Les cendres de Tirwendel - Chapitre XXXIII

 

XXXIII

Lorsqu'il pénétra sur le domaine de Nelandir, Shack'Gan suscita la curiosité des trolls. Il constata rapidement que tous le croyaient mort. Il se rendit immédiatement dans la tente de Zol'Kor qui ne put masquer sa surprise de le revoir :
— Il t'en a fallu du temps pour revenir ! Qu'est-ce que tu faisais ? Tu sympathisais avec les elfes peut-être ?
— Mes blessures ne me permettaient pas de courir. Mais toi, tu ne m'as pas cherché longtemps après la bataille. Lorsque je suis revenu à moi, vous étiez déjà partis. Tu préférais probablement penser que j'étais mort.
Il s’approcha de lui, dans un silence pesant, avant de reprendre :
— Combien d'autres guerriers as-tu abandonnés sur ce champ de bataille sans te demander s'il était possible de les aider ?
Zol'Kor brûlait d'envie de se jeter sur le mage, mais la présence de guerriers de Rol'Taar et les pouvoirs de Shack'Gan l'en dissuadèrent. Pour l'instant.
Le mage continua à provoquer le guerrier :
— M'autorises-tu à donner des soins aux blessés, ou doit-on les considérer comme déjà morts eux aussi ?
Le chef de guerre explosa :
— Dehors ! Sort d'ici ! Je n'ai pas de temps à perdre avec toi, j'ai des recherches à organiser !

Il appliquait un baume antiseptique sur les blessures bénignes d'un guerrier, lorsqu'une voix tonitruante se fit entendre derrière lui :
— Alors comme ça, même la mort ne veut pas de toi !
Il se retourna tout sourire :
— Lak'Mor ! Quel plaisir de te revoir ! Alors, toujours à la recherche de l'elfe disparue ?
Le jeune guerrier fit un geste d'agacement :
— Ne m'en parles pas ! Nous avons parcouru toute cette forêt dans tous les sens, nous avons fouillé tous les trous, tous les arbres... Et nous n'avons toujours rien trouvé. Si ça continue comme ça, Zol'Kor nous demandera bientôt de fouiller aussi les entrailles des bêtes pour l'y débusquer !
Shack'Gan banda la blessure avant de s'éloigner avec le jeune guerrier :
— Où en sont ces recherches ?
Lak'Mor vérifia qu'ils n'étaient pas écoutés :
— Nous savons tous les deux que l'elfe n'est plus dans la forêt. Zol'Kor finira bien par le comprendre aussi. Ce jour-là, nous risquons bien de nous retrouver en guerre contre ces créatures infernales.
— Ce sont des humains. Les elfes étaient en guerre contre eux lorsque nous les avons attaqués. Apparemment, ce sont, eux aussi, de bons combattants.
— Comment le sais-tu ?
— J'ai demandé à un elfe qui les a combattus.
Lak'Mor était surpris :
— Tu as parlé à un elfe ?
— À plusieurs en fait.

Une patrouille de recherche passa devant eux. Les guerriers étaient manifestement excités, et les deux amis se demandaient ce qu'ils avaient trouvé. Le chef de patrouille entra dans la tente de Zol'Kor qui en ressortit quelques instants plus tard en hurlant :
— Rassemblement immédiat !
Tous les trolls présents à Nelandir se regroupèrent rapidement. Zol'Kor grimpa sur un rocher afin de leur parler :
— La patrouille de Perk'Ort a trouvé des traces de l'elfe disparue. Ils ont retrouvé des bolas de l'autre côté de la rivière. Les cordes avaient été tranchées, ce qui signifie que quelqu'un l'a sortie de l'eau et l'a libérée de ses entraves. J'en déduis qu'elle est en vie, plus loin au Sud. Nous devons donc y aller, la retrouver et l'éliminer !
Les guerriers, lassés de ces vaines recherches, prirent la nouvelle avec enthousiasme et lancèrent un cri de victoire. Shack'Gan au contraire, fut bouleversé. Désolé par la tournure des évènements, il eut une pensée pour Lamaën.
Le chef de guerre finit sa harangue :
— Nous partirons demain au lever du jour. Cette elfe est notre unique objectif. Nous ne rentrerons que lorsque nous l'aurons eue !
Les guerriers ponctuèrent à nouveau ces mots par un cri de guerre.

Ils avançaient dans la forêt en colonne compacte. La rivière n'était plus très loin et Shack'Gan se demandait ce qu'il allait bien pouvoir faire là-bas. Rol'Taar s'approcha de lui :
— As-tu une idée de ce que nous allons trouver là-bas ?
— Les créatures qui vivent de l'autre côté de la frontière sont des humains. Les elfes étaient en guerre contre eux avant que nous ne les attaquions.
— Comment le sais-tu ?
Shack'Gan chuchota la réponse :
— J'ai demandé à un elfe qui les a combattus, avant qu'il ne soit exécuté par les guerriers de Zol'Kor.
Sous le choc, Rol'Taar s'arrêta de marcher quelques secondes :
— Mais quelle idée t'a pris de faire ça ?
Le mage lui répondit comme une évidence :
— Il est plus facile d'obtenir des informations d'un elfe tant qu'il est encore vivant.
Il s'approcha de Rol'Taar et murmura à son oreille :
— Je me suis déjà approché de leur village. Une vision inquiétante. J'ai tout de suite compris que ce n'étaient pas des elfes, malgré une certaine ressemblance. Alors, je voulais en savoir plus.
Rol'Taar eut soudain un doute :
— Tu sais où se cache cette elfe ?
— Non. J'ignore où se trouve Naëwen de Nelandir. Mais si elle est chez les humains, jamais nous ne la retrouverons.
— Que valent ces humains au combat ?
— Ils sont organisés, nombreux et combatifs. Les elfes n'en sont jamais venus à bout.
Rol'Taar se retourna vers ses guerriers. La moitié des trolls qui l'avaient suivi dans cette aventure étaient déjà tombés en luttant contre les elfes. Combien devraient encore tomber avant la fin de toute cette folie ?

Ils arrivèrent à la rivière directement à proximité du gué qu'ils franchirent sans effort avant de remonter vers l'amont. Lorsque Shack'Gan reconnu enfin le bosquet où il avait retrouvé le cadavre du chevreuil, Perk'Ort montra l'endroit où il avait trouvé les bolas. Shack'Gan sentit alors à nouveau cette odeur âcre de fumée. Elle était presque imperceptible, mais il savait qu'elle serait de plus en plus forte en approchant du village et il se demandait à quel point elle perturberait les guerriers. Zol'Kor leva son bras vers le sud et la colonne se remit silencieusement en marche.
Le mage écoutait les commentaires des guerriers pendant qu'ils marchaient. Certains guerriers commencèrent à sentir l'odeur de fumée et en firent la remarque à leurs voisins. Un sentiment de malaise s'installa progressivement, qui se renforça lorsqu'ils constatèrent que les arbres étaient maintenant bien plus petit que ceux qu'ils avaient l'habitude de voir. Enfin, en croisant les premières souches d'arbres abattus par les villageois, certains guerriers se mirent à évoquer les légendes de bout du monde, de chutes dans les abysses sans fin, et de bêtes monstrueuses.
Ils arrivèrent bientôt à la lisière de la forêt, à la fois rassurés et inquiets à la vue des panaches de fumée noire qui montaient dans le ciel derrière la colline qui leur faisait face.

Zol'Kor envoya un guerrier observer ce qui se trouvait de l'autre côté, et ce qui pouvait bien être à l'origine de cet étrange phénomène. Il revint quelques instants plus tard, bouleversé par la vision d'horreur de Vertpré, sa nature défigurée, ces assemblages de pierres qui rejetaient presque tous cette fumée nauséabonde qui prenait à la gorge. Le guerrier frissonna :
— On ferait mieux de ne pas y aller.
Zol'Kor explosa :
— Comment-ça, ne pas y aller ? Si cette elfe l'a fait, nous pouvons en faire autant ! Nous sommes des trolls oui ou non ?
Il bouscula le guerrier et s'avança à découvert d'un pas décidé. Il s'arrêta sur la crête, observa quelques instants. Il s'accroupit soudain, mais il resta sur place encore quelques minutes avant de revenir à couvert. Il s'adressa alors à ses troupes :
— Ce n'est pas le bout du monde comme certains d'entre vous ont pu le penser. Ce n'est qu'un territoire que nous ne connaissons pas encore. Je n'ai vu que des elfes dégénérés. Rien de bien dangereux. Nous allons donc attaquer cet endroit, débusquer une elfe qui s'appelle Naëwen de Nelandir et la capturer. Ort'Kan a demandé qu'on la lui amène et c'est ce que nous allons faire ! C'est à ce prix seulement que vous pourrez rentrer auprès des vôtres !
Il leva sa massue :
— En avant !
Et sans attendre, il s'avança à découvert, suivi peu de temps après par les guerriers. Lak'Mor interrogea Shack'Gan du regard. Pour toute réponse, le mage haussa les épaules et s'avança à la suite des autres trolls.

Sous le choc de la vision de cauchemar que représentait pour eux le village humain, les guerriers s'arrêtèrent sur la crête, n'osant s'avancer plus loin. En contrebas, un groupe de paysans travaillait la terre pour préparer des semis.
Un guerrier s'interrogea à haute voix :
— C'est vraiment des elfes ?
Un des paysans releva la tête et aperçut les guerriers. Il interpella les autres en pointant les trolls du doigt. Aussitôt, les humains s'enfuirent en courant vers le village.
Comprenant qu'ils allaient perdre l'effet de surprise, Zol'Kor brandit sa massue et hurla :
— À l'attaque !
Shack'Gan tenta de s'interposer :
— Non ! Nous ne savons pas à quoi nous avons affaire ! Ce ne sont pas des elfes. Jamais les elfes n'ont saccagé leur territoire comme ces créatures-là !
Le chef de guerre repoussa violemment le mage :
— Espèce de lâche ! Laisse nous passer !
Sur ce, il se lança à la poursuite des villageois, accompagné de ses guerriers. Rol'Taar s'apprêtait à le suivre, mais Shack'Gan le retint par le bras :
— Ne prends aucun risque, observe et apprend.
Rol'Taar jeta un coup d'œil à ses guerriers, s'attarda sur le plus jeune d'entre eux et opina du chef :
— Tu n'es pas en état de combattre. Je te laisse Lak'Mor en protection.

Les deux amis restés sur la crête observaient les guerriers lancés à la poursuite des villageois. Lak'Mor constata à haute voix :
— Ils ne les rattraperont pas avant la cité.
Shack'Gan eut à nouveau une pensée pour Lamaën. Pour une raison qui lui échappait, il espérait que cette Naëwen, chère à la petite elfe, ne se trouvait pas ici. Il en venait à se demander vers qui devait aller sa loyauté. Vers la horde qui bafouait les valeurs et les principes du peuple troll, ou Lamaën, dont il se sentait plus proche qu'il ne le serait jamais de Zol'Kor et ses guerriers ?
Un son étrange et effrayant le tira de ses pensées. Ce bruit qui n'avait rien de naturel se reproduisait rapidement et revenait en écho. Il en chercha l'origine, qu'il parvint à identifier. Du haut d'une petite tour, un homme donnait l'alerte en frappant un gros objet creux et brillant. La raison de ce vacarme était évidente, et les trolls ne disposaient désormais plus de l'effet de surprise. Zol'Kor et les guerriers accélérèrent encore, mais déjà, à l'entrée du village, des hommes se postaient pour contrer l'attaque. Leurs armes étaient étranges, faites de bois et d'un matériau inconnu, gris et brillant.
Emportés par leur élan, les guerriers bousculèrent la ligne de défense et commencèrent à massacrer tous les hommes à leur portée. Quelques flèches tombèrent, tuant certains trolls, mais sans pourtant parvenir à les arrêter.
Soudain, à l'angle d'une rue, des hommes, équipés d'armes courtes et tranchantes, taillèrent en pièces les trolls, qui se présentèrent devant eux. Dorénavant, chaque angle de bâtiment pouvait cacher un piège mortel. Les hommes frappaient fort, tuant quelques guerriers, puis ils se repliaient vers un autre piège, avant que les guerriers ne puissent s'organiser. Les habitations, elles aussi, se montraient dangereuses, cachant pour certaine des archers. Impossible cependant d'y pénétrer, car elles n'avaient rien à voir avec les fragiles huttes des elfes. Elles étaient de pierre, et chaque ouverture était trop étroite. Le troll qui oserait s'y glisser serait entravé par l'étroitesse du passage et risquerait de se faire tuer par un défenseur libre de ses mouvements.

Soudain, au loin, un nouveau son étrange, comme le cri d'une énorme bête attira l'attention de Shack'Gan. En haut de la colline opposée, les portes du grand bâtiment aux tours impressionnantes s'ouvrirent et une colonne d'hommes, tous vêtus des mêmes couleurs chatoyantes, et lourdement armés, s'avança vers le village. Le mage comprit alors que les hommes qui se battaient actuellement contre les guerriers n'étaient pas de vrais combattants. Les guerriers humains allaient seulement se lancer dans la bataille. Dans ces conditions, jamais Zol'Kor ne l'emporterait s'il ne se repliait pas en dehors de ce village, bien trop favorable aux humains qui le connaissaient par cœur.

Lorsque l'ombrageux chef de guerre vit les premiers soldats, il comprit qu'il devait combattre en terrain dégagé. Il ordonna le repli vers la colline, et les guerriers s'exécutèrent rapidement, se regroupant à mi-hauteur et s'organisant en une ligne compacte, prête à subir le choc d'un assaut. Les soldats arrivèrent au contact, compensant leur faiblesse physique par leur nombre, leur armement et leur cohésion. Contrairement à Zol'Kor qui prenait activement part au combat, le chef des hommes était un peu en retrait. Shack'Gan prit cette attitude pour de la couardise, jusqu'à ce qu'il comprenne que cela lui permettait d'analyser la situation et d'organiser ses soldats, pour s'adapter rapidement à la situation tactique. Malgré les tentatives de Zol'Kor pour les bousculer, les humains tenaient bon et l'issue de la bataille était pour le moins indécise.

Un mouvement au loin, vers l'ouest, attira l'attention du mage. Un homme, monté sur une créature quadrupède de haute taille, était apparu. Il resta là quelques secondes avant de disparaître derrière la colline. Dix minutes plus tard, une charrette tirée par le même genre de créature apparut, escortée d'une dizaine d'hommes en armes, mais portant des couleurs différentes que celle des soldats qui affrontaient Zol'Kor. L'ensemble descendit de la colline et se dirigea vers le village.
De son côté, Zol'Kor était parvenu à faire reculer ses adversaires vers les habitations.

 

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