissait si réel... Et
puis, il y avait quelqu'un d'autre dans mon rêve. Je ne sais pas qui,
mais je suis persuadée qu'il y avait quelqu'un avec moi dans ce rêve.
— Et ça, ce n'est pas habituel ?
— Non, cela ne m'était jamais arrivé, jamais avec une telle impression
de réalisme. Et aujourd'hui encore, je me souviens de chaque détail,
alors qu'habituellement, tout s'estompe avec le temps.
— Oh ! Et cela s'est-il reproduit ?
— Non... Mais il y a deux nuits, lorsque quelques mères se sont enfuies
avec leurs enfants et que le chef des rafleurs m'a battue pour ça, j'ai
fait à nouveau un rêve très étrange.
Elle hésitait à en dire plus. Il risquerait de penser qu'elle avait perdu la raison.
— Raconte-moi.
— C'est trop étrange... Je me suis vue étendue sur le sol, l'homme me
frappait encore, Xartak était mort, ceux qui n'avaient pas pu s'enfuir
étaient terrorisés. Et puis au loin, j'ai vu une lumière, que j'avais
l'impression de connaître. Je m'en suis approchée en volant au-dessus
des terres. Et puis j'ai trouvé les guerriers du clan. Ils étaient à
notre recherche pour nous libérer et ils étaient accompagnés par Sharle
et quelques soldats. Je les ai appelés, mais personne ne m'entendait. Et
puis j'ai vu que la lumière venait de Sharle. Je l'ai touché...
Elle trouvait encore cela si improbable qu'elle hésita.
— Et je crois que je suis entrée dans son rêve...
— Tu sembles troublée. Ce n'est pas habituel ?
— Non. Mais ce n'était probablement qu'un rêve. Il s'y passe parfois des choses impossibles...
— Mais tu n'es pas convaincue ?
— Non, là aussi, tout avait l'air si réel.
— Que s'est-il passé ensuite ?
— J'ai conduit Sharle jusqu'à la cachette de ceux qui s'étaient enfuis,
puis jusqu'aux rafleurs. Là, je suis entrée dans mon corps et je me
suis réveillée.
Il
fallut un long moment à Bénobog pour accepter ce que Litak venait de
lui expliquer, puis pour essayer de comprendre. Ce qu'il commençait à
entrevoir ne lui plaisait pas, mais il devait en avoir le cœur net.
— Quels étaient les points communs entre ces deux rêves ?
Litak ne s'attendait plus à ce qu'il reprenne la conversation.
— Je ne sais pas.
Elle fit un effort pour se souvenir, puis, ce fut comme une révélation :
— La lumière ! Dans les deux rêves, la lumière était la même !
— Comment ça ?
— Dans le premier rêve, je n'étais pas seule non plus, il y avait
quelqu'un, je ne savais pas qui, ce n'était qu'un personnage de lumière,
la même lumière que dans le second rêve. C'était déjà Sharle !
Cela confirmait ses inquiétudes.
— Pourquoi cet homme-là ?
Pouvait-elle
prendre le risque de lui révéler la vérité au sujet de Sharle ? Elle
essaya de percevoir les intentions du chaman : il ne semblait pas avoir
de mauvaises intentions, mais elle sentait bien qu'il n'appréciait pas
Sharle.
— Il est comme moi.
Bénobog fut frappé de stupeur.
— Enfin, un peu comme moi. Je suis née à moitié orque, à moitié humaine, lui, il l'est devenu.
— Ce que tu dis n'a aucun sens.
— Il a été élevé par une orque du nom de Wanuka, qui lui a appris à communiquer comme nous.
— C'est impossible !
Ce que Litak lui disait allait à l'encontre de toutes ses certitudes, il ne pouvait l'accepter et pourtant, il ne percevait chez elle aucune intention de mentir... Quel était le sens de la vision qu'il avait eue ? Se pourrait-il qu'il l'ait mal interprétée, que toute sa façon de penser soit erronée, ou trop restrictive pour lui permettre de comprendre toute la portée de cette vision ?
Elle
percevait le trouble qu'avaient provoqué ses révélations, mais combien
de temps lui avait-il fallu pour accepter cette vérité, alors même
qu'elle connaissait déjà Sharle ? Elle perçut qu'il parvenait à
maîtriser sa tempête intérieure et que d'autres questions allaient
bientôt arriver.
— Ce que tu me dis là est difficile à accepter,
cependant, je sens qu'il s'agit de la vérité... Il me faudra du temps
pour comprendre ce que cela implique, mais mon rôle envers toi est le
même.
Il réfléchit un instant.
— Y avait-il d'autres similitudes entre ces deux rêves ?
Elle
fit un nouvel effort de mémoire et ne trouva rien de semblable, si ce
n'est la présence de Sharle. Et pourtant, il lui semblait qu'un détail
lui échappait. Plus elle cherchait dans les souvenirs de ses rêves, plus
elle sentait qu'elle s'éloignait de la réponse. Mais si les similitudes
n'étaient pas dans les rêves, où se cachaient-elles ? Et soudain, ce
fut une évidence :
— Il y avait de l'orage ! À chaque fois !
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