Litak du clan de la Forêt Sombre - Chapitre XXV
XXV
Urog vint s'asseoir en
face de lui et Sharle se demanda jusqu'où il pourrait aller dans son
récit. Après une légère hésitation, il décida qu'il était temps de
laisser tomber le voile. Ces guerriers avaient le droit de savoir, au
moins autant que Litak. Et puis, dans les combats qui allaient venir,
cela pourrait bien être un avantage.
Corg effectuait la traduction pour ceux qui ne comprenaient pas assez Sharle.
— L'histoire a commencé plus d'un an avant le début de la seconde
guerre des clans. J'avais suivi l'instruction militaire que reçoivent
tous les soldats de Valfond, ainsi que des enseignements de tactique et
de stratégie, afin de pouvoir diriger notre armée lorsque le moment
serait venu.
Urog hocha la tête. Le futur chef du clan avait été dans la même situation.
— Mais, à la fin de mon instruction, je trouvais que toutes nos
tactiques de combat étaient trop tournées vers la défense et
pratiquement pas sur l'attaque. Nous sommes une petite seigneurie et
nous n'avons jamais eu d'ambition de conquête, mais je trouvais qu'à ne
jamais concevoir de plans d'attaque, nous ne serions jamais en mesure
d'anticiper sur les intentions d'un éventuel assaillant.
Les soldats et guerriers émirent des murmures d'approbation.
— Je me suis donc engagé dans la garde seigneuriale des Belles Landes,
car à mes yeux, c'était la plus puissante des seigneuries, notre
principal partenaire économique et Garmond était un ami de mon père.
Là, j'ai suivi l'enseignement des généraux des Belles Landes jusqu'à la
guerre. La position de Garmond était de ne pas intervenir ou
éventuellement, comme médiateur. Il estimait que Centre Monde avait
poussé trop loin les provocations contre les clans et qu'il leur fallait
une bonne leçon. Il pensait aussi que cette seigneurie, était trop
étendue et trop aride pour que les clans ne puissent l'occuper sur le
long terme.
Harmond avait envoyé des messagers à La Croisée Des Eaux
pour ordonner à Garmond de ne pas intervenir. Mais ce dernier avait
trop d'ambition, trop de rêves de gloire pour se contenter d'être simple
spectateur et vous connaissez la suite.
Les orques approuvèrent et ceux qui étaient à Babunta eurent un large sourire.
Sharle fixa Urog. Peut-être devait-il connaître la légende qu'il avait inspirée.
— Lorsque vous êtes arrivés devant nos murs, les rescapés nous avaient
déjà apporté la légende d'un orque trois fois plus grand que les autres,
dont le cri était si terrifiant, qu'il déviait le fil des épées, et la
hache si grande qu'il pouvait fendre tout un bataillon d'un seul coup.
Ceux qui l'ont vu combattre lui donnaient plusieurs noms, le Démon Vert,
le Hachoir, ou encore la Mort de Babunta. Ceux qui l'ont combattu ne
seraient jamais revenus.
Il fixa à nouveau Urog.
— Et quand je te regarde, Urog, je me dis qu'ils n'ont pratiquement pas exagéré.
Le colosse eut l'air surpris et ses compagnons éclatèrent de rire. Les
soldats de Valfond avaient, eux aussi, entendu cette légende, mais
l'avaient toujours pris comme tel : une légende destinée à rendre plus
effrayant l'ennemi et à valoriser la victoire obtenue sur celui-ci. À
présent, ils regardaient tous Urog d'un œil nouveau et le respect qu'ils
éprouvaient naturellement pour le futur chef s'en trouvait amplifié.
—
Donc, lorsque vous êtes arrivés à Pont des Landes, Garmond ne disposait
plus que de la garde seigneuriale pour vous repousser. Les troupes
régulières, envoyées pour soutenir la Croisée Des Eaux, n'étaient jamais
arrivées là-bas et leurs généraux n'étaient jamais rentrés.
Il ne
restait plus que quelques capitaines de la garde pour organiser la
défense et Garmond nous a réunis pour que nous exposions nos idées. Ma
proposition était la plus audacieuse, la plus risquée aussi, mais
Garmond a jugé que notre situation était désespérée et qu'il valait
mieux tenter l'impossible, que d'attendre une armée de secours dont nous
savions qu'elle ne viendrait jamais.
Sharle perçut les commentaires des orques, qui entendaient pour la première fois l'autre version de l'histoire.
—
J'ai donc organisé des reconnaissances nocturnes pendant plusieurs
jours. J'ai ainsi appris que vous aviez un général, un seul, ce qui
était surprenant dans une armée composée de si nombreux clans, mais qui
expliquait parfaitement sa terrible efficacité.
Nous étions moins
nombreux que vous et notre seul avantage était ce fleuve qui protégeait
la ville et rendait une attaque frontale contre elle impossible.
Corg se souvenait bien de ce fleuve et de la rage de certains chefs de
clans de devoir attendre que la ville tombe par elle-même, sans pouvoir
combattre.
La
dernière reconnaissance m'a appris que vous étiez en train de construire
des embarcations. J'ai compris que si vous preniez pied sur l'autre
rive du fleuve, nous serions perdus. J'ai donc décidé d'un plan
d'attaque que j'ai soumis à Harmond. Les autres capitaines criaient à la
folie, mais seul un acte de folie pouvait nous sauver.
La nuit
suivante, j'ai fait sortir tout ce que la ville pouvait compter comme
combattants et nous avons remonté le fleuve sur la rive encore libre.
Nous l'avons traversé puis nous vous avons contournés pour vous prendre à
revers. Pendant ce temps-là, quelques hommes parmi les plus courageux
–et il leur en fallait du courage– étaient chargés de neutraliser votre
général.
Sharle en
arrivait à la partie de l'histoire qui suscitait le plus
d'interrogations chez les orques. Martog posa la première question,
celle que tous auraient voulu poser.
— Pourquoi pas avoir tué Hekox ?
Sharle prit le temps de la réflexion.
— Mes hommes avaient pour ordre de neutraliser le général. Vivant de
préférence, mais s'ils étaient repérés, ils avaient l'autorisation de le
tuer. Heureusement, ils ont pu le capturer vivant, ainsi que ses
proches conseillers. Je ne voulais pas rééditer la traîtrise de Centre
Monde durant la première guerre des clans. Mais notre faiblesse ne me
laissait pas d'autre choix, alors je voulais en minimiser les
conséquences. Hekox est un orque intelligent, excellent meneur –et il
fallait qu'il le soit pour unifier tous les clans ! – brillant stratège.
Je pensais et je pense toujours que le peuple Orque a besoin de chefs
comme lui.
— La suite de l'histoire, vous la connaissez, la bataille de Pont des Landes et la retraite jusqu'au Grand Fleuve.
Effectivement,
les orques connaissaient la fin de l'histoire, mais certains détails et
non des moindres restaient une énigme pour eux. Corg fut le premier à
demander :
— Et le Hurleur, tu le connais ?
Les orques
s'agitèrent, en partie parce que ce terrible personnage avait réduit à
néant toute envie de combattre chez eux, mais aussi parce qu'enfin, ils
allaient en apprendre plus sur ce mystère.
C'était le point de
non-retours. Sharle appréhendait la suite, la réaction des orques
lorsqu'ils sauraient. Mais maintenant, ils devaient savoir, ils en
avaient le droit. Il chercha à percevoir leurs émotions, leurs
commentaires. Rien d'inquiétant, hormis une terrible tension chez Urog.
Une sorte de colère trop longtemps contenue, prête à exploser.
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