Litak du clan de la Forêt Sombre - Chapitre XXXI
XXXI
Urog allait et venait
d'un groupe à l'autre, aidant à porter des pierres, à tailler des
rondins de bois, ou soutenant le moral des guerriers. Il s'approcha de
Corg.
— Il faudrait trouver des positions d'attente bien cachées.
Le père de Litak obtempéra.
— Je vais m'en occuper.
Il appela trois guerriers et se rendit en contrebas du sentier, pour préparer des zones d'attentes.
Sharle remarqua pour la troisième fois que Urog ne donnait jamais
d'ordres à Corg, contrairement aux autres guerriers et il en fut
intrigué. Il alla donc prêter main forte au petit groupe et en profita
pour interroger Corg.
— Il ne me donne jamais directement d'ordre, il me suggère des choses à faire, mais il ne me demande jamais de le faire.
— Pourquoi ? C'est étrange, il sera bientôt votre nouveau chef.
— Oui,
mais je crois qu'il ne se sent pas légitime pour devenir chef. Moi,
j'ai toujours été élevé pour être le futur chef, pas Urog. J'aurais dû
être chef à la mort de mon père, mais c'est Bratog qui l'est devenu, ce
qui est une bonne chose, mais Urog pense qu'il n'a rien fait pour
mériter cette charge, ce qui est faux. Il s'est battu comme un démon
pendant la guerre. Vois comme il dirige les guerriers : tous lui
reconnaissent ses qualités de chef, il ne sera contesté par personne au
sein du clan, mais lui, ne se fait pas à cette idée. Je suis toujours là
pour lui rappeler qu'un autre devrait être chef.
— Mais tu l'acceptes comme chef.
— Évidemment,
puisque j'ai renoncé à cette charge pour le bien du clan. Bratog a
toujours été un bon chef et Urog sera un chef d'exception, nous en
sommes tous convaincus, sauf lui. C'est peut-être aussi pour ça qu'il
sera un aussi bon chef.
— Oui, peut-être...
En son for intérieur, Sharle plaignait Urog. Porter une charge dont on ne se sent pas digne est une épreuve pénible et pourtant, il ne pourrait pas s'en défaire, tout son clan comptait sur lui et il le savait. Jamais il ne décevrait les siens, Sharle en était convaincu et il n'en éprouvait que plus de sympathie pour ce colosse, ne sachant que trop combien lui pesait sa propre charge de dauphin de Valfond.
L'éclaireur que Sharle avait envoyé vers l'amont revint vers le milieu de l'après-midi.
— Je les ai vus, ils prennent bien ce passage. J'ai compté une
vingtaine d'hommes d'armes et seize orques. Ils semblent avancer assez
vite dans notre direction, je pense qu'ils seront ici dans environ une
heure. Monseigneur, je les ai entendus parler de leurs chefs. Ils se
nomment Halbair et Jodor.
Sharle
ne fut qu'à moitié surpris. Il se doutait depuis le rêve de cette nuit
qu'ils auraient affaire avec ces hommes, mais le fait d'en avoir la
confirmation lui apportait d'autres questions. Comment Litak avait-elle
pu le contacter d'aussi loin et comment avait-elle pu entrer dans son
rêve ? Il n'avait malheureusement pas le temps de trouver des réponses,
il lui faudrait pour cela sortir les orques des griffes de ce sinistre
individu.
— Toi connaître ces hommes ?
La question de Urog le tira de ses pensées.
— Hélas oui. Ils faisaient partie de l'armée de Garmond que vous avez
écrasée à Babunta. Ils participaient à la campagne à la recherche de
profit. Leur idée était de capturer un maximum d'orques pour les
revendre comme esclaves. La retraite les en a empêchés, mais lorsque
nous vous avons repoussés vers le Grand Fleuve, ils ont repris leur
projet. Lorsque je m'en suis aperçu, je les ai mis aux arrêts et j'ai
fait libérer tous leurs captifs. Ces hommes n'ont aucun sens de
l'honneur, aucun scrupule et aucune pitié. Ils ne vivent que pour leur
profit et ils sont capables des pires bassesses pour parvenir à leurs
fins. N'ayez aucune pitié pour eux, ils n'en auront aucune pour vous ni
pour personne, mais prenez garde, ils sont bons combattants et rusés.
— Toi pas surpris eux être là. Toi savoir déjà ?
Que pouvait-il répondre sans passer pour un fou ?
— Cela va vous sembler étrange, mais Litak me l'a dit cette nuit.
Mallog intervint le premier :
— Elle être là cette nuit ? Pourquoi elle plus avec nous ?
— Non, elle n'était pas vraiment là. Vous l'avez tous entendue rêver, moi aussi, mais j'ai compris ce qu'elle me disait.
— Mais comment ? Nous n'avons jamais compris ses rêves.
— Je ne sais pas. Peut-être parce que nous, les humains, sommes
capables de rêver aussi ? Peut-être parce que je peux parler en orque.
Je ne sais pas, je me pose la question depuis ce matin.
Urog voulait en savoir plus :
— Quoi elle dire d'autre ?
Sharle ne voulait pas donner de faux espoirs, mais il tenait peut-être
l'occasion de vérifier s'il ne s'agissait que d'un rêve ou si Litak
l'avait réellement contacté cette nuit. Il se tourna vers l'éclaireur.
— Combien d'orques as-tu comptés
— Monseigneur, j'ai compté seize orques.
Corg était surpris du chiffre. Il se souvenait de sa conversation du
matin au sujet du rêve de Litak, mais pas un instant, il n'avait songé
que sa fille avait réellement parlé à Sharle cette nuit.
— Seulement seize ? Il devrait y en avoir vingt-sept !
Sharle tenait ce qui ressemblait le plus à une preuve de la visite de Litak cette nuit.
— D'après mon rêve, ta fille a permis à quelques-uns de s'enfuir cette
nuit. Un vieux guerrier l'a aidée à protéger leur fuite, Xartak. Ceux
qui se sont enfuis ont reçu de l'aide d'un jeune homme, Farabert. Je ne
sais pas pourquoi.
Halbair était furieux, il a tué Xartak et s'est
défoulé sur ta fille. Je l'ai vue gisante au sol. J'ai eu peur qu'elle
ne soit morte, mais juste avant la fin de mon rêve, elle se réveillait.
Urog était sceptique. La nouvelle de l'évasion de sa compagne et de sa
fille lui réchauffait le cœur, mais pouvait-il se fier à un rêve ?
— Toi être sûr de ça ?
— Non, c'était un rêve et je me pose encore bien des questions à son
sujet, mais jamais un rêve ne m'avait semblé aussi réel. Quoi qu'il en
soit, nous aurons bientôt des réponses et cela ne change rien à notre
plan.
Corg était inquiet. Savoir sa fille entre les mains d'un monstre, savoir qu'il avait failli la tuer le mettait hors de lui.
— Non, cela ne change rien à nos plans. Cet homme doit mourir et je me ferai un plaisir de m'en charger.
Le ton glacial de sa voix inquiéta Sharle. Jamais Corg ne lui avait
semblé aussi froid et déterminé, mais il n'en pensait pas moins au sujet
d'Halbair. Il ne devait pas sortir de ce défilé sans rendre des comptes
à ceux qu'il avait fait souffrir.
Sharle donna ses ordres à ses soldats.
— Les archers, vous vous placerez sur le pic rocheux. De là, vous
pourrez atteindre tout le défilé. Les autres, vous vous placerez en
avant de la caravane, afin de combattre les hommes. Nous interviendrons
dès que les rochers seront tombés et auront bloqué l'arrière de la
colonne.
Urog donna à son tour ses ordres.
— Gorak, Bratak,
Atarog et Mallog vous vous placerez à l'arrière pour protéger les
prisonniers, les autres, nous nous mettrons au-dessus des rochers pour
les faire tomber sur le milieu de la colonne, puis nous nous jetterons
dans la mêlée pour couper le groupe des rafleurs en deux et empêcher les
uns de porter assistance aux autres.
Ils étaient tous prêts, cachés à la vue du sentier et ils attendaient l'arrivée des rafleurs et de leurs victimes. Sharle attendait sur l'éperon rocheux, bien en amont du piège tendu. De sa position, il pouvait voir le sentier au loin et il serait le premier à apercevoir ceux qu'ils étaient venus délivrer. Le paysage était spectaculaire, les crêtes rocheuses de part et d'autre du sentier et du torrent étaient déchiquetées et acérées, comme les dents d'un carnassier prêtes à broyer une proie. Elles descendaient à pic vers le torrent et des blocs de pierre parsemaient le fond de la gorge, témoins des éboulis fréquents. Cette route d'accès à Valfond n'était jamais utilisée, car elle était dangereuse et trop étroite. Mais Halbair en avait connaissance et il en profitait pour tenter de sortir de la seigneurie en toute impunité. Sharle se jura de faire surveiller ce passage. Il ne supportait pas l'idée que des esclavagistes puissent sévir impunément chez lui. Halbair était le premier à avoir eu cette audace, il devait aussi être le dernier et payer pour cela, ainsi que pour ce qu'il avait fait subir à Litak. Il n'avait pas assisté au déchaînement de violence qu'elle avait subi, mais la vision de son corps gisant au sol ne s'effaçait pas de son esprit et il lui tardait de la libérer de ce monstre. Halbair était un combattant aguerri, mais il fallait le neutraliser à tout prix. Corg voulait le tuer, nul doute que Urog s'en chargerait volontiers lui aussi. Peu importait. Il ne sortirait pas de cette gorge en vie.
Il prit conscience du silence anormal. Hormis le grondement du torrent, rien ne se faisait entendre. Les animaux s'étaient tus et cachés. Sharle reporta son attention sur le sentier et au loin, un mouvement attira son attention. Quelqu'un progressait vers le piège, un homme, puis deux et le reste de la caravane apparut. Il saisit sa longue-vue, prenant bien garde de rester à l'ombre pour l'utiliser. Le moindre reflet de soleil donnerait l'alerte aux rafleurs, ce qu'il voulait éviter à tout prix. Il distingua des hommes en armes en tête, suivis de près par un homme relativement petit qui portait une cote de maille. Jodor, sans aucun doute. Plus en arrière, des orques encadrés par des hommes en armes.
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