Litak du clan de la Forêt Sombre - Chapitre XLIII

 

XLIII

 

Elle avait mal dormi, se demandant ce qui était arrivé à Siléa. Elle ne l'avait pas revue depuis qu'elles étaient arrivées ici. Elle avait essayé de l'appeler, mais jamais son amie n'avait répondu. Elle avait aussi tenté d'appeler le chaman, sans succès et elle avait fini par se demander comment Bénobog parvenait à discuter avec elle.

Tu es réveillée ?
Elle sursauta.
Oui. Mais dis-moi, comment fais-tu pour parler avec moi, alors que je ne parviens pas à t'appeler, ni mon amie ?
C'est un peu compliqué à expliquer. C'est une technique que m'a enseignée mon maître lors de ma formation.
Tu peux quand même essayer, j'aimerais comprendre. Et puis, je me sens moins seule quand tu me parles.
D'accord.
Il prit un temps de réflexion pour savoir comment il allait aborder le problème.
Lorsque quelqu'un te parle, tu n'as pas besoin de le voir pour savoir de qui il s'agit, tu reconnais sa gamme.
Sa gamme ?
Oui, sa gamme, c'est toutes les caractéristiques qui font que personne ne parle exactement comme les autres, un peu comme un chasseur qui essaye d'imiter le cri d'un tripuk : même si ça peut y ressembler, ce n'est jamais vraiment la même chose.
Il laissa à Litak le temps de comprendre ce qu'il venait de dire.
C'est un peu comme la voix ?
La voix ?
Oui, personne n'a la même voix. Ce sont les sons que l'on fait quand on parle comme les humains. Urog a une grosse voix, Siléa a une voix plus douce.
Il n'avait jamais envisagé la chose sous cet angle et à vrai dire, il connaissait fort peu les humains et n'avait jamais pris garde à leur façon de communiquer. Mais maintenant qu'elle en parlait, il devait bien admettre que l'analogie n'était pas mauvaise.
Oui, c'est ça, mais pour notre façon de parler. Donc, nous avons tous notre propre gamme. Si tu parviens à utiliser la même gamme qu'un autre, alors tu peux entrer en communication avec lui plus facilement et ce malgré les obstacles, comme tout ce métal dont sont faites nos cellules.
D'accord, je comprends.
Elle réfléchit un instant.
Je peux apprendre moi aussi ?
Oui, mais c'est un apprentissage long et difficile. Il faut de la pratique et beaucoup de concentration.
Il marqua une pause.
Et je crois que tu l'as déjà fait.
Comment ça ?
J'y ai réfléchi toute la nuit. Je crois que c'est ce que tu as fait lorsque tu as vu ton humain dans tes rêves.
Elle était surprise, mais aussi soulagée. Enfin, elle commençait à comprendre ces choses étranges qu'elle avait vécues ces derniers temps.
Mais pourquoi ne puis-je lui parler comme ça qu'en rêve ? Tu n'es pas en train de rêver là.
Non, mais j'ai été initié. Pas toi. Je me suis demandé comment tu avais pu y parvenir dans ces conditions. J'ai plusieurs hypothèses. La première, c'est que tu es à moitié humaine, tu peux donc plus facilement utiliser les mêmes gammes que les humains. La seconde, c'est l'orage. Peut-être qu'il a un rôle à jouer, mais je ne sais pas encore lequel. Peut-être a-t-il facilité la communication bien que tu ne sois pas initiée ?
Elle devinait une implication à ce que lui disait le chaman :
Alors, je pourrais recommencer si je le voulais ?
Peut-être, mais il faudra t'entraîner et te concentrer.

Elle n'eut pas le temps de lui demander de commencer à l'initier. Un geôlier vint ouvrir sa porte. Il était armé d'un gourdin et le pointait vers elle.
— Tourne-toi !
— Pourquoi ?
Pour toute réponse, il la frappa à l'estomac. Elle avait vu le coup venir et s'y était préparée, mais sa côte cassée lui causa une violente douleur qui lui arracha un cri. L'homme lui attacha les mains dans le dos et la conduisit au milieu de la cour, pour l'attacher au poteau comme la veille. Cette fois-ci, pourtant, elle pouvait garder les pieds au sol.

Quelques instants plus tard, elle entendit une voix de femme derrière elle.
— Comme on se retrouve !
Elle reconnut cette voix et elle commença à paniquer. Elle essayait de tourner la tête pour la voir. La femme se mit à rire. Un rire froid, effrayant.
— Et c'est cette chose qui a donné tant de mal à mon pauvre Halbair ! Ha ! Il va falloir qu'il arrête d'employer des imbéciles !
La femme contourna Litak en faisant glisser une main sur son épaule, une main si douce que Litak avait du mal à concevoir que c'était celle d'une femme aussi mauvaise, mais bientôt, la douceur de cette main fit place à des ongles acérés qui lui labourèrent la peau.
— Je t'avais dit que cet homme n'était pas pour toi !
Elle lui faisait maintenant face et Litak vit enfin Bessilla. Elle percevait toute la haine qu'elle lui vouait. Même les rafleurs n'en avaient jamais montré autant.
— Pour je ne sais quelles raisons, tu as l'air de plaire à Sharle.
Litak ne put masquer sa surprise.
— Oh, ne fais pas ton ingénue ! Je connais les hommes, j'en fais ce que je veux, le jeune Valfond comme les autres. Mais celui-là, il se retient. Je ne comprenais pas pourquoi jusqu'à ce qu'il nous présente. Là, j'ai compris. Je ne sais pas quel sortilège de sorcière, tu lui as jeté, mais tu lui plais. Remarque, je lui plais aussi, j'ai tout fait pour ça. Alors, j'ai demandé à mon cher Halbair de me débarrasser de toi. Ça tombait bien, il vous cherchait depuis longtemps. Dire qu'il se prend pour un grand chasseur... Même pas fichu de trouver seul une meute d'animaux sauvages...
Litak ne comprenait pas quelles étaient les intentions de cette harpie.
— Pourquoi ? Tu ne l'aimes pas, je le sais, alors pourquoi t'intéresses-tu à Sharle ?

Bessilla éclata de rire.
— Moi, aimer ce rustre, cet ami des bêtes ! Plutôt mourir ! Il n'y a qu'un horrible monstre comme toi pour être aussi naïve, mais qu'est-ce qu'un animal pourrait comprendre aux jeux de pouvoir ? Vois-tu, mon père est sorti ruiné de la guerre. Toute notre richesse repose sur nos mines, mais sans esclaves pour y travailler, elles ne valent plus rien. Le seigneur Garmond, lui, est riche et puissant.
Elle tournait autour de Litak comme un narzal autour d'une proie blessée en parlant d'un ton calme.
— Et puis... il est rancunier.
Elle avait prononcé ces derniers mots avec un plaisir non dissimulé.
— Sharle a vaincu les hordes sauvages, mais il n'a pas voulu pousser son avantage en envahissant vos territoires, alors que Garmond le lui avait ordonné.
Elle s'approcha de la métisse, jusqu'à lui murmurer à l'oreille :
— Depuis, il s'est juré de faire disparaître la seigneurie de Valfond.
Elle observa attentivement la demi-orque qui fit son possible pour masquer ses émotions. Elle ne voulait pas lui offrir le moyen de la tourmenter. Bessilla finit par sourire.
— Mais comme il ne peut pas l'attaquer sans se mettre à dos Centre Monde et les Terres d'ouest, il me charge de cette mission, en échange d'un soutien massif à mon père. Je vais le séduire, me montrer la plus douce et la plus aimante des femmes. Je vais l'épouser. Et puis, un jour, Jehan mourra. Il n'est plus tout jeune et puis, je connais des moyens pour accélérer les choses. Ensuite, ce sera le tour de Sharle et je serai à la tête de Valfond. Comme je serai aussi à la tête de Val aux Mines –mon père n'est plus tout jeune lui non plus–, Valfond sera intégré à la seigneurie de feu mon père, donc aux Belles Landes. Garmond aura eu sa vengeance, les orques de Valfond seront réduits à l'esclavage ou exterminés, peu m'importe.
Litak ne supportait pas l'idée de voir Sharle succomber à ce plan terrifiant.
— Ça ne marchera jamais ! Tu ne vaux pas mieux qu'un tripuk ! Jehan et Sharle ne se laisseront pas berner.
Bessilla la gifla, puis elle lui tira la crête en arrière, comme elle l'aurait fait des cheveux d'une rivale.
— Pauvre idiote, ça a déjà marché ! Comment crois-tu que Vénolie s'est débarrassée de ce vieux crétin de Harmond, ce sénile qui ne voulait pas que son fils élimine tes congénères ?
À court d'arguments, Litak lui cracha au visage. Bessilla s'essuya d'un revers de manche.
— Je t'apporterai la tête de ce dégénéré sur un plateau, avant de te tuer de mes propres mains. En attendant, Halbair a d'autres projets pour toi.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Litak du clan de la Forêt Sombre - Chapitre LXXXVI

Litak du clan de la Forêt Sombre - Chapitre LI