Les cendres de Tirwendel - Chapitre XLI
XLI
— Où est Shack'Gan ?
Le cri poussé de l'autre côté du bivouac éveilla l'attention du mage.
Il se redressa pour voir qui le demandait et aperçut l'un des éclaireurs
qui soutenait un troll blessé. Il prit immédiatement sa besace de soins
et se dirigea vers eux. Lorsqu'il fut à mi-chemin, le blessé releva la
tête et Shack'Gan reconnut immédiatement Lak'Mor.
— Que s'est-il passé ?
L'éclaireur aida le blessé à s'asseoir :
— Nous ne savons pas. Nous l'avons trouvé comme ça. Il n'a pas dit un mot.
Le mage observa son ami avec surprise :
— C'est vous qui l'avez soigné ?
— Non, nous l'avons trouvé comme ça.
Shack'Gan s'accroupit pour se mettre au niveau du guerrier :
— Lak'Mor ! Qu'est-ce qui s'est passé ? Où sont les éclaireurs qui t'accompagnaient ?
Le jeune troll releva la tête, regarda son interlocuteur comme s'il lui était inconnu avant de plisser les yeux :
— Shack'Gan ? C'est bien toi ?
— Oui, tu es en sécurité maintenant. Qu'est-ce qui s'est passé ?
Lak'Mor leva les yeux, à la recherche de ses souvenirs :
— Ils sont morts.
— Qui est mort ?
— Les éclaireurs. Ils sont morts.
— Qui les a tués ?
Lak'Mor fixa son ami sans le voir :
— Je dois le dire à Shack'Gan.
Le mage s'inquiéta. Le jeune guerrier ne portait aucune blessure à la
tête qui put expliquer cet état de confusion. Il lui prit les mains et
lui parla avec douceur :
— Je suis là. Qu'est-ce que tu dois me dire.
Lak'Mor sembla surpris :
— Je suis rentré ?
Son expression changea pour devenir grave :
— Ils sont morts. Tous morts.
— Je sais. Comment sont-ils morts ?
— Je devais te le dire...
Le jeune blessé fit un effort pour retrouver ses souvenirs avant de s'agacer :
— Je ne sais plus. Je devais te le dire, c'est important...
Son regard s'illumina soudain :
— Le feu ! Le feu les a tués !
Shack'Gan accueillit ces derniers mots avec surprise. Lak'Mor ne présentait aucune trace de brûlure :
— Ils ont étés brûlés ?
— Non !
Il ajouta comme une évidence :
— Le feu tue, il ne brûle pas.
L'éclaireur fit un signe de la main, signifiant que le jeune guerrier
avait perdu la raison, mais bien que tout puisse le laisser croire, le
mage n'acceptait pas ce diagnostic :
— Laisse-moi regarder tes blessures.
Le jeune troll se laissa faire :
— Je devais te le dire.
Zol'Kor s'approcha :
— Qu'est-ce qui est si important pour que tu en réserves l'information à ce mage plutôt qu'à ton chef ?
Lak'Mor observa le nouveau venu avec attention :
— Rol'Taar ? Tu n'es pas Rol'Taar.
Zol'Kor s'énerva aussitôt :
— Tu oses te moquer de moi ?
Shack'Gan leva une main pour le faire taire :
— Non, il ne se moque pas de toi, il a perdu une bonne partie de sa mémoire.
Zol'Kor observa le jeune troll quelques instants :
— Comment a-t-il pu perdre la mémoire ?
— Je n'en sais encore rien. Tout ce que je peux te dire, c'est qu'il
est blessé, il s'est probablement battu. Il a été soigné, mais pas par
un troll, plus certainement par un elfe, c'est donc qu'ils lui ont
montré une certaine forme de respect.
— Tu as bien regardé les
blessures qu'il porte ! On dirait bien qu'elles ont été faites avec les
armes des hommes ! Que font-ils si loin de leur territoire ? Pourquoi ne
l'ont-ils pas achevé. Moi, je n'aurais pas hésité un seul instant.
Shack'Gan soupira :
— Tuer, tuer ! Tu n'as que ce mot à la bouche ! Sommes-nous à ce point
incapables de nous montrer aussi respectueux de la vie qu'eux ?
Le chef de guerre lui lança un regard glacial :
— Nous leur sommes bien supérieurs, car nous n'avons aucune pitié pour nos opposants.
Shack'Gan soutint le regard de Zol'Kor. Ayant parfaitement compris que
le choix du mot « opposants » plutôt que « ennemis » n'était pas anodin,
il se contenta de lui répondre par ce conseil :
— Ne fait pas
l'erreur de confondre puissance et grandeur. La grandeur conduit au
respect, à l'adhésion. La puissance conduit à la crainte et au rejet.
Zol'Kor serra les poings et désigna Lak'Mor du menton :
— Qu'il retrouve la mémoire et vite ! Où je me chargerai moi-même de la lui faire retrouver !
Il fit demi-tour et s'adressa à Perk'Ort :
— Je veux une vingtaine de nos meilleurs guerriers et une dizaine
d'éclaireurs. Nous allons remonter la trace de ce jeune imbécile.
Peut-être que nous en apprendrons plus si nous retrouvons le lieu de
l'attaque.
Shack'Gan se releva :
— Nous venons aussi.
— Pas question de nous encombrer avec vous deux. Nous avons des fugitifs à retrouver.
Le mage ne s'en laissa pas compter :
— Et moi, j'ai un guerrier à soigner. Je pense que si nous retournons
là où il a perdu la mémoire, certains souvenirs pourraient lui revenir.
Alors, avec ou sans toi, nous y allons !
Zol'Kor prit sur lui pour contenir sa colère :
— Fais comme tu veux après-tout, mais ne compte pas sur nous pour vous
aider. Nous partons demain au lever du jour. Avec ou sans vous.
Shack'Gan
entraîna Lak'Mor vers son bivouac. Il y alluma un feu et laissa au
jeune guerrier le temps de se calmer pendant qu'il fouillait dans sa
besace. Il en sortit trois petits paquets soigneusement emballés puis il
mit de l'eau à chauffer sur le feu :
— Je peux t'aider à retrouver ta mémoire...
Lak'Mor se tourna vers lui, le regard vide. Il lui prit les mains et poursuivit :
— Je peux t'aider, mais ça peut être dangereux. Tu me comprends ?
Lak'Mor hocha la tête :
— Dangereux comment ?
— Nous allons faire un voyage dans tes souvenirs. Je t'accompagnerai, je te guiderai, mais tu peux en mourir.
Le jeune troll fixait le feu, l'air absent :
— D'accord.
Les flammes tournoyaient au-dessus des bûches de bois, il les regardait, comme hypnotisé :
— Le feu, elle tue. Je devais te le dire...
Shack'Gan fut étonné par la formulation de la phrase. "Elle" tue. Il en
déduisit que ce feu n'était pas réel. Il devait symboliser quelque
chose, ou quelqu'un... Il ne voyait qu'une seule créature qui pouvait
correspondre. Mais alors, pourquoi l'avait-elle épargné ?
L'eau se
mit à frémir. Shack'Gan ouvrit un premier paquet, et en jeta quelques
pincées dans l'eau. Il ouvrit le second paquet en attendant que l'eau
boue, puis il en versa une petite poignée dans l'infusion qu'il laissa
réduire sur le feu. Lorsque le breuvage eut diminué de moitié, Shack'Gan
dénoua le lien rouge du troisième paquet, dont il retira deux pincées
d'ergot de seigle, qui jeta dans sa potion avant de la retirer du feu et
de la laisser refroidir. Le mage versa la moitié du remède dans un
gobelet qu'il tendit à son patient :
— Ce n'est pas très bon, mais ça permettra à ton esprit de s'ouvrir.
Lak'Mor but sa part puis Shack'Gan but le reste :
— Maintenant, donne-moi tes mains, pour que je puisse t'accompagner. Le jeune guerrier obtempéra.
— Ferme les yeux et détends-toi. Tu vas bientôt ressentir les premiers effets de la boisson de mémoire.
Shack'Gan ferma lui aussi les yeux, et rapidement, il commença à sentir
une brume fraîche sur sa peau. Il percevait la présence de Lak'Mor tout
autour de lui, mais la brume masquait pratiquement tout.
— Quels sont les derniers souvenirs que tu as de l'endroit où sont morts les éclaireurs ?
Lak'Mor ne répondit pas, mais il se remémora l'instant où il avait
repris connaissance. Il était assis contre un affleurement rocheux. En
face de lui, un second affleurement rejoignait le premier sur sa droite.
Sur sa gauche, deux trolls gisaient au milieu du seul passage qui
permettait d'accéder à cet endroit. Six trolls, morts, eux aussi,
étaient étendus au centre de l'espace. Trois autres enfin étaient morts
au fond du petit vallon. Comme Shack'Gan s'y était attendu, il n'y avait
aucune trace d'incendie, hormis un petit foyer encore fumant. Le mage
comprit alors que Lak'Mor n'était pas resté seul très longtemps.
— De quoi te souviens-tu ?
Encore une fois, le jeune troll fouilla dans ses souvenirs. Le mage
ressentit les efforts qu'il faisait pour les faire remonter à la
surface. Une image de feu tournoyant s'imposa alors. Les flammes
frappaient vite, tuant les trolls qui s'en approchaient trop, mais ce
feu n'avait rien de naturel. Il semblait vivre et bouger comme un
guerrier. L'espace d'un instant, un visage apparut au milieu des
flammes, un visage qui n'avait rien d'un troll.
Puis une voix,
peut-être elfique ou humaine, il n'aurait su le dire, s'éleva des
flammes pour supplier : « Non ! Ne le tue pas ! », avant de demander : «
Pourquoi tu ne m'as pas achevée ? »
Une deuxième voix, plus grave,
qui lui sembla familière, demanda : « C'est qui ce Shack'Gan ? » Une
autre voix, comme distordue, mais clairement énervée, affirma : « Tu ne
seras plus jamais en sécurité s'il reste en vie ». Enfin, une voix
d'elfe, douce et apaisante, se fit entendre : « J'ai une solution. »
Les effets du breuvage commencèrent à se dissiper, et Shack'Gan rassura Lak'Mor :
— C'est fini, nous avons bien avancé. Maintenant, tu vas te sentir
effrayé, perdu. C'est normal. Ce sont les effets du breuvage.
Détends-toi et laisse-toi faire. Surtout, ne résiste pas.
Lak'Mor ouvrit les yeux, légèrement désorienté, mais souriant :
— Je crois que je sais qui nous avons attaqué.
Shack'Gan lui sourit en retour :
— Je crois bien le savoir aussi. Mais pour l'instant, ne dis rien à Zol'Kor.
Au
petit matin, Shack'Gan s'inquiéta de l'état de Lak'Mor. Le jeune
guerrier ne semblait plus aussi désorienté que la veille, même si une
bonne partie de ses souvenirs les plus récents lui manquaient encore.
Lorsqu'ils se présentèrent devant l'équipe de poursuite, Zol'Kor les apostropha :
— Alors ? Il se souvient ou pas ?
Le mage préféra rester vague :
— Nous avons retrouvé quelques images de l'attaque, mais nous ne savons toujours pas qui a attaqué la patrouille.
Le chef de guerre ne leur prêta plus attention et donna l'ordre du
départ. L'un des éclaireurs qui avaient retrouvé Lak'Mor prit la tête de
la colonne. Ils progressèrent sans difficulté jusqu'à l'endroit où ils
avaient croisé le jeune guerrier, puis ils suivirent sa trace. En milieu
de journée, Lak'Mor attrapa le bras du mage :
— Je crois que je suis venu ici...
Il avait l'air retourné et Shack'Gan s'en inquiéta :
— Que s'est-il passé ici ?
— Je crois que j'ai vu quelque chose que j'aurais préféré ne pas voir...
Il quitta alors la colonne pour se diriger vers un petit bosquet. Il en écarta les branches pour passer puis il se figea :
— Ça me revient, je crois... Elle est blessée.
— Qui ?
— Le feu.
Il pointa un trou dans le sol :
— Elle est blessée. À cause de ce piège.
Ils s'en approchèrent. Une demi-douzaine de piques dont les pointes
étaient recouvertes de sang séché avaient été déterrées. Shack'Gan, qui
imaginait très bien ce qui s'était passé, commençait à douter de l'ordre
des événements :
— Elle n'aurait jamais pu combattre avec ce genre de blessures.
— Et pourtant, elle l'a fait.
— Tu es certain que c'est l'enfant ? L'elfe ou un des hommes auraient tout aussi bien pu tomber dans ce piège.
Lak'Mor s'irrita. Il n'avait aucun souvenir précis, simplement cette
certitude. L'enfant aux cheveux de feu était blessée. Il inspecta les
traces laissées au sol. Elles n'étaient plus très fraîches, mais il put
retrouver quatre séries d'empreintes arrivant vers ce piège, mais les
plus petites n'apparaissaient plus après. Il se tourna vers le mage :
— Tu vois bien ! Elle est venue seule jusque-là, mais ils l'ont portée pour repartir !
Shack'Gan admit que le jeune guerrier devait avoir raison sur ce point,
mais il ne pouvait imaginer la blessée combattre avec une jambe dans
cet état :
— Es-tu certain que les choses se sont déroulées dans cet
ordre ? Ne se pourrait-il pas que votre combat ait eut lieu avant ce
piège ?
Lak'Mor réfléchit quelques secondes :
— Non. Nous en aurions déjà vu les traces.
Shack'Gan était dubitatif :
— Ce soir, nous ferons une nouvelle séance. Ce que tu viens de voir
aujourd'hui te permettra peut-être d'accéder à de nouveaux souvenirs.
Ils
rejoignirent le groupe qui avançait toujours sur les traces du jeune
guerrier. Le sol devenait de plus en plus rocheux et les traces plus
difficiles à suivre. Agacé par la lenteur de leur progression, Zol'Kor
interpella Lak'Mor :
— Dis-moi, est-ce que tu te souviens de quelque
chose maintenant, ou es-tu encore aussi inutile qu'une vieille elfe au
milieu d'un champ de bataille ?
Ignorant cette remarque
désobligeante, le jeune guerrier observa la zone alentours. Il remarqua
une petite barre rocheuse qui en masquait une autre :
— Je crois que c'est par là.
Sans plus attendre, il s'en approcha avec la désagréable impression
qu'il ne devait pas aller là-bas, qu'il allait trahir quelqu'un. Dès
qu'il eut contourné la première barre rocheuse, il découvrit les deux
premiers cadavres de trolls, au même endroit que dans les souvenirs
qu'avait exhumés Shack'Gan. Il les contourna et s'approcha du principal
lieu de l'affrontement. Il s'immobilisa près des six cadavres entassés
au milieu de l'espace. Une image lui revint alors en mémoire. L'enfant
aux cheveux de feu était à terre et il s'apprêtait à l'achever, comme à
regret.
— Mais qu'est-ce qui s'est passé ici ?
Zol'Kor venait
d'arriver et il étudiait déjà la scène. Il comprit rapidement que les
trolls avaient attaqué, et que les autres s'étaient défendus. Il observa
attentivement les blessures de ses guerriers et reconnut aisément
celles qui étaient dues à des flèches elfiques. Les autres étaient
clairement le fait d'armes humaines. Des entailles profondes et nettes.
La plupart des cadavres portaient leurs blessures sur le torse ou sur
l'avant des jambes, preuves qu'ils avaient affronté leurs adversaires,
mais d'autres, plus rares, avaient subi des attaques de dos. Zol'Kor
n'imaginait pas un instant qu'ils aient pu fuir. Une seule conclusion
s'imposait. Ils avaient été attaqués à revers. Hors, les éclaireurs
n'avaient repéré que trois traces. Comment trois individus avaient-ils
pu venir à bout d'une dizaine de trolls ?
— Ils vont regretter ça. Nous ne laisserons pas ces morts impunies !
Il s'adressa à ses éclaireurs :
— Retrouvez-moi leur piste !
Ils
ne retrouvèrent la trace qu'en milieu d'après-midi. Les fugitifs
étaient partis vers le nord-est. Ils avançaient en essayant d'effacer
leurs traces, ce qui rendait la poursuite plus compliquée, mais d'un
autre côté, cela les ralentissait aussi, d'autant qu'ils devaient
prendre garde à ne pas se faire repérer par les nombreuses patrouilles
de trolls qui sillonnaient la région. Zol'Kor remit sa patrouille en
marche, bien décidé à rattraper cette elfe qui le narguait depuis bien
trop longtemps.
À l'arrière de la colonne, Lak'Mor prit Shack'Gan en aparté :
— Qu'est-ce qu'on fera si on les retrouve ? C'est étrange, mais je n'ai aucune envie de les voir mourir.
— Je comprends. Ces quatre-là m'intriguent depuis le début. Mais
Ort'Kan a ordonné de retrouver l'elfe, et Zol'Kor ne nous laissera
jamais en paix tant qu'il ne les aura pas éliminés. Pour l'instant, nous
ne pouvons que suivre, et voir ce qui adviendra.
Ils
établirent le bivouac à la tombée de la nuit sur une petite colline,
d'où Zol'Kor espérait apercevoir l'éventuel feu des fugitifs. Après
avoir mangé, Shack'Gan proposa un nouveau gobelet du breuvage des
souvenirs perdus à Lak'Mor, qui le but sans poser de question.
Lorsque le mage eut établi le contact avec le jeune guerrier, il fut
heureux de constater que la brume, si elle était encore présente, était
bien moins dense que la veille, signe que les souvenirs commençaient à
revenir, et que ce voyage lui faisait du bien. Il ne lui posa qu'une
seule question :
— Que s'est-il passé lors de cette attaque. ? Qu'as-tu vu quand tu es arrivé entre ces rochers ?
Les souvenirs qui affluèrent étaient très flous dans les détails, mais l'essentiel était là.
Lak'Mor éprouvait un malaise à l'idée d'aller combattre, non qu'il ait
eu peur, mais parce qu'il n'en voyait pas l'intérêt, et qu'il savait
pertinemment que l'enfant était blessée, et qu'elle n'avait aucune
chance de survivre à l'affrontement. Il ne s'agissait pas pour lui d'un
combat, mais d'une simple exécution, sans honneur, sans respect pour
l'adversaire.
Il entendit soudain le sifflement caractéristique
d'une flèche qui atteignit le premier guerrier qui contourna la barre
rocheuse. Un tir mortel dans l'œil. Le second guerrier n'eut pas le
temps de comprendre qu'une seconde flèche le toucha en plein cœur.
Alors qu'il s'écroulait à son tour, le reste des éclaireurs s'élança à
l'assaut. Deux autres furent tués par les tirs de l'elfe, avant qu'ils
n'atteignent l'enfant, restée seule près d'un petit feu. Lak'Mor fut
surpris de constater qu'elle attendait les trolls de pied ferme, sa
hache en main. Il trouva cette situation suspecte. Elle aurait dû être
terrorisée, elle aurait dû tenter de fuir. Les premiers guerriers qui
furent en position pour l'attaquer firent l'erreur de la prendre pour
une proie facile. Elle esquiva les coups avec une facilité déconcertante
avant de frapper avec une efficacité mortelle.
N'ayant toujours pas
vu les deux hommes, Lak'Mor craignit un piège dont l'enfant serait
l'appât. Il observa aussi calmement que possible la situation. L'elfe
était au fond du cul-de-sac et décochait ses flèches, tenant à distance
les guerriers. L'enfant aux cheveux de feu affrontait toujours le plus
gros des guerriers, mais les deux humains ne se montraient pas. Il en
conclut qu'ils devaient s'être séparés.
Trois trolls tentaient de
s'approcher de l'elfe, prenant soin de rester à couvert pour éviter les
tirs. Les autres, aussi incroyable que cela puisse paraître, étaient en
difficulté face à l'enfant qui avait déjà éliminé cinq ou six guerriers.
Il décida d'aller l'affronter, mais il constata qu'elle était bien plus
rapide que les trolls, et que chacun des coups qu'elle donnait avec sa
hache pouvait être mortel. Il réalisa que sa seule chance face à elle,
consistait à la tenir à distance, et de guetter l'ouverture dans sa
défense. Cependant, elle parvenait à lire chacun des coups qu'il pouvait
porter avec sa lourde masse et n'avait aucun mal à les esquiver. Alors,
pour continuer à la tenir à distance, il se contenta de pointer son
arme vers elle. Et soudain, il vit l'ouverture. Elle commençait à
fatiguer, et elle accompagnait un peu trop le mouvement de sa hache. Il
la frappa à cet instant précis, d'un coup sec vers l'avant, qui la
percuta à l'abdomen. Surprise par la violence de l'impact, elle tenta de
se rétablir, mais elle s'écroula sur ses appuis et elle retomba
lourdement sur le dos en lâchant son arme.
Il se précipita alors
vers elle pour l'achever, avant qu'elle ne se relève. Il leva sa masse,
croisa l'espace d'un instant son regard déterminé. À sa grande surprise,
elle n'essaya pas de fuir, mais se retourna vers l'elfe :
— Fuis ! Sauve ta vie, tu ne peux plus rien pour moi !
Et pourtant, à court de flèche, l'elfe dégaina une petite dague et
s'apprêta à faire face. Reportant son attention sur l'enfant, il
constata que sa cheville était en sang. Il comprit alors qu'elle s'était
sacrifiée pour permettre à l'elfe de fuir. Sa masse était levée, prête à
frapper, mais, sans qu'il comprenne pourquoi, il ne pouvait s'y
résoudre. Elle dut le remarquer, car l'air de défi qu'elle affichait
venait de laisser place à de la surprise.
Il entendit alors un
hurlement derrière lui. Il se retourna pour faire face, mais il
ressentit une douleur vive à l'abdomen. Il eut juste le temps de
constater qu'il avait affaire à un homme, avant que celui-ci ne le
frappe à nouveau à la jambe. Il s'écroula, terrassé par la douleur.
L'homme s'approcha pour l'achever, pendant que l'autre éliminait les
deux derniers guerriers qui tentaient d'attaquer l'elfe. Son adversaire
leva son arme, mais l'enfant hurla :
— Non Alnard ! Ne le tue pas !
Passé l'instant de surprise, l'homme grogna :
— Tu sais que si nous le laissons vivre, il ira prévenir ses petits camarades qui sont à notre recherche !
— C'est possible, mais il est déjà vaincu... Et il ne m'a pas tuée, alors qu'il en avait l'occasion.
Hésitant, le jeune soldat laissa son épée pointée sur le guerrier. Rulna se redressa et s'approcha de lui :
— Pourquoi m'as-tu épargnée ?
Lak'Mor la fixa longuement, sans haine, sans colère, mais avec curiosité :
— Je t'ai vue combattre dans ce village que vous appelez Vertpré. Tu es
une guerrière de grande valeur. Ce jour-là, Shack'Gan et moi, nous
avons cru que tu étais une enfant des hommes, mais nous trouvions
étrange que tu sois la seule. Aujourd'hui, je sais que tu n'es pas
humaine. Tu n'es pas une elfe non plus. Tu es quoi ?
L'elfe lui fit signe de ne pas répondre à cette question, mais elle ne tint pas compte de son conseil :
— Je suis une naine.
Alnard s'énerva :
— C'est malin ! Maintenant, il va pouvoir tout raconter à ses amis, tu
sais, ceux qui veulent nous attraper, nous tuer, et faire je ne sais
quoi à Naëwen !
Il s'approcha du troll, prêt à le frapper de son épée, mais Rulna le lui interdit :
— Non ! J'ai besoin de savoir !
Le jeune homme arrêta son geste :
— Tu ne seras plus jamais en sécurité si ce troll vit.
La naine regarda le jeune homme avec douceur :
— Je savais que ce voyage serait mon dernier. Rien de bon ne m'attend
chez moi, je ne peux plus vivre chez les hommes, et chez les elfes... Je
suis une ennemie mortelle. Alors inutile de tuer ce troll pour ça, ça
ne changera rien pour moi.
Elle se tourna vers Lak'Mor :
— Pourquoi ne m'as-tu pas tuée ?
— Tu t'es battue avec force et courage et pourtant, tu étais déjà blessée.
Il lui montra sa cheville ensanglantée :
— Je l'ai vu lorsque je t'ai fait tomber.
Il poursuivit :
— Tu étais vaincue, j'allais te tuer, mais à ce moment encore, – il
montra l'elfe – tu voulais la protéger. Vous êtes de peuples différents.
Je ne comprenais pas pourquoi tu voulais à ce point l'aider ?
Il la fixa avec respect :
— À ce moment-là, j'avais perdu la rage du combattant. Comment aurais-je pu te tuer ?
Et puis les deux hommes sont arrivés, eux aussi, pour vous protéger. Je me demande aussi pourquoi ?
Tilou s'approcha du troll :
— C'est l'amitié.
Lak'Mor ne comprenait pas, le jeune homme précisa :
— Ce qui nous pousse à nous entre-aider, c'est l'amitié.
Alnard s'énerva à nouveau :
— C'est bien gentil tout ça, mais qu'est-ce qu'on fait de lui
maintenant ? On ne peut pas le libérer, on ne peut pas l'emmener avec
nous, et si j'ai bien compris, on ne peut pas le tuer non plus. Alors,
qu'est-ce qu'on fait ?
Naëwen s'approcha :
— J'ai peut-être une solution, mais ça va me prendre du temps.
Elle regarda le jeune forgeron :
— Tilou, tu veux bien soigner Rulna pendant que je prépare ce qu'il faut ?
Le jeune homme fit trois préparations avec les plantes qu'il avait récoltées, puis il s'approcha de la naine :
— Laisse-moi voir ça.
Il s'agenouilla devant elle, prit délicatement la cheville blessée
entre ses mains et la nettoya avec de l'eau mélangée à de l'ail écrasé :
— Ça va piquer et ça sent fort, mais il y a peu de chance que ça s'infecte.
Il retira délicatement les quelque échardes qu'il put voir à
l'intérieur des plaies, puis il appliqua une pâte de millepertuis écrasé
dans les plaies qu'il recouvrit avec un cataplasme à base de soucis
avant de bander la cheville avec un morceau d'étoffe qu'il préleva sur
sa propre chemise.
— Tu ne devras pas marcher pendant au moins
quatre jours. Il faut que les plaies commencent à cicatriser. Ensuite,
tu pourras à nouveau marcher un peu, mais sans forcer.
Le troll avait observé le jeune homme :
— Tu es aussi un guérisseur ?
Concentré sur la blessure de Rulna, Tilou l'avait complètement oublié.
— J'ai appris avec ma mère.
Rulna les interrompit :
— Comment tu t'appelles ?
— Lak'Mor.
La naine se tourna alors vers le jeune forgeron :
— Tu veux bien aussi le soigner ?
Surpris par la demande de la naine, il observa le troll quelques secondes avant de s'en approcher :
— Pourquoi pas ?
Il montra ses préparations :
— Il m'en reste et ça ne se garde pas.
Pendant que Tilou s'occupait de lui, Lak'Mor observait Naëwen, ce qui agaça le jeune-homme :
— Quoi que tu aies en tête, je ne te laisserai pas lui faire de mal !
Le jeune guerrier se tourna vers lui :
— Rassure-toi, je ne lui veux aucun mal. Je crois que Shack'Gan
aimerait qu'on ne la retrouve jamais, quant à moi, je l'ai déjà tuée une
fois... Mais je n'ai pas l'air doué pour ça.
— Comment-ça ?
Le troll lui sourit :
— C'était moi ce soir-là, qui l'ai jetée dans la rivière.
Tilou eut un mouvement de recul, mais Lak'Mor voulu le rassurer :
— Oh, je ne voulais pas la tuer, seulement la calmer. Elle avait déjà
tué quatre des nôtres, elle avait reçu une fléchette empoisonnée, elle
était prise dans mes bolas, et pourtant, elle était encore capable de
mordre. Seulement, je n'avais pas compris qu'elle était si légère. La
colère aidant, j'ai frappé trop fort et elle s'est retrouvée dans l'eau.
Il fixa Tilou quelques instants :
— Shack'Gan et moi, on se demande souvent pourquoi tu es allé la
rechercher au fond de cette rivière. Surtout depuis que nous avons
appris que vous étiez en guerre contre les elfes.
Le jeune homme se contenta de hausser les épaules :
— Ce soir-là, je ne savais pas qu'elle était une elfe.
— Tu l'aurais sauvée si tu avais su ?
Tilou ne savait pas quoi dire alors Alnard répondit à sa place :
— Il l'aurait vue pour ce qu'elle était, une créature blessée, sans
défense, incapable de survivre sans son aide. Alors oui, il l'aurait
aidée. Il est comme ça. Son oncle en a peut-être fait un forgeron, mais
il est comme sa mère, un guérisseur.
Lak'Mor regarda ses blessures et la façon dont Tilou l'avait soigné. Il inclina la tête :
— Je crois que Shack'Gan n'aurait pas fait mieux.
Naëwen s'approcha du troll :
— Ceci te fera oublier ce qui vient de se passer. Bois
Lak'Mor observa le breuvage quelques secondes avant de lui sourire :
— Je regrette de devoir vous oublier.
— C'est la seule solution pour t'épargner et rester en sécurité.
Il porta le gobelet fumant à ses lèvres avant de se raviser :
— Avant de boire ça, je dois vous avertir, Zol'Kor, un puissant chef de
guerre, fera tout pour te retrouver. Il prendra un grand plaisir à te
tuer de ses mains. Shack'Gan, lui, vous laissera vivre s'il le peut.
Il but le breuvage sans hésiter.
Tilou pensa alors à lui demander :
— C'est qui ce Shack'Gan ?
— C'est un mage, maître du feu, du vent et de la glace, et guérisseur de grand talent.
Il réfléchit quelques secondes avant d'ajouter :
— Tu l'as vu, le jour où nous avons attaqué ta cité. Lui et moi, nous étions restés sur la colline.
Tilou se souvenait parfaitement de ce troll mystérieux, de l'impression
étrange qu'il avait eu, malgré la distance qui les séparait, de le
regarder dans le blanc des yeux.
— C'est votre chef ?
Lak'Mor lui sourit comme s'il avait dit une bêtise :
— Non, Zol'Kor est notre chef. C'est lui qui a décidé d'attaquer ton
village. Shack'Gan n'est qu'un mage. Il a essayé de convaincre Zol'Kor
de ne pas vous attaquer, mais il n'en a fait qu'à sa tête. Je crois bien
qu'ils se détestent l'un comme l'autre.
Tilou voulait continuer à l'interroger, mais Naëwen l'en dissuada :
— La potion va bientôt faire effet. Si nous restons ici, il ne pourra
pas complètement nous oublier. Et nous serons toujours en danger. Nous
devons partir.
Naëwen
récupéra ses flèches, puis Alnard porta Rulna sur son dos et ils
disparurent. Lak'Mor ne fit aucun effort pour les suivre, mais il tenta
désespérément de fixer ses souvenirs, alors que tout devenait
progressivement flou.
Shack'Gan décida de stopper la séance. Ils en
avaient assez appris, et il ne voulait pas que le souvenir de la brume
causée par la drogue de l'elfe ne revienne désorienter son ami.
Lorsqu'ils émergèrent tous les deux, le mage prit Lak'Mor par les épaules :
— Zol'Kor ne doit pas apprendre que cette Rulna est une naine. La horde
n'a pas besoin de se lancer dans une guerre contre un troisième peuple.
— Quoi que tu ais en tête, je ne te laisserai pas lui faire de mal !
Le jeune guerrier se tourna vers lui :
— Rassures-toi, je ne lui veux aucun mal. Je crois que Shack'Gan
aimerait qu'on ne la retrouve jamais, quant à moi, je l'ai déjà tuée une
fois... Mais je n'ai pas l'air doué pour ça.
— Comment-ça ?
Le troll lui sourit :
— C'était moi ce soir-là, qui l'ai jetée dans la rivière.
Tilou eut un mouvement de recul, mais Lak'Mor voulu le rassurer :
— Oh, je ne voulais pas la tuer, seulement la calmer. Elle avait déjà
tué quatre des nôtres, elle avait reçu une fléchette empoisonnée, elle
était prise dans mes bolas, et pourtant, elle était encore capable de
mordre. Seulement, je n'avais pas compris qu'elle était si légère. La
colère aidant, j'ai frappé trop fort et elle s'est retrouvée dans l'eau.
Il fixa Tilou quelques instants :
— Shack'Gan et moi, on se demande souvent pourquoi tu es allé la
rechercher au fond de cette rivière. Surtout depuis que nous avons
appris que vous étiez en guerre contre les elfes.
Le jeune homme se contenta de hausser les épaules :
— Ce soir-là, je ne savais pas qu'elle était une elfe.
— Tu l'aurais sauvée si tu avais su ?
Tilou ne savait pas quoi dire alors Alnard répondit à sa place :
— Il l'aurait vue pour ce qu'elle était, une créature blessée, sans
défense, incapable de survivre sans son aide. Alors oui, il l'aurait
aidée. Il est comme ça. Son oncle en a peut-être fait un forgeron, mais
il est comme sa mère, un guérisseur.
Lak'Mor regarda ses blessures et la façon dont Tilou l'avait soigné. Il inclina la tête :
— Je crois que Shack'Gan n'aurait pas fait mieux.
Naëwen s'approcha du troll :
— Ceci te fera oublier ce qui vient de se passer. Bois
Lak'Mor observa le breuvage quelques secondes avant de lui sourire :
— Je regrette de devoir vous oublier.
— C'est la seule solution pour t'épargner et rester en sécurité.
Il porta le gobelet fumant à ses lèvres avant de se raviser :
— Avant de boire ça, je dois vous avertir, Zol'Kor, un puissant chef de
guerre, fera tout pour te retrouver. Il prendra un grand plaisir à te
tuer de ses mains. Shack'Gan, lui, vous laissera vivre s'il le peut.
Il but le breuvage sans hésiter.
Tilou pensa alors à lui demander :
— C'est qui ce Shack'Gan ?
— C'est un mage, maître du feu, du vent et de la glace, et guérisseur de grand talent.
Il réfléchit quelques secondes avant d'ajouter :
— Tu l'as vu, le jour où nous avons attaqué ta cité. Lui et moi, nous étions restés sur la colline.
Tilou se souvenait parfaitement de ce troll mystérieux, de l'impression
étrange qu'il avait eu, malgré la distance qui les séparait, de le
regarder dans le blanc des yeux.
— C'est votre chef ?
Lak'Mor lui sourit comme s'il avait dit une bêtise :
— Non, Zol'Kor est notre chef. C'est lui qui a décidé d'attaquer ton
village. Shack'Gan n'est qu'un mage. Il a essayé de convaincre Zol'Kor
de ne pas vous attaquer, mais il n'en a fait qu'à sa tête. Je crois bien
qu'ils se détestent l'un comme l'autre.
Tilou voulait continuer à l'interroger, mais Naëwen l'en dissuada :
— La potion va bientôt faire effet. Si nous restons ici, il ne pourra
pas complètement nous oublier. Et nous serons toujours en danger. Nous
devons partir.
Naëwen
récupéra ses flèches, puis Alnard porta Rulna sur son dos et ils
disparurent. Lak'Mor ne fit aucun effort pour les suivre, mais il tenta
désespérément de fixer ses souvenirs, alors que tout devenait
progressivement flou.
Shack'Gan décida de stopper la séance. Ils en
avaient assez appris, et il ne voulait pas que le souvenir de la brume
causée par la drogue de l'elfe ne revienne désorienter son ami.
Lorsqu'ils émergèrent tous les deux, le mage prit Lak'Mor par les épaules :
— Zol'Kor ne doit pas apprendre que cette Rulna est une naine. La horde
n'a pas besoin de se lancer dans une guerre contre un troisième peuple.
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