Les cendres de Tirwendel - Chapitre XXXIX
XXXIX
Dès qu'il avait pris
connaissance de ce que les guerriers avaient pu observer lors de leurs
patrouilles de reconnaissance, Perk'Ort avait ordonné qu'un de ces elfes
dégénérés soit capturé vivant, afin de l'interroger. Il lui fallait en
savoir plus sur ces monstres cracheurs de feu et sur ces armes inconnues
des trolls et des elfes.
La patrouille chargée de cette délicate
mission revint en milieu de journée. Les guerriers avaient capturé un
mâle qui semblait âgé. Ils l'avaient trouvé dans la forêt, à proximité
d'un village, un peu au nord du gué. Il était armé d'une sorte de masse,
faite d'un long manche en bois et d'un morceau de ce matériau inconnu,
dont l'extrémité était biseautée et tranchante, et d'un petit couteau
fait du même matériau.
Il fut conduit, tremblant de peur, au chef de guerre qui l'interrogea immédiatement :
— Que sais-tu de ces monstres cracheurs de fumée ?
Le vieil homme sursauta et tourna la tête, de peur de le regarder :
— Je... Je ne sais rien des dragons. Certaines légendes en parlent, mais ce ne sont que des légendes.
Perk'Ort s'approcha du vieil homme, si près, que le malheureux crut qu'il allait le dévorer :
— Que sont les dragons ?
— Ce sont des bêtes affreuses, qui crachent du feu et qui volent dans les airs... Mais ce ne sont que des légendes.
Le chef de guerre s'énerva :
— Tu te moques de moi ?
Le prisonnier se recroquevilla sur lui-même. Perk'Ort l'attrapa par le col :
— Je ne te parle pas d'un animal, mais de ces choses qui crachent de la
fumée et qui tirent de nombreux chariots derrières elles !
L'homme le regarda bouche bée :
— Les locomotives ? Ce ne sont pas des monstres, mais des machines.
Le troll se calma :
— Explique !
— Je ne suis qu'un vieux paysan, je ne connais pas grand-chose de ces machines-là.
— Explique, ou tu ne me sers à rien !
L'homme paniqua :
— Tout ce que je sais, c'est qu'on fait chauffer de l'eau, et qu'on
utilise la force de la vapeur pour faire avancer la locomotive... Je
n'en sais pas plus, pitié, ne me faites pas de mal.
Perk'Ort interrogea Shack'Gan du regard. Le mage haussa les épaules :
— Je ne connais pas ce genre de magie.
Le vieil homme rectifia :
— Ce n'est pas de la magie, c'est de la technologie, de la mécanique.
Perk'Ort se tourna vers lui d'un air menaçant :
— Explique !
— Mais je vous l'ai dit, je ne connais rien à ces choses-là !
Perk'Ort leva le bras pour le frapper, mais Shack'Gan l'arrêta :
— Non ! Attends ! Il dit peut-être vrai ! Imagine qu'on te demande
d'expliquer ma magie, que pourrais-tu en dire de plus que ce qu'il vient
de nous dire sur leur mécanique ?
Le chef de guerre baissa lentement son bras :
— Êtes-vous des elfes ?
Shack'Gan fut surpris de constater à quel point le regard du prisonnier devint dur :
— Nous, des elfes ?
Il cracha par terre :
— Nous sommes des hommes ! Pas de la vermine !
Perk'Ort plissa les yeux :
— Que sais-tu de cette elfe qui est venue trouver refuge chez vous ?
Le regard surpris que lui lança le prisonnier indiquait clairement qu'il n'avait aucune idée de ce dont il parlait :
— Elle doit être morte ! Si elle a cru pouvoir venir sur nos terres en
toute sécurité, c'est qu'elle doit être stupide ! Ils ont tué mon fils
et bien d'autre pendant la guerre. Ils peuvent bien tous mourir ! Jamais
un humain ne viendra en aide à ces créatures !
Perk'Ort tourna autour du prisonnier puis il lui montra ses armes :
— Que peux-tu me dire là-dessus ?
Le vieil homme ne comprenait pas ce que le troll attendait de lui :
— Ben, c'est ma hache et mon couteau...
Perk'Ort s'approcha, menaçant :
— Qui comptais-tu attaquer avec ça ?
Le prisonnier paniqua :
— Personne, j'allais simplement couper du bois. Il faut quand même bien
que je mette des bûches dans ma cheminée, ne serait-ce que pour me
faire à manger.
Perk'Ort examina attentivement le vieil homme, qui
n'avait effectivement rien d'un combattant, comme ceux qu'ils avaient
affrontés à Vertpré.
— Comment faites-vous ces choses-là ?
— Il faudrait demander à un forgeron, c'est eux qui fabriquent les outils en fer.
Perk'Ort s'approcha si près de lui, d'un air si menaçant que le prisonnier tomba à la renverse :
— Comment faites-vous ?
— Les forgerons font chauffer du fer, qu'ils martèlent ensuite pour lui donner la forme qu'ils veulent.
Il tendit ses mains vers Perk'Ort, comme un bouclier dérisoire :
— Pitié, ne me faites pas de mal !
Un guerrier entra sous la tente sans même en demander l'autorisation :
— Nous venons d'être attaqués !
Le chef de guerre releva la tête et tendit l'oreille :
— C'est bien calme pour une bataille.
— Non, nous avons été attaqués, là-haut, dans la salle du conseil.
Shack'Gan se tourna vers le grand chêne, pendant que Perk'Ort cherchait à comprendre :
— Comment ça attaqués ?
— Deux guerriers ont été tués.
Le guerrier montra la hache et le couteau :
— Des armes comme celles-ci.
— Comment des elfes...
Il se tourna vers le prisonnier :
— ... ou des hommes, ont-ils bien pu entrer dans la salle du conseil sans que personne ne s'en rende compte ?
— Nous pensons qu'ils sont passés par le passage secret qu'a utilisé l'elfe pour s'enfuir.
Perk'Ort entra dans une colère noire :
— Personne ne serait assez fou pour venir ici juste pour tuer deux guerriers ! Que sont-ils venus faire ?
Le guerrier fit un pas en arrière en voûtant ses épaules :
— Nous ne le savons pas exactement, mais un arc a disparu, celui qui était accroché aux murs de la salle.
Le chef de guerre se mit à marcher de long en large :
— Même pour un arc, cela ne vaut pas la peine de prendre ce genre de
risque... Il devait y avoir autre chose... Quelque chose d'important...
Nous devons absolument les retrouver ! Nous devons savoir ce qu'ils sont
venus chercher ici !
Il s'arrêta et se tourna vers le guerrier :
— Envoyez tous les guerriers à leur recherche ! Bloquez tous les
passages vers le royaume des hommes ! Ils ne doivent à aucun prix
pouvoir y retourner !
Il se tourna vers Shack'Gan :
— Je crois
qu'il n'y a plus de doute possible. Cette Naëwen est venue ici. Elle
seule connaissait le passage. Et elle était accompagnée par des hommes.
Cela ne me plaît pas.
Le vieil homme cracha au sol :
— Des traîtres ! Si des hommes aident cette elfe, alors ce sont des traîtres ! Ils peuvent bien crever !
Perk'Ort soupesa quelques instants la hache du bûcheron dans sa main
puis, sans le moindre signe avant-coureur, il lui ouvrit le crâne d'un
seul coup :
— Une arme étrange ! Étrange, mais efficace.
Surpris par ce geste aussi violent qu'inattendu, Shack'Gan réprima le chef d'un regard sévère :
— Pourquoi l'as-tu tué ? Rien ne t'y obligeait !
— Tu voulais que je fasse quoi ? Que je le relâche, pour qu'il aille prévenir leurs guerriers ?
Je n'ai aucune envie de les affronter à nouveau. Pas maintenant en tout
cas. Nous avons bien plus important à faire pour l'instant. Nous devons
retrouver l'elfe, et nous avons enfin une piste à suivre.
Zol'Kor arriva le lendemain, dans la matinée. Lorsqu'il apprit les événements de la veille, il entra dans une colère noire :
— Qui a organisé la défense de la cité ?
Perk'Ort s'avança :
— C'est moi.
— Tu mériterais que je te fasse exécuter pour trahison ! Comment se fait-il que des elfes aient pu entrer par ce passage ?
Shack'Gan s'avança :
— Il a organisé la surveillance, mais ce sont les guerriers chargés de
cette surveillance qui ont failli. Ils ont déjà payé pour leur faute,
ils sont morts.
Le chef de guerre lui renvoya un regard assassin :
— Il faut les empêcher de retourner dans le royaume des elfes dégénérés !
Perk'Ort lui répondit aussi sereinement que possible :
— J'ai déjà envoyé tous mes guerriers surveiller la frontière. Ils ne pourront pas passer.
Zol'Kor le frappa violemment :
— Ils sont déjà passés une fois ! Jusqu'ici, au cœur même de la cité !
Qu'est-ce qui me dit qu'ils n'ont pas déjà quitté le territoire ?
Perk'Ort tituba sous la puissance du coup, mais il ne manifesta aucun signe de douleur, ni de colère :
— Les pisteurs n'ont encore trouvé aucune trace. Ils ne peuvent pas avoir traversé la rivière sans avoir étés repérés.
Zol'Kor explosa :
— Où sont-ils allés alors ?
Le
chef de guerre envoya ses propres guerriers explorer la forêt, à la
recherche de la moindre trace, même insignifiante, sans résultat. Au
soir du troisième jour, sa colère était telle qu'il manqua de peu de
tuer le guerrier qui lui annonçait une fois encore n'avoir rien trouvé.
Shack'Gan lui reprocha son comportement trop impulsif, mais Zol'Kor,
loin de se calmer, le menaça :
— Tu n'es qu'un mage, tu n'as pas ton
mot à dire sur la façon dont je traite mes incapables de guerriers ! Et
si tu persistes à me défier, tu finiras par en payer le prix fort !
— Je ne suis effectivement qu'un mage, mais les mages sont aussi là
pour calmer l'agressivité des chefs, et leur permettre de prendre du
recul sur les événements, afin de mieux les comprendre.
Zol'Kor lui répondit avec un regard noir :
— Un jour, tes belles paroles te conduiront à ta perte. Peut-être bien plus tôt que tu ne te l'imagines.
Au
quatrième jour, une patrouille en provenance de Tirwendel arriva à
Nelandir. Ils étaient chargés de gibier, ce qui redonna le sourire aux
trolls de Zol'Kor qui n'avaient pu prendre le temps de chasser depuis
l'attaque des elfes. Perk'Ort les accueillit chaleureusement :
— Bienvenue à Nelandir ! Votre voyage s'est bien passé ?
Un troll s'avança :
— Je suis Rak'Nor, le chef de ce groupe. Nous avons un message de Ort'Kan à transmettre à Zol'Kor.
— Suis-moi, je vais te conduire jusqu'à lui. Votre voyage s'est bien passé ?
— Très bien !
Il montra le gibier :
— Nous ne sommes pas venus les mains vides, on s'est dit que ça vous ferait plaisir.
En arrivant sous la tente de Zol'Kor, Rak'Nor s'inclina :
— Salut à toi Zol'Kor. Je viens de Tirwendel pour te transmettre un message de la part du roi.
Le chef de guerre laissa échapper un geste d'agacement :
— Je t'écoute.
— Ort'Kan te demande de retrouver au plus vite l'elfe fugitive, et de
revenir avec elle à Tirwendel. Des elfes rebelles commencent à y créer
des troubles, et le roi aura besoin de toi pour les exterminer.
Zol'Kor se leva, visiblement énervé :
— Mais qu'est-ce qu'il veut à la fin, que je me lance dans une guerre
frontale avec les créatures qui vivent de l'autre côté de la rivière ?
Je n'ai pas assez de guerriers pour ça ! Et cette maudite elfe le sait,
elle s'y cache, probablement avec l'aide de quelques « humains » comme
ils s'appellent !
Il marcha quelques instants, faisant des
allées-venues entre son siège et Rak'Nor puis il redressa la tête,
tentant de se montrer plus chaleureux :
— Mais je manque à tous mes devoirs. Est-ce que Perk'Ort vous a montré vos tentes ?
— Pas encore, il m'a conduit jusqu'ici dès notre arrivée. Je suppose qu'il doit s'en charger en ce moment.
— Et votre voyage ? Rien de particulier, d'insolite ?
— Tout s'est bien passé. Aucune anicroche avec les elfes, malgré les
rebelles. Ils commencent à se méfier de nous, comme ceux qu'on a croisés
il y a deux jours. Ils ont essayé de se faire discrets, de nous
contourner, mais nous les avons quand même repérés.
— Et vous les avez laissés filer ?
— Nous n'allions quand même pas perdre du temps à pourchasser quatre
elfes ! Ils étaient assez loin, et ils se dirigeaient à l'opposé de
notre direction.
Il prit quelques secondes avant de préciser :
— Mais certains de mes guerriers les ont trouvés étranges.
Cette dernière remarque éveilla la curiosité du chef de guerre :
— Étranges ? Comment ça ?
— Ce n'est probablement rien, mais deux d'entre eux portaient du
gibier, mais une seule avait un arc. Nous nous sommes dits qu'il était
inhabituel d'aller à la chasse avec une seule arme. Et puis, cette
enfant, elle avait des cheveux couleur de feu. Je n'en avais jamais vu
de cette couleur.
L'évidence s'imposa dans l'esprit de Zol'Kor :
— Des cheveux couleur de feu ? Des elfes qui chassent ? Ce n'étaient
pas des elfes ! Seule celle qui portait l'arc en était une. Dans quelle
direction allaient-ils ?
Rak'Nor ne comprenait pas d'où Zol'Kor
tirait ses conclusions, mais il semblait soudain moins taciturne, plus
déterminé que jamais :
— Ils se dirigeaient en gros vers Tirwendel.
Le chef de guerre afficha un sourire de prédateur qui effraya un peu son hôte :
— Parfait, avec un peu de chance, nous allons pouvoir satisfaire Ort'Kan rapidement.
Il sortit de sa tente et hurla :
— Rassemblement ! Il me faut une trentaine de guerriers ! Nous partons pour Tirwendel sur le champ !
Il vit Shack'Gan qui discutait avec Lak'Mor. Il ne pouvait pas prendre
le risque de laisser ces deux-là sans surveillance, si près du
territoire des humains :
— Vous deux ! Vous venez avec nous !
Commentaires
Enregistrer un commentaire