Litak du clan de la Forêt Sombre - Chapitre LII
LII
À la mi-journée, Litak
vit la relève arriver, mais Halbair la laissa à la roue. Elle remarqua
que Radgog et Laïna faisaient partie de la nouvelle équipe, ainsi qu'un
orque d'âge mûr. Halbair s'approcha de la métisse :
— Si la roue s'arrête, je fais fouetter la petite, si vous n'allez pas assez vite, c'est le vieux qui prend !
Elle s'inquiéta. Comment allait-elle faire pour éviter à ses compagnons d'infortune de souffrir, alors qu'elle était épuisée ?
— Mais tes hommes m'ont empêchée de dormir toute la nuit et j'ai déjà
poussé toute la matinée ! Je ne pourrai pas continuer encore comme ça
longtemps !
Il la gifla.
— Je n'ai que faire de tes jérémiades !
Tu ne manquais pas d'énergie pour tuer mes hommes, alors maintenant, tu
pousses, ou ils souffrent !
Il lui administra une grande claque dans le dos.
— Maintenant !
Elle eut l'impression qu'il lui avait décollé les os du dos et sa côte
cassée la faisait souffrir, mais elle commença à pousser, aidée par les
autres.
— Je suis désolée, tout est ma faute.
L'orque adulte voulut la rassurer :
— Ce n'est pas ta faute. Le seul fautif, c'est lui. Un jour, il paiera pour tout ça !
Il désigna tout le bâtiment du menton.
— Alors comme ça, tu as tué quelques-uns de ses hommes ? Combien, deux, trois ?
— Une dizaine, je n'ai pas vraiment compté.
À
la tombée de la nuit, ils furent enfin décrochés et personne n'avait
subi les foudres de Halbair. Litak remercia son ainé qui s'était
présenté comme Zoltog du clan des Basses Terres.
— Ce n'est rien, personne ne devrait subir ce que ce monstre t'impose.
— Mais il ne m'a pas menacée.
— Non, mais c'est pire. Il veut te briser en se servant de ce qui fait
ta grandeur : ton désir de protéger les autres. Il fait souffrir les
plus faibles sous tes yeux et il veut te faire croire que tout est ta
faute.
Elle essayait de regarder les choses sous cet angle et
comprit qu'il avait raison, cependant, elle n'acceptait pas l'idée de
voir Laïna subir des sévices qu'elle ne méritait pas.
— N'oublie pas : tu ne peux pas tous nous sauver. C'est impossible et ce n'est pas ta faute. C'est de la sienne.
Litak
savait que Zoltog avait à lui seul assuré son travail et celui de Laïna
en plus du sien et elle l'admirait pour son endurance. Elle fit un
sourire à Laïna.
— Courage, tu ne resteras pas ici toute ta vie.
Tibair
la jeta sans aucun ménagement dans son cachot et dès qu'il referma la
porte, elle perçut à nouveau l'horrible bourdonnement. Elle s'allongea
tout au fond de la cellule et ferma les yeux.
Lorsqu'elle les ouvrit, Lina était à côté d'elle, la poussant doucement.
— Tu dois manger et boire avant de dormir, sinon ils m'obligeront à repartir avec ton repas.
Litak eut besoin de quelques instants pour bien se réveiller.
— Merci.
Elle se jeta sur la nourriture, puis, elle se souvint :
— Est-ce que tu peux prendre la clé de la porte de derrière pour l'ouvrir ?
— Là, maintenant ?
— Non, mais est-ce que tu en as la possibilité ?
— Je ne sais même pas où elle est.
— Dans la salle de garde, accrochée au mur entre deux râteliers de lances.
Litak n'aurait jamais pensé qu'une humaine puisse ouvrir ses yeux à ce point.
— Mais ! Comment le sais-tu ? Personne n'entre jamais dans cette salle à part les gardes !
— Je le sais, c'est tout.
Les paroles de Lina éclatèrent comme une bombe dans son esprit.
— Personne n'entre jamais à l'intérieur ?
— Non.
Voilà qui allait compliquer les choses.
— Et si je parvenais à te donner cette clé, tu pourrais ouvrir la porte ?
Lina ne comprenait pas où elle voulait en venir.
— Oui, mais jamais ils ne te laisseront en approcher.
Une voix masculine appela :
— Alors Lina, tu comptes venir habiter ici ou quoi ?
Elle sursauta.
— Je dois y aller !
Et elle se précipita pour sortir.
Lorsque l'homme eut refermé la porte, Litak se dépêcha de finir son maigre repas, puis elle s'allongea et essaya de sortir à nouveau de son corps, comme la veille. Elle se pensait malheureusement trop fatiguée pour y parvenir et se résolut donc à tenter de contacter son père avec les gammes. Elle s'allongea, se concentra sur sa respiration et se détendit. Elle pensa à son père, à la façon dont elle le percevait. Elle l'imagina là-haut sur la colline, entouré de Sharle, de Urog et de Bratak. Elle laissa son esprit vagabonder, faisant abstraction de tout son environnement immédiat, le froid de sa cellule, le bourdonnement permanent, qu'elle aimerait supprimer. Elle repensa à cette roue qu'elle avait fait tourner toute la journée, elle imagina le mécanisme qu'elle avait deviné sous terre et soudain, à sa grande surprise, elle était dans cette salle étrange, avec des roues dentées qui s'imbriquaient les unes dans les autres, jusqu'à une sorte de bobine d'un métal rouge orangé. Elle percevait le bourdonnement bien plus net et puissant que depuis sa cellule, mais elle ne comprenait pas pourquoi elle ne le percevait pas depuis la cour. Elle observa le plafond : il était en métal, comme les portes des cellules. Pouvait-elle agir sur ce métal ? Litak se concentra, tendit une main fantomatique vers le plafond, mais rien ne se produisit. Elle décida de faire le tour de la salle et derrière une rangée d'armoires, elle vit un mur constellé de poignées. Certaines étaient relevées et coincées entre deux pattes métalliques, d'autres étaient baissées, laissant libres les mâchoires de métal. Elle en choisit une au hasard et la baissa de sa main évanescente. À priori, rien ne changea. Elle la releva, en choisit une autre et la baissa : rien. Elle continua ainsi, testant toutes les poignées les unes après les autres.
Litak baissa une nouvelle poignée et non seulement le bourdonnement cessa, mais en plus, elle entendit une série de cliquetis familiers : elle venait d'ouvrir toutes les portes des cellules. Elle entendit des jurons derrière une porte et des pas qui s'approchaient dans la précipitation. Paniquée, elle releva immédiatement le levier et tenta de se cacher, mais trop tard. La porte s'ouvrit brusquement, un homme entra, se précipita vers Litak et la traversa. Elle se souvint qu'elle n'était pas visible lorsqu'elle se déplaçait ainsi.
L'homme observa le mur aux poignées, poussa un juron et se tourna vers la porte :
— Tout a l'air normal ici ! C'est sûrement encore un de ces foutus faux contacts !
Il sortit de la pièce et cria :
— Il faudra prévenir Halbair ! Quelle manie d'aller acheter des
vieilleries de centre monde, alors que personne ne sait à quoi ça sert,
ni comment ça fonctionne !
Une autre voix, plus lointaine, lui répondit :
— Bah ! Je l'ai toujours dit, ce type est complètement barré. Mais bon, tant qu'il paye bien...
L'autre referma la porte que Litak traversa à sa suite. Elle se
trouvait dans un couloir dont tout un côté n'était constitué que de
portes de cellules comme la sienne. La demi-orque les longea toutes en
observant ceux qui étaient enfermés derrière. À l'angle du couloir, elle
retrouva les deux hommes, occupés à frapper contre les barreaux d'une
porte avec un objet métallique. Elle s'approcha et vit Laïna
recroquevillée au fond de sa cellule, visiblement terrorisée. Ce qu'elle
percevait des deux hommes lui donna la nausée.
— J'irais bien lui faire une petite douceur !
— T'es écœurant ! Et puis, si tu l'abîmes, Halbair te les coupera pour les donner à bouffer aux tripuks.
— T'exagères. Et puis, comment il le saurait ? C'est pas elle qui irait lui dire.
Il frappa à nouveau contre les barreaux avec une tasse métallique.
Litak fut prise d'une colère terrible contre cet homme. Elle saisit la
tasse et la lança violemment sur son propriétaire. Il se recula en
hurlant et en mettant les mains au visage. Du sang coulait entre ses
mains. Son collègue éclata de rire :
— Toi, t'es quand même un vrai maladroit !
L'autre poussa un juron :
— C'est pas drôle, je crois que je me suis cassé le nez !
Les deux hommes s'éloignèrent
Litak entra dans la cellule, posa sa main sur le bras de la petite orque, pleine de compassion pour la pauvre malheureuse.
— Ne t'inquiète plus, je crois qu'ils ont eu leur compte pour ce soir.
Laïna sursauta :
— Qui est là ?
— C'est moi, Litak.
La petite orque frissonna.
— Tu es un esprit ?
— Non, je suis bien vivante. Un ami m'a enseigné comment faire ça. Ne
t'inquiète plus, j'ai des amis qui vont venir nous aider. Ce n'est plus
qu'une question de jours. Ils sont avec Farabert. Il va les guider
jusqu'ici.
— Mais c'est impossible, Halbair a dit que Farabert était mort, tué par des orques !
— Non, il est bien vivant et il veut vous sortir de là, toi, Radgog et Lina. Courage et patience.
Litak vit la lueur de Sharle briller au travers des murs.
— Je dois y aller. Mes amis m'appellent.
— Non ! Reste avec moi, je t'en prie, j'ai peur ici !
— Je reviendrai, je te le promets. Je ne te laisserai pas ici.
Elle
lui effleura le bras doucement, puis elle sortit du cachot. Elle allait
s'élancer vers la lumière de Sharle, quand elle se souvint de la clé.
Elle longea donc le couloir jusqu'à trouver des escaliers, les remonta
pour déboucher dans un nouveau couloir. Au bout d'une nouvelle rangée de
portes, elle trouva une sortie qui donnait sur la cour. Elle se dirigea
vers la salle de garde où elle trouva une dizaine d'hommes dont celui
qui avait le nez cassé. Les autres se moquaient de lui, pendant que son
compagnon racontait l'histoire. Litak craignait que quelqu'un ne voie la
clé bouger si elle tentait de la prendre immédiatement. Elle cherchait
comment faire diversion, lorsque le blessé posa sa main sur un râtelier
d'armes. Elle vit là l'occasion qu'elle cherchait. Elle usa de toute son
énergie pour renverser le meuble et tout le matériel qu'il supportait,
ce qui provoqua une explosion de rires et un grand fracas. Litak en
profita pour saisir la clé de sa main invisible et sortir le plus vite
possible de cet endroit. Elle se rendit vite compte cependant que cette
clé semblait trop lourde pour qu'elle puisse la transporter ainsi
jusqu'à la grotte. Peut-être n'était-elle pas en acier. Elle devait la
cacher à l'extérieur de cette sinistre bâtisse. Elle ne pouvait prendre
le risque de monter sur la courtine avec, car elle risquait de la faire
tomber et d'alerter ainsi les gardes. Elle se dirigea donc vers la porte
de derrière et fit glisser la clé en dessous, puis elle la récupéra de
l'autre côté. Dans un dernier effort, elle la traîna jusqu'à un buisson à
l'écart des habitations. Enfin, elle se dirigea vers la lumière.
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