Les cendres de Tirwendel - Chapitre XVII
XVII
Rol'Taar se présenta devant Zol'Kor :
— Les guerriers ont retrouvé une elfe au bord d'une rivière. Elle ne
s'est pas laissée faire. Elle a tué deux guerriers et en a blessé deux
autres, dont un ne survira probablement pas. Mais ils l'ont certainement
tuée.
Zol'Kor plissa ses yeux :
— Certainement ?
Rol'Taar aurait assurément préféré se trouver ailleurs :
— Ils l'ont touchée d'un dard empoisonné, elle a été immobilisée dans
des bolas, ils lui ont cassé une jambe et l'ont jetée à l'eau, toujours
lestée par les bolas. Comment aurait-elle pu survivre à ça ?
Zol'Kor écarta ses mains, paumes vers le ciel :
— Où est le cadavre ?
Rol'Taar se recroquevilla sur lui-même :
— Nous ne savons pas. Il a probablement été emporté par le courant.
Shack'Gan
décida d'aller chercher des informations de la bouche de ceux qui
avaient « certainement » tué l'elfe. Rol'Taar donna un ordre à l'un de
ses guerriers et conduisit le mage et le chef de guerre là où étaient
soignés les blessés. Il désigna l'un d'eux, blessé à l'abdomen. Fiévreux,
rongé par l'infection, le malheureux n'en avait plus pour longtemps.
Voyant arriver un mage, son compagnon d'infortune, blessé à la cheville,
s'inquiéta :
— Il va s'en sortir ?
Shack'Gan ne voulait pas donner de faux espoirs :
— J'en doute. Mais je dois pouvoir apaiser ses souffrances.
Le blessé hocha la tête :
— Je m'en doutais. Cette elfe, elle avait déjà reçu un dard empoisonné.
Même si elle l'avait retiré immédiatement, jamais nous n'aurions pensé
qu'elle pouvait encore être dangereuse.
Le mage examina sa blessure :
— Comment est-elle morte ?
— Le poison ou la noyade. Peut-être les deux, comment savoir ?
Zol'Kor s'énerva :
— Pourquoi n'êtes-vous pas allé la chercher dans l'eau pour vous en assurer ?
Le blessé observa le guerrier comme s'il voulait l'évaluer. Après quelques instants, il se décida à répondre :
— Il faisait nuit. Nous ne pouvions voir le fond de l'eau à cause des
reflets de la lune et personne n'était prêt à prendre le risque de se
noyer pour si peu. Nous nous sommes tous dits qu'elle ne pouvait avoir
survécu à ça et puis, Wahl'Tar avait besoin de soins d'urgence.
Quatre
guerriers se présentèrent comme étant ceux qui avaient donné la chasse à
la fugitive. Zol'Kor les interrogea immédiatement, sans ménagement :
— Qui est l'imbécile qui a jeté cette elfe à l'eau ?
Lak'Mor s'avança. Zol'Kor s'approcha si près de lui que le jeune guerrier se fit violence pour ne pas reculer :
— Qu'est-ce qui t'a pris de faire ça ?
Le redoutable guerrier l'impressionnait, mais il ne détourna pas le regard :
— Elle avait déjà tué deux des nôtres. Je l'ai immobilisée avec mes
bolas, mais elle a quand même réussi à blesser Urt-Pehr. Je voulais
juste la mettre hors d'état de nuire. Je n'avais pas imaginé qu'elle
pouvait être aussi légère...
Zol'Kor n'était pas prêt à pardonner cette erreur :
— Tu aurais dû aller la repêcher pour lui trancher la gorge !
— J'y suis retourné ce matin. Elle n'était plus là, mais la rivière est trop profonde pour qu'elle ait pu en sortir seule.
Shack'Gan nota pour lui-même l'éventualité d'une intervention
extérieure, sans en faire part à Zol'Kor en qui il n'avait aucune
confiance. Il se contenta de demander au jeune guerrier :
— Quoi de
plus simple pour bien comprendre le déroulement d'une bataille que de
voir le terrain où elle a eu lieu ? Pourrais-tu m'emmener là-bas ?
Ils
marchèrent une bonne heure avant d'arriver à la rivière, ce qui
démontra aux yeux du mage les qualités de pisteur des guerriers qui
avaient poursuivi la fugitive aussi longtemps en pleine nuit. À mesure
qu'ils progressaient, Shack'Gan observa que les arbres devenaient moins
impressionnants. Il en déduisait qu'ils arrivaient aux limites du
territoire des créatures sylvestres. Plus ils approchaient de la
rivière, plus l'odeur âcre qu'il avait décelé dans l'air devenait
puissante et plus il craignait ce qu'il allait y trouver.
Il aperçut
enfin les premiers signes de lutte –des branches basses arrachées, de
l'herbe foulée, des traces de sang– puis, rapidement, il entendit le
bruit de l'écoulement de l'eau. En arrivant sur la berge, il fut surpris
de constater que la rivière n'était tout au plus qu'un torrent d'une
dizaine de mètres de large, à l'eau claire, froide et vive.
Il
analysa les traces qu'il pouvait distinguer sur le sol : les petites
empreintes de l'elfe, d'abord espacées, puis rapprochées et enfin, les
traces d'un corps traîné sur le sol, proche de la série d'empreintes
plus larges et plus marquées des guerriers.
Rien de ce qu'il put
constater ne vint contredire la version des guerriers. Satisfait de ses
observations, le mage s'approcha enfin du cours d'eau. Contrairement à
ce qu'il avait imaginé, le lit de la rivière était abrupt et le guerrier
assez fou pour avoir tenté de retrouver le corps de l'elfe en pleine
nuit n'aurait pas pu faire plus de trois pas avant d'être totalement
submergé, si tenté qu'il n'ait pas glissé avant.
Le
courant semblait puissant. Pour le vérifier, Shack'Gan y plongea
l'extrémité d'une longue branche qu'il tint à bout de bras. Il dut luter
de toutes ses forces pour éviter qu'il ne soit emporté par la force du
courant. Il lui parut évident que le corps avait été emporté vers
l'aval. Mais jusqu'où ?
Il se tourna vers Lak'Mor :
— J'ai vu ce que je voulais. Nous pouvons rentrer.
Zol'Kor le railla :
— Tu nous as fait venir jusqu'ici pour voir quoi ? Du sable et de l'eau ?
Shack'Gan lui répondit sans même le regarder :
— Qu'y puis-je si tu ne vois que les évidences ?
Il
s'apprêtait à prendre le chemin du retour, laissant l'ombrageux
guerrier tenter de comprendre ce qu'il avait voulu dire lorsqu'un
mouvement attira son attention de l'autre côté de la rivière, un peu en
aval. Deux oiseaux charognards se battaient près d'un buisson. Il les
observa quelques instants avant de suivre les guerriers.
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