Les cendres de Tirwendel - Chapitre L
L
Tilou et Alnard
sortirent leurs épées du fourreau alors que Rulna s'avançait déjà vers
le virage, prête à en découdre. Restée en arrière, Naëwen hésitait.
Soudain, elle s'élança vers eux :
— Attendez ! Ce sont des elfes !
Tilou s'immobilisa :
— Quoi ?
Alnard retint Rulna juste avant qu'elle ne franchisse le coude du tunnel, et Naëwen précisa :
— Des trolls disparaissent depuis quelque temps, sans laisser de trace.
Ils n'ont jamais retrouvé les responsables de ces disparitions, mais
nous pouvons sans aucun doute dire qu'il s'agit d'elfes. Les tunnels
d'accès à Rorg Alren sont de parfaites cachettes pour eux, les trolls
doivent les chercher dans les arbres. Comment pourraient-ils imaginer
qu'ils sont sous terre ?
Tilou objecta :
— Ça pourrait tout aussi bien être des trolls là-bas, à la recherche des elfes qui leur causent tant de soucis.
Rulna ne croyait pas en cette dernière hypothèse :
— Les trolls sont trop massifs pour entrer dans ces tunnels. Regardez
Alnard, il a déjà bien du mal à ne pas se cogner à chaque pierre. Les
elfes en revanche sont assez agiles pour ça, même si c'est contre-nature
pour eux que de venir chercher refuge ici.
Naëwen passa devant et s'avança vers le coude :
— Je suis Naëwen de Nelandir, fille de Guelnor, prince de Nelandir ! Je
suis accompagnée de trois personnes qui sont mes amis. Nous allons
avancer lentement. Ne tirez pas !
Elle fit quelques pas, suivie de
près par Tilou et Alnard qui tentait de masquer la naine. Lorsqu'ils
eurent franchi le virage, ils trouvèrent une trentaine d'elfes, arcs
bandés, qui les mettaient en joue. Naëwen leva les bras et se présenta à
nouveau :
— Je suis Naëwen de Nelandir, fille de Guelnor, prince de Nelandir ! Ces personnes sont mes amis, ne tirez pas !
Après quelques longues secondes d'observation, l'un des elfes leva le bras :
— Baissez vos arcs, mais laissez vos flèches sur vos cordes !
Il s'approcha de Naëwen, l'observa attentivement puis il examina Tilou
et Alnard avec une moue de dégoût. Il fit à peine attention à Rulna,
cachée derrière le jeune soldat. Il s'adressa enfin à Naëwen, sans
cérémonie :
— Je suis Raëlnor de la cité de Alëndel. Nelandir est-elle encore en mesure de lutter contre l'ennemi ?
L'air attristé et abattu de Naëwen était déjà une réponse en soi, mais elle précisa :
— Nelandir est tombée voici plusieurs lunes. Je n'ai pas retrouvé de survivants.
Il se montra alors suspicieux et désigna Tilou et Alnard du menton :
— Les humains ou les trolls ?
— Les trolls.
Il plissa les yeux dans un regard inquisiteur :
— Vous êtes encore en vie, à quoi devons-nous cette agréable surprise ?
— Je ne le dois qu'au sacrifice d'un ami et au courage de ce jeune
humain qui m'a sortie de la rivière où les trolls m'avaient jetée,
empoisonnée et prisonnière de leurs bolas.
Raëlnor fixa Tilou avec une telle intensité que le jeune homme dut se faire violence pour affronter son regard.
— Vous a-t-il manqué de respect ? A-t-il fait de vous sa propriété ?
Le jeune forgeron s'emporta :
— Nous n'avons pas l'habitude de réduire les gens en esclavage !
Raëlnor le foudroya du regard :
— De quel droit osez-vous prendre la parole ? Vous mériteriez que je vous fasse exécuter sur le champ !
Cinq archers le mirent aussitôt en joue. Alnard fit de son mieux pour
contenir Rulna, prête à exploser pendant que Naëwen s'interposait :
—
Vous n'en ferez rien ! Je dois la vie à ces personnes, qui
m'accompagnent depuis le royaume des hommes pour assurer ma sécurité.
Rien ne les y obligeait. Ils sont mes amis ! En aucun cas ils ne sont
nos ennemis !
Raëlnor avait vu l'enfant réagir. Il réalisa soudain
que les nouveaux venus arrivaient depuis le fond du tunnel. Il observa
alors attentivement Rulna qui se tenait toujours derrière Alnard. Il
remarqua sa crinière rousse, son attitude, bien ancrée sur ses pieds,
prête à bondir. Il réalisa l'effort qu'elle imposait au grand humain
pour la maintenir et, enfin, il vit les deux haches qu'elle tenait dans
ses mains. Il écarquilla ses yeux de surprise et fit deux pas en arrière
:
— Qui est cette petite personne si prompte à réagir ?
Alnard interrogea Naëwen du regard, elle lui répondit d'un signe de la tête. Il chuchota alors à Rulna :
— S'il te plaît, calme-toi. Nous n'avons pas besoin de livrer une bataille ici.
La naine ferma les yeux, inspira profondément plusieurs fois et se
détendit enfin. Il s'écarta lentement de la naine qui se montra dans un
rayon de lumière blafarde :
— Je suis Rulna, fille de Kerduin, de la cité de Rak Tahr.
Les archers la mirent aussitôt en joue et Raëlnor fit à nouveau deux pas en arrière :
— Une naine ! C'est impossible !
Les elfes, tendus à l'extrême, guettaient un signe de leur chef. Dépité, celui-ci finit par demander :
— Mademoiselle ! Que faites-vous en compagnie de nos ennemis ?
Il leva son bras pour ordonner le tir, mais Naëwen s'interposa à nouveau en écartant les bras pour protéger ses compagnons :
— Ils ne sont pas nos ennemis ! Ce sont mes amis ! Ils ont assuré ma protection depuis Marendis jusqu'ici !
Elle pointa son doigt vers la sortie du tunnel :
— Si vous cherchez des ennemis à combattre, ils sont dehors et ils
retiennent nos enfants prisonniers sur cette île ! Nous sommes venus
jusqu'ici depuis Tirwendel pour les délivrer !
Raëlnor semblait perdu. Il hésita un instant avant de baisser lentement son bras.
Rulna
profita de cet instant de répit pour observer les elfes. Ils étaient
sales, amaigris, leurs vêtements étaient en piteux état, et certains
d'entre eux étaient manifestement blessés. Elle sourit :
— Vous avez
l'air plus épuisés que dangereux. Si nous allions discuter dans un
endroit plus confortable ? Venez, je vous invite à Rorg Alren !
Raëlnor la regarda horrifié :
— Nous ne tomberons pas dans ce piège ! Les nains sont nos ennemis !
Elle le fixa avec un air amusé :
— Dites-moi, mon vieux, vous avez l'air d'avoir beaucoup d'ennemis sur
le dos en ce moment. Mais juste une question, vous avez vu beaucoup de
nains ces cent dernières années ? Pensez-vous vraiment que nos brillants
généraux, ceux qui sont allés enfermer notre peuple dans la forteresse
de Rocknor, avaient imaginé un plan diabolique destiné à anéantir votre
bande d'elfes affamés dans les couloirs d'une cité qu'ils avaient déjà
abandonnée depuis plus de cinq cents ans ?
Elle fit demi-tour et, d'un geste de la main, elle invita ses amis médusés à la suivre :
— Après-tout, vous faites comme vous voulez, c'est encore votre royaume
là-haut. Nous, nous retournons nous reposer au chaud, dans un endroit
confortable. Si vous changez d'avis, c'est tout droit, au fond de ce
tunnel.
Ils refranchirent le virage sans encombre, et Naëwen demanda à la naine :
— Tu étais sincère en les invitant ?
Rulna lui répondit sur un air faussement outré :
—
Évidemment ! Cette cité est abandonnée depuis si longtemps que même ce
qui reste de mon peuple a oublié qu'elle a vraiment existé. Alors, je ne
pense pas qu'un nain verrait à y redire...
Elle réfléchit quelques secondes avant d'ajouter en souriant :
— Quoique... Un nain normalement constitué est capable de trouver une bonne raison de se battre dans n'importe quelle situation.
Alnard lui demanda amusé :
— Dois-je en déduire que tu n'es pas normalement constituée pour une naine ?
Elle lui répondit avec le plus grand sérieux et une pointe d'agacement :
— Ça se voit pourtant, non ? Je suis trop grande et trop frêle pour une naine.
Il
allait pouffer de rire, mais Naëwen le fixa d'un air sévère en lui
faisant« non » de la tête. Interdit, il interrogea Tilou du regard, qui
se contenta de répondre en haussant les épaules et en gonflant ses
joues.
Rulna, qui n'avait pas remarqué ce dialogue muet, poursuivit :
— Et pire que tout, je suis amie avec une elfe !
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