Les cendres de Tirwendel - Chapitre XVIII
XVIII
— Tilou ? Tilou, t'es là ?
Le jeune homme fut brutalement tiré de son sommeil. Il jeta un coup
d'œil à son hôte. Elle transpirait, elle était brûlante de fièvre, mais
elle respirait calmement. Il se leva de sa chaise et alla ouvrir la
porte. Alnard était là, souriant :
— Je venais voir si tu avais retrouvé ta flèche.
Le jeune soldat observa son ami quelques secondes : teint pâle, yeux rouges mi-clos, épaules voûtées :
— On dirait que tu as passé une mauvaise nuit ! Ne me dis pas que tu as cherché cette flèche tout ce temps ?
Un gémissement se fit entendre, une voix féminine. Alnard ouvrit de grands yeux :
— La nuit n'a peut-être pas été si mauvaise après tout ! Qui est l'heureuse élue ?
Tilou tenta maladroitement de nier :
— Non, ce n'est pas ce que tu crois !
Alnard poussa gentiment son ami et entra dans la petite maison :
— Allez quoi, les possibilités ne sont pas si nombreuses, le village n'est pas immense.
Il resta planté au milieu de la pièce, bouche bée. Allongée dans le lit
de son ami, semblant dormir d'un sommeil agité, une jeune femme
inconnue, bien trop fine pour être une paysanne, bien trop belle même
pour être de la ville voisine – il l'aurait déjà remarquée et surement
pas oubliée.
Tilou le prit par le bras, tentant de le faire sortir :
— C'est compliqué, je t'expliquerai plus tard, mais là, je dois m'occuper d'elle.
Elle bougea en poussant un nouveau gémissement. Une mèche de ses longs
cheveux vert clair retomba, dégageant son oreille, allongée en pointe
vers le haut. Alnard se dégagea brutalement :
— Mais c'est une elfe !
Tu es devenu fou ? Une elfe ! Ces créatures sont dangereuses, mortelles
! Ils ont tué tes parents, tu te souviens ?
Tilou lui fit signe de se taire :
— Mon père est mort à la guerre. Ma mère est morte de chagrin un an plus tard.
Il désigna l'elfe :
— Et elle n'y est certainement pour rien.
Alnard ne parvenait pas à détacher son regard de l'étrange patiente de Tilou :
— Elle pourrait te tuer, tu le sais. Quelle idée stupide t'est passée par la tête ?
Il eut une pensée qui le stupéfia :
— Tu n'as quand même pas traversé la rivière ?
Tilou fixa le sol :
— Juste à moitié. Je l'ai retrouvée au fond de l'eau.
Alnard empoigna une chaise et s'assit, les bras croisés sur le dossier :
— Raconte-moi !
Tilou s'approcha d'elle, posa sa main sur son front. Elle était
brûlante. Il trempa un linge dans de l'eau fraîche et lui passa sur le
visage. Puis il remplit un gobelet, lui souleva délicatement la tête et
la fit boire doucement. Enfin, il se tourna vers son ami :
— J'ai
retrouvé le chevreuil au bord de la rivière. Comme je ne voulais pas
être repéré par les elfes, je l'ai tiré plus loin, derrière un buisson.
J'allais le préparer pour rentrer quand ils sont arrivés.
— Les elfes ?
— Non. Des créatures effrayantes. Ils la pourchassaient. Je l'ai vue en
blesser deux, et puis ils l'ont eue. Une fléchette, probablement
empoisonnée et des bolas. Ils lui ont cassé une jambe et l'ont jetée
dans la rivière avant de repartir.
— Pourquoi ? Qu'est-ce qu'ils lui voulaient ?
Tilou soupira :
— Il ne m'est pas venu un seul instant à l'esprit de leur demander les raisons d'une telle agressivité.
Alnard hocha la tête en souriant :
— Ça, je peux comprendre. Mais quelle idée d'aller repêcher une elfe au fond de la rivière ?
Tilou regarda sa protégée :
— À ce moment-là, je ne savais pas que c'était une elfe. Je la croyais
déjà morte. Je me suis dit que, qui qu'elle puisse être, elle méritait
une meilleure sépulture qu'un tas de cailloux dans une rivière. Ce n'est
qu'une fois ici, à la lumière, que j'ai compris.
Alnard se releva :
— Bon, et bien maintenant, il va falloir prévenir Pallon !
Tilou se précipita pour lui barrer le chemin :
— Non ! Je ne sais pas ce qu'il lui ferait, mais je doute qu'il lui veuille du bien.
Alnard tenta de raisonner son ami :
—
Ce sont nos ennemis. Elle est dangereuse. Tu l'as dit toi-même. Elle a
tenu tête à plusieurs de ces monstres. Qui sait ce qu'elle pourrait te
faire ?
— Mais regarde-la ! Elle est blessée et mourante. Elle est parfaitement inoffensive.
Hésitant, Alnard observa la jeune elfe une dernière fois :
—
Bon d'accord. Avec un peu de chance, elle ne survivra pas. Mais tu ne
laisses aucune arme, pas même une brindille à sa portée, et promets-moi
que tu la tueras au moindre signe d'agressivité de sa part.
Tilou ne
s'imaginait pas un instant pouvoir la tuer, mais il promit, d'une part
pour se débarrasser de Alnard, d'autre part pour lui soutirer une autre
promesse en retour :
— Mais toi, tu me promets de ne rien dire, à personne !
— D'accord. Mais je repasse ce soir.
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