Les cendres de Tirwendel - Chapitre XLVIII

 

XLVIII

Ils observaient l'île depuis deux jours, à la recherche d'un moyen pour venir en aide aux enfants qui y étaient retenus prisonniers, mais, réalisant qu'elle était impossible à approcher sans devoir affronter une bonne centaine de trolls, Naëwen se sentait impuissante et inutile. Elle se refermait sur elle-même et s'isolait parfois pour pleurer, sans pourtant parvenir à duper ses amis.
À la nuit tombée, Alnard et Tilou se relayaient pour monter la garde tandis que Rulna disparaissait dans la forêt, ne rentrant qu'au petit jour. Le jeune soldat avait bien conscience que l'appétit de la naine lui imposait de chasser, mais il estimait que cela lui prenait beaucoup trop de temps, compte tenu de la présence des trolls. Lorsqu'il lui en avait fait la remarque, elle s'était contentée de hausser les épaules :
— Avec tous ces trolls, le gibier se fait rare par ici. Il faut bien que j'aille le chercher là où il est.
L'argument était logique, mais Rulna semblait trop enjouée pour quelqu'un qui peinait à se nourrir. Alnard en avait déduit qu'elle leur cachait la véritable raison de ses absences, mais comme il ne voulait pas l'obliger à en dire plus, il se contenta de lui demander d'être très prudente.

Au troisième matin, Alnard s'était posté derrière un buisson pour observer à nouveau l'île. Cette guerre n'était pas la sienne, et ces enfants prisonniers n'étaient pas humains, mais Naëwen était son amie, et il lui avait promis de tout faire pour les délivrer. Il ne voyait pourtant qu'une seule solution pour y parvenir, arriver sur l'île par le fleuve. Mais il était large, le courant était rapide, et l'enclos des prisonniers se trouvait du côté aval, ce qui imposait de se mettre à l'eau avant le pont, de passer en dessous, bien à la vue des nombreux gardes. Et les elfes ne sachant pas nager, cela impliquait de disposer d'une embarcation. Ce plan lui semblait bien moins suicidaire qu'une attaque par le pont, mais ses chances de réussite étaient néanmoins quasiment nulles.

Absorbé par ses réflexions, il ne remarqua la vingtaine de trolls qui quittait l'île que lorsqu'ils furent sur le point d'arriver sur la berge. Il réalisa alors avec horreur qu'ils se dirigeaient vers lui, et vers leur campement de fortune. Il se précipita donc pour aller prévenir ses amis, espérant de tout cœur que Rulna serait déjà rentrée. Mais en arrivant, il constata amèrement qu'elle n'était toujours pas là. Il réveilla brutalement Tilou et Naëwen :
— Des trolls approchent ! Une vingtaine ! Nous devons partir au plus vite !
Il ramassa rapidement ses affaires et celles de la naine pour les enfourner dans sa besace.
Tilou referma son sac en demandant :
— Où va-t-on ?
— Vers l'aval.
Le jeune forgeron prit le sac de Naëwen et ils commencèrent à courir, mais il remarqua que son ami restait sur place, l'arme à la main :
— Qu'est-ce que tu fais ?
Alnard serra ses doigts autour de la poignée de son épée :
— Partez devant, j'attends Rulna.
Le ton était résolu, le regard ferme. Naëwen tenta de le convaincre :
— Elle est capable de se débrouiller. Elle saura éviter les trolls et nous rejoindre. Mais si tu restes ici, c'est ton cadavre qu'elle retrouvera.
Elle le prit délicatement par la main :
— Viens. Elle est maligne, elle sait se défendre. Ils ne l'auront pas.
Tilou renchérit :
— Je les entends déjà approcher. Nous devons partir. Maintenant !
Alnard jeta un rapide coup d'œil alentour avec l'espoir vain de voir apparaître une masse de cheveux flamboyants. Naëwen tira délicatement sur sa main :
— Si tu restes ici, je reste aussi.
Tilou était horrifié par ce qu'elle venait de dire, mais il n'abandonnerait jamais l'elfe face à une bande de trolls :
— Alors, je reste aussi !
Alnard secoua la tête :
— Vous êtes fous ! Tous les deux !
Le jeune forgeron lui sourit :
— Avec toi, nous sommes trois !
Le jeune soldat ne pouvait se résoudre à condamner ses amis :
— C'est bon, on dégage d'ici.
Il souhaitait pourtant ardemment que cette décision ne condamnait pas Rulna.

Ils couraient le long du fleuve en restant sous le couvert de la forêt. Alnard se retournait régulièrement dans l'espoir fou de voir leur amie les rejoindre, mais lorsqu'ils arrivèrent en vue des trois sœurs, il serra les poings de rage, doutant fortement que la naine soit venue aussi loin pour chasser. Il se retourna une dernière fois, hésitant à faire demi-tour. Tilou dut s'en rendre compte :
— Ne traîne pas ! Nous devons nous mettre à l'abri.
Naëwen tenta de le rassurer à nouveau :
— Elle est partie chasser. Elle doit avoir tous les sens en éveil et se déplacer silencieusement. Elle repérera les trolls avant qu'ils ne s'aperçoivent de sa présence.
Comme Alnard regardait encore en arrière, Tilou s'approcha de lui :
— Ne t'inquiètes pas, nous irons la rechercher cette nuit.
Le jeune soldat lui répondit dans un sourire crispé :
— J'y comptais bien. Mais il peut se passer tellement de choses d'ici là...

Ils se remirent en marche et commencèrent à chercher un nouvel endroit où se cacher. Naëwen espérait trouver refuge dans la canopée, mais ils étaient aux limites du royaume des elfes, et les arbres y étaient beaucoup trop petits pour leur offrir un abri sûr. Alnard cherchait la moindre ouverture dans le sol, une petite grotte, ou même un gros trou lui auraient suffi, mais Tilou lui fit remarquer qu'ils étaient sur les berges du fleuve, et que le sol devait être gorgé d'eau, ce qui laissait peu de chance de s'y cacher en sécurité.
Poursuivant leurs recherches, ils contournèrent un amas de rochers à moitié recouvert de mousse et d'herbes folles, quand Rulna leur demanda :
— Mais où est-ce que vous allez comme ça ? C'est infesté de trolls là-bas.
Surpris par l'apparition soudaine de la naine, ils s'immobilisèrent immédiatement. Alnard s'approcha d'elle, le regard sévère, en la pointant du doigt. Elle se hissa sur ses pointes de pieds et posa un index sur les lèvres du jeune homme qui s'immobilisa, interloqué :
— Suivez-moi ! En silence.
Elle escalada les rochers, poussa le plus gros d'entre eux qui pivota avec une facilité déconcertante, libérant un passage sombre et étroit :
— Ici, nous serons en sécurité.
Elle les invita à passer devant elle, puis elle s'engouffra à son tour dans le passage avant de remettre le rocher en place et d'en bloquer l'ouverture. Quelques rayons de lumière filtraient par de minuscules interstices entre les blocs de pierre, ce qui leur permit de voir Rulna leur imposer le silence, un doigt sur la bouche.

Quelques instants plus tard, ils entendirent des voix gutturales :
— Cherchez mieux ! Ils sont passés par ici, et je vous interdis de les manquer ! Ort'Kan veut l'elfe, les deux humains... Vous en ferez ce que vous voudrez. Mais vous me les retrouvez !
Une autre voix, clairement soumise à la première, prévint :
— Zol'Kor, il y a des guerriers là, devant.
La première voix s'énerva :
— J'espère pour vous qu'ils n'ont pas déjà attrapé nos trois fugitifs !
Une troisième voix, méfiante, mais autoritaire, intervint :
— Qui êtes-vous et que venez-vous faire ici ?
— Je suis Zol'Kor, chef de guerre du clan de Ort'Kan. Nous sommes en mission sur ordre du roi.
L'interlocuteur sembla soudain moins assuré, plus inquiet :
— Quel genre de mission ?
— Nous poursuivons des fugitifs qui viennent de Tirwendel.
— Des prisonniers sont arrivés de Tirwendel, il y a trois jours...
— Non ! Nous pourchassons des fugitifs qui sont venus ici sur les traces de tes prisonniers.
L'autre parut soudain intéressé :
— Combien de fugitifs ?
— Trois. Une elfe et deux humains.
— Des... Humains ? C'est quoi ces choses-là ?
Zol'Kor s'impatienta :
— C'est comme des elfes, en un peu plus solide, et ils ont des armes dans ce genre.
— C'est étrange comme arme. Je n'en ai jamais vu qui soient faites comme ça. C'est quoi cette pierre étrange ?
Zol'Kor ignora la question :
— Donc, vous n'avez pas trouvé mes fugitifs ?
— Non.
— Fouillez cette zone. Espacez-vous de dix pas et avancez en ligne jusqu'à l'île ! Ne les manquez pas ! Si vous n'avez pas le choix, tuez l'elfe. Elle ne doit en aucun cas pouvoir s'échapper !
Il fit une petite pause avant d'ajouter :
— Toi et tes guerriers aussi !
L'autre protesta :
— Tu fais comme tu veux avec tes guerriers, mais j'ai une mission moi aussi ! Je cherche des guerriers disparus.
Alnard se tourna vers la naine avec un regard interrogateur. Elle lui répondit en haussant les épaules et en gonflant ses joues.
Zol'Kor lui répondit sur un ton faussement détaché :
— Tu as raison. Je n'ai pas d'ordre à te donner. Je parlerai au roi de ta détermination à mener à bien tes missions...
Le chef de la patrouille comprit la menace voilée. Il ordonna à ses guerriers :
— Faites comme il a dit... Qui sait, ça nous permettra peut-être de trouver des traces de nos guerriers disparus.
Zol'Kor approuva :
— Sage décision. Nous allons pouvoir nous entre-aider comme ça.
L'autre ne répondit pas. Le chef de guerre ordonna alors :
— En route et ayez l'œil !

Lorsqu'il fut certain que les trolls étaient repartis, Alnard demanda sur un ton inquisiteur :
— Où est-ce que tu étais passée ? Tu es encore partie sans nous prévenir ! Et si jamais tu étais tombée sur ces trolls ? Hein ?
Surprise par l'agressivité du jeune homme, Rulna eut un mouvement de recul. Elle l'observa quelques secondes sans rien dire, faisant craindre à Tilou et Naëwen une réaction digne du tempérament de la naine. Mais celle-ci se contenta d'incliner la tête sur le côté avant de placer ses mains sur les joues du jeune soldat en souriant :
— Il est trop choupinou à s'inquiéter pour moi !
Surpris par cette réponse, Tilou et Naëwen tentèrent d'étouffer leurs rires, tandis que Alnard restait tendu comme une corde d'arc.

Tilou demanda enfin :
— C'est quoi cet endroit ?
La naine lui répondit avec fierté :
— C'est l'entrée de Rorg Alren, la mythique Cité Première, la ville où vivaient les amants des trois sœurs. Je suis certainement la première naine à remettre les pieds ici depuis plus de cinq cents ans !
Elle se dirigea vers le fond du passage :
— Venez, je vais vous montrer !
Tilou et Alnard lui emboîtèrent le pas, mais Naëwen s'immobilisa :
— Je suis une elfe, je ne peux pas y aller.
Les trois autres se retournèrent vers elle et Rulna lui répondit en montrant Alnard :
— Ne t'inquiète pas, il va passer devant toi. Si tu l'entends dire "aïe !", baisse la tête et ça ira.
Naëwen ne put s'empêcher de sourire :
— Il ne s'agit pas de ça. Mon peuple a presque anéanti le tien. Je ne pense pas que les tiens accepteraient de me voir entrer dans cette ville.
La naine pouffa :
— Si tu savais ! Ils n'accepteraient probablement pas non plus que j'entre ici ! Mais nous, nous sommes là, pas eux. Alors laisse les morts où ils sont et suis-moi !
Rulna reprit la tête, suivie par Alnard. Tilou tendit la main à l'elfe qui sourit en haussant les épaules avant de les suivre.
Après quelques minutes de marche éprouvante dans le noir, la naine s'exclama :
— Enfin ! Nous y sommes.
Ils l'entendirent manipuler des objets métalliques, puis un grincement sinistre les fit sursauter, avant qu'un vent frais ne vienne leur caresser le visage.
Rulna frappa des cailloux, et ils virent apparaître des centaines de petites étincelles qui tombèrent sur un bâton recouvert de pois. La torche s'enflamma et ils purent enfin admirer la porte métallique ouvragée, et quelques détails de la cité qui s'étendait devant eux.
Tilou s'interrogea à voix haute :
— Pourquoi cette porte ne montre-t-elle aucun signe de rouille ? Après cinq cents ans, elle devrait être complètement rongée...
Rulna lui mit un coup de poing qui se voulait amical sur l'épaule :
— C'est de l'acier nain ! C'est fait pour durer !
Tilou se massa l'épaule tout en admirant les fines gravures qui ornementaient la porte.
Alnard franchit le seuil en levant les yeux vers les voûtes du plafond en arc brisé :
— On pourrait se croire dans les couloirs de la forteresse de Vertpré... Mais nous, on empile les pierres, on ne creuse pas dedans.
Naëwen le suivit timidement :
— Je voyais ça plus grand. Je me sens... étouffer ici.
Rulna la rassura :
— Toi, tu es bien une elfe ! Tu as toujours vécu à l'air libre, dans tes arbres, mais tu t'y feras. Et ici, au moins, nous sommes à l'abri des trolls.
L'elfe regardait la voûte si proche avec angoisse :
— Et si tout ça venait à s'écrouler ?
La naine la fixa avec exaspération :
— Et si la branche où tu as construit ton habitation venait à se briser ?
Voyant que Naëwen commençait à être gagnée par la panique, elle se montra plus douce :
— Nous construisons toujours pour durer. Personne n'a vécu ici depuis très longtemps, et pourtant tout est en place, comme lorsque le dernier nain à avoir quitté la cité a refermé la porte derrière lui. Alors, il n'y a aucune raison pour que cela change.

Elle les conduisit de plus en plus bas, au travers d'un dédale de couloirs et de petites salles, jusqu'à une grande grotte :
— Voici le cœur de la cité, la salle commune ! C'est ici que les nains se retrouvaient pour les grandes occasions.
Elle actionna une petite pompe avant d'approcher sa torche d'une petite rigole dans le mur. Un liquide poisseux s'enflamma, et le feu se répandit rapidement tout autour de la salle, dévoilant un volume immense, soutenu par de nombreuses colonnes et autant d'arcs brisés. Naëwen, rassurée par la sensation d'espace, s'émerveilla :
— Je n'avais jamais imaginé que vos villes puissent être aussi impressionnantes. J'ai toujours pensé que c'étaient de simples trous creusés dans la terre... Ton peuple est un grand peuple pour être capable de réaliser ce genre de prouesse !
Rulna jubilait :
— Je ne te le fais pas dire !
Alnard, pragmatique, s'inquiéta :
— Comment as-tu réussi à te diriger dans ce labyrinthe ?
La naine le regarda comme s'il avait dit une énorme bêtise :
— En suivant les indications, tout simplement.
Elle réalisa alors qu'il ne pouvait pas les avoir vues. Elle lui montra des petites gravures sur le montant de la voûte sous laquelle ils se trouvaient :
— Ici, il est écrit que ce passage mène vers la forêt, la forge, les réserves et quelques habitations. D'ici, tu peux aller vers tous les quartiers de la ville, et vers toutes les sorties.
Elle réfléchit quelques secondes :
— La forge ! Il y a peut-être encore des armes là-bas ! Venez ! On va voir ce qu'on y trouve !

Elle repartit en courant, péniblement suivie par ses amis, trop grands et pas assez agiles pour pouvoir suivre le rythme. Tilou l'interpella :
— Rulna ! Pas si vite ! Si nous te perdons de vue, jamais nous ne trouverons la sortie sans toi.
Elle se retourna et réalisa qu'ils étaient bien loin. Elle fit un petit sourire contrit :
— Désolée... J'ai oublié que vous étiez si grands.
Elle les conduisit plus calmement jusqu'à la forge. Tilou fut étonné par son gigantisme. Celle de son oncle était la plus grande de la région, mais celle-ci était trois fois plus grande. Il tenta en vain d'actionner les énormes soufflets avant de s'approcher du foyer. Rulna l'attrapa par la main et le conduisit vers un râtelier poussiéreux. Elle prit une vieille brosse de paille pour nettoyer sommairement les dépôts accumulés depuis si longtemps, dévoilant de nombreuses haches de combat qui, hormis la saleté, avaient l'air neuves. Elle en saisit une et la tendit au jeune forgeron :
— Regarde ça ! Elle est parfaite !
Il la soupesa, la mania en appréciant son équilibre parfait, puis il testa le tranchant acéré de la lame et il finit par la frapper d'une pichenette pour la faire sonner :
— Celui qui a forgé cette hache était incontestablement un grand maître. Et cet acier... Quelle qualité ! Je n'ai jamais rien vu de tel !
Rulna testa toutes les haches du râtelier avant de faire son choix :
— Celle-là, ce sera parfait !
Elle saisit la hache que lui avait donnée Tilou à Vertpré dans sa main gauche et entama une sorte de danse avec ses deux armes. Alnard l'observa attentivement, réalisant à quel point elle pouvait se montrer meurtrière ainsi armée. La naine s'immobilisa en affichant un sourire ravi :
— Elles s'accordent bien ensemble.
Naëwen ne comprenait pas :
— Comment ça ?
Rulna s'immobilisa :
— Ces deux haches font à peu près le même poids, et elles ont le même équilibre. Ça me permet de bouger plus vite, plus facilement qu'avec deux haches trop différentes.
Elle leur montra les râteliers chargés d'armes en tous genres :
— Servez-vous ! C'est là depuis cinq cents ans, ça ne manquera à personne !

Les deux garçons n'en espéraient pas tant. Ils firent le tour de la forge, prenant le temps de bien examiner chaque arme. Naëwen de son côté resta immobile au milieu du local. Rulna s'approcha d'elle, un sourire satisfait sur le visage :
— Qu'est-ce que tu attends ? Vas te servir !
L'elfe hésitait encore :
— Tu es sûre ? Je suis une elfe. Nous sommes la raison pour laquelle cette cité a été abandonnée.
— Et moi, je suis une naine, la seule présente en ces lieux. Celui qui a créé tout ça n'est plus là depuis longtemps, et personne n'a revendiqué cet arsenal avant moi. Alors va te servir. Ainsi, tu rendras honneur au maître forgeron en faisant en sorte que son travail ne soit pas vain.
Naëwen sonda Rulna du regard. La naine tendit son bras vers les râteliers en affichant un sourire amical. L'elfe consentit alors à s'approcher des dagues. Elle les examina toutes avec une attention particulière, avant d'en choisir une, simple, fonctionnelle, mais d'une grande qualité. Elle la glissa délicatement à sa ceinture, puis elle prit respectueusement la dague qu'elle tenait de son père et la présenta, posée sur la paume de ses mains, à Rulna :
— Cette dague appartenait à ton peuple. Mon père la faite sienne durant la guerre, ce qui représente un vol envers les tiens. Alors aujourd'hui, je te la remets pour corriger cette injustice.
Rulna était surprise par ce geste :
— Mais c'est une dague d'une trop grande valeur ! Je ne peux pas l'accepter !
Naëwen inclina la tête vers le sol :
— Ton amitié est bien plus précieuse à mes yeux que cette dague, et celle que tu m'as offerte représentera à jamais cette amitié. Entre mes mains, la dague que je te remets représente la guerre, la haine entre nos deux peuples. Mais si tu l'acceptes, elle sera un signe de réconciliation, un espoir de paix, dont nos deux peuples ont grandement besoin.
Elle déposa délicatement la petite arme entre les mains de Rulna, émue, qui la rangea précieusement dans sa besace, avant de se jeter au cou de Naëwen.

Les deux garçons se contentèrent finalement d'un magnifique couteau de chasse chacun. Devant l'air déçu de Rulna, Alnard expliqua :
— Toutes ces armes sont magnifiques, de vraies œuvres d'art, mais elles sont trop petites pour nous.
La naine ne l'entendait pas ainsi :
— Il est hors de question que vous repartiez d'ici avec de simples couteaux ! Vous êtes les premiers humains à être invités dans une cité naine, ce serait faire insulte à vos hôtes et à ce forgeron que de ne pas accepter les présents qui vous sont offerts ! Vous devez – elle insista sur ce mot – accepter un véritable présent ! Retournez chercher quelque chose de valeur ! C'est pas comme s'il n'y avait pas le choix !
Tilou voulu protester :
— Mais...
Rulna pointa les râteliers d'un geste péremptoire, ne lui laissant pas l'occasion de finir sa phrase. N'insistant pas davantage, il fit demi-tour et accompagna son ami pour réexaminer la production de cette forge.
Alnard revint le premier avec une petite hache. La naine le fixa avec un air dépité :
— C'est une hache de lancer. C'est un bon choix, mais pourquoi n'en as-tu pris qu'une ? Elles vont toujours par cinq. Vas chercher les quatre autres.
Tilou s'approcha à son tour avec une petite hache finement gravée, à deux tranchants, l'un convexe, l'autre concave, comme une serpe. Il la montra à Rulna :
— Je la trouve magnifique, mais je ne comprends pas à quoi elle sert. Le manche est trop court pour être une arme non ?
La naine sourit :
— Je ne suis pas surprise que tu l'aies choisie. C'est une hache rituelle qui sert à récolter les plantes médicinales. Elle est destinée à un guérisseur.
Étonné par ces explications, il fixa l'outil avec un mélange d'admiration et de retenue. Rulna insista :
— Je ne connais pas de meilleur guérisseur dans la région. Elle devait donc t'être destinée.

Alnard s'approcha enfin, avec le lot complet de haches de lancer. La naine le taquina :
— Te voilà enfin convenablement équipé, mais à la façon dont tu les tiens, je crois bien qu'il va falloir que je t'apprenne à t'en servir.
Elle se tourna vers Naëwen :
— Bien ! Maintenant que nous avons un abri sûr et des armes de qualité, si nous allions aider les enfants qui nous attendent là-haut !

Rulna les guida à nouveau vers la place commune qu'ils traversèrent vers un autre tunnel, qui les conduisit vers le quartier des notables et des réserves. En poursuivant vers ce que la naine appelait la sortie des rapides, ils passèrent devant le local du guérisseur. Tilou s'y arrêta, obligeant les autres à l'attendre. Le jeune forgeron fut étonné par l'exiguïté de la salle de soin. Il s'en inquiéta auprès de Rulna qui répondit avec une petite moue :
— Nous nous enorgueillissons de notre force, et nous pensons que seuls les faibles ont besoin de venir ici. Beaucoup préféreraient même mourir de la fièvre et de l'infection plutôt que de devoir admettre avoir besoin du guérisseur. Alors c'est un endroit qui n'est pas très fréquenté par les nains. Seuls les vieillards ou les enfants peuvent venir ici sans craindre pour leur honneur.
Tilou semblait choqué :
— Ton peuple est...
Rulna lui coupa la parole :
— Fort, fier, buté, et complètement à l'opposé de ce qu'il faudrait faire pour être puissant.
Elle posa sa main sur le bras de Alnard :
— J'ai fini par le comprendre grâce à vous.
Après quelques secondes de silence pesant, elle ajouta vivement :
— Mais bon, je ne voudrais pas qu'un de mes compatriotes m'aperçoive ici ! Vous, il comprendrait, mais moi... Allez ! Ne traînons pas ici !
Elle repartit à vive allure dans le dédale de couloirs et les mena jusqu'à une nouvelle porte aussi finement ouvragée que celle qu'ils avaient empruntée pour entrer dans Rorg Alren, mais avec d'autres motifs.
Elle actionna un levier et la porte s'ouvrit, laissant passer un courant d'air, frais et humide.
— Nous devrions ressortir dans la forêt, près d'une petite chute d'eau.
Elle les laissa passer et referma précautionneusement la porte derrière elle, avant de repasser devant pour les guider.

Après quelques minutes de difficile progression – Alnard devait avancer courbé pour ne pas se cogner la tête –, ils commencèrent à distinguer la faible lueur du jour se refléter sur les parois, au détour d'un virage. Lorsqu'une brise légère parvint jusqu'à eux, Rulna s'immobilisa en levant le bras pour faire stopper ses amis. Elle huma l'air quelques instants avant de prendre ses deux haches en main :
— Nous ne sommes pas seuls dans ce tunnel !

 

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