Les cendres de Tirwendel - Chapitre LVI
LVI
Alnard s'approcha de Rulna :
— Allez ! Ça fait deux jours que tu frappes sur ce rocher sans
t'arrêter. Il va bientôt faire nuit, viens, tu as bien mérité de te
reposer.
Elle releva la tête, dégagea une mèche de cheveux qui l'empêchait de voir le jeune homme :
— Je me repose tous les soirs ! C'est bien assez.
Il insista :
— Ce rocher sera encore là demain, tu sais. Et puis regarde comme tu as
déjà bien progressé ! Tu peux passer de l'autre côté maintenant.
Elle se gratta la tête :
— Si je peux passer, peut-être que des elfes le pourront aussi.
Elle lui sourit, narquoise :
— Je reviens !
Elle se faufila avec aisance dans l'espace qu'elle avait dégagé, sous l'œil inquiet du jeune soldat :
— Eh ! Mais qu'est-ce que tu fais ? C'est plein de trolls de l'autre côté !
— Ne t'inquiète pas ! Je n'ai pas l'intention de les attaquer toute seule !
Alnard s'appuya sur sa pelle et se tourna vers Delendir qui revenait avec un chariot :
— Je déteste quand elle fait ça !
L'elfe haussa les épaules :
— C'est une naine. Qu'est-ce que tu veux y faire ?
Alnard commença à pelleter les gravas dans le chariot :
— Lui faire confiance... Et espérer.
Delendir était déjà reparti avec le chariot plein, lorsque Rulna réapparut :
— J'ai de la compagnie !
Alnard l'aida à s'extirper de l'étroit passage et vit le visage anxieux d'un jeune elfe apparaître derrière elle :
— Bonjour. Moi, c'est Alnard, bienvenue à Rorg Alren !
Il aida l'elfe à se dégager du passage pendant que Rulna frottait la poussière de sa chemise :
— À ton avis, qu'est-ce qu'il fabrique Tilou ? Et pourquoi il m'a
demandé de lui trouver une salle la plus éloignée de l'île et la plus
profonde possible ?
Alnard tendit les bras pour aider un deuxième elfe :
— Je n'en ai aucune idée. Mais nous pourrons aller lui demander tout à l'heure.
Les jeunes elfes se détendirent lorsqu'ils virent réapparaître Delendir. Celui-ci semblait apprécier l'initiative de Rulna :
— Ça fait plaisir de voir que ça se rempli de ce côté pendant que ça se vide de l'autre.
Il se pencha vers les deux jeunes elfes :
— Vous êtes combien à faire le voyage cette fois-ci ?
Celui qui paraissait le plus âgé répondit :
— Une vingtaine. Là-Haut, ils commencent à s'inquiéter. L'un des chefs
troll est de plus en plus agressif. Il a déjà tué deux des nôtres, et il
se pourrait bien qu'il ne s'arrête pas là. Et puis un des trolls a
probablement compris ce qui se passe ici, alors nous essayons d'être le
plus discrets possible.
Rulna serra les dents et fronça les sourcils. Elle saisit son marteau et son burin, mais Delendir l'arrêta :
— Ça ne me plaît pas non plus, mais tu sais bien que si tu travailles
la nuit, les trolls ont plus de chance de t'entendre. Tout est calme
là-haut. Le moindre petit bruit suspect va attirer leur attention, et
ça, nous ne le voulons pas.
La naine était tendue comme corde prête à rompre. Alnard prit ses joues entre ses mains :
— Tu fais tout ton possible pour eux. Ce que fait Zol'Kor n'est pas de ta responsabilité.
Delendir devint soudain blême, réalisant ce que venait de dire l'enfant :
— Un troll connaît l'existence de ce passage ? Pourquoi n'a-t-il rien fait ?
Alnard lui répondit comme s'il s'agissait d'une évidence :
— Il parle de Shack'Gan, le mage qui a aidé Lamaën.
Delendir semblait désemparé :
— Tout ça n'a aucun sens.
L'un des plus jeunes elfes s'approcha timidement de Rulna :
— Vous êtes une naine, n'est-ce pas ?
Surprise par la question, elle parvint à se détendre :
— Toi, tu es un fin observateur !
— Nous pensions que Gorwindel avait tué tous les nains à Rocknor.
Elle lui sourit :
— Tous ceux qui étaient à Rocknor y sont morts. Mais quelques-uns n'y
sont pas allés. Ils avaient compris que ce n'était pas seulement une
forteresse imprenable. C'était aussi un piège mortel pour ceux qui s'y
trouveraient.
— Et vous êtes venus ici ?
Elle éclata de rire :
— Ici ! Sur le territoire des elfes ! Autant aller nous jeter dans un
lac de lave ! Non, ceux qui ont survécu sont allés se cacher quelque
part, au cœur du royaume des nains. Rorg Alren est la Cité Première,
c'est ici que commence l'histoire de mon peuple, mais les elfes nous en
ont chassé il y a cinq cents ans.
Il hésita un instant avant de poser la question qui lui brûlait les lèvres :
— Alors pourquoi nous aidez-vous après ce que nous avons fait a fait à votre peuple ?
Elle posa une main sur son épaule :
— Ôte-moi d'un doute, tu n'es pas Gorwindel n'est-ce pas ?
Il eut un mouvement de recul comme si elle venait de proférer la plus odieuse des insultes :
— Non ! Bien sûr que non !
Elle sourit :
— C'est bien ce que je pensais. Alors pourquoi devrais-tu payer pour ce qu'a fait ce Gorwindel ?
Elle ne lui laissa pas le temps de répondre :
— Tu t'es battu durant votre guerre contre les hommes ?
Il comprenait où elle voulait en venir et répondit en souriant :
— Je n'en ai pas encore l'âge.
Elle montra Alnard du pouce :
— Alors, d'après moi, le grand dadais que tu vois là n'a aucune raison
non plus de te laisser prendre racine sur cette île. Et puis, nous avons
une amie à qui nous avons promis de tout faire pour vous sortir de là.
Comme il semblait surpris, Delendir précisa :
— Naëwen de Nelandir.
Le jeune elfe écarquilla les yeux :
— Alors ce Zol'Kor avait raison ! Naëwen de Nelandir est bien venue avec une armée pour chasser les trolls !
Alnard jugea bon de ne pas trop le laisser espérer :
— Oh là ! Une armée ? Comme tu y vas ! Naëwen est venue jusqu'ici avec
Rulna, Tilou –un autre humain– et moi. Nous avons retrouvé le groupe de
Raëlnor dont fait partie Delendir. Nous sommes donc au total une grosse
trentaine de personnes en mesure de combattre... Certainement pas une
armée.
Après avoir
conduit les elfes jusqu'à Naëwen, Rulna, Alnard et Delendir prirent
congé et allèrent retrouver Tilou, poussés par la curiosité. En
approchant de la salle qu'elle lui avait trouvé, la naine fit une
grimace de dégoût :
— Il a mis le feu à la grotte ou quoi ?
Un
coup de tonnerre terrifiant se répercuta sur les parois du couloir.
Rulna et Delendir sursautèrent et observèrent le plafond, craignant
qu'il ne vienne à s'effondrer. Passé l'instant de surprise, Alnard
s'interrogea :
— Comment a-t-il trouvé le temps de fabriquer une nouvelle machine ?
L'elfe et la naine le regardèrent sans comprendre. Alnard sourit et leur expliqua :
— La dernière fois que j'ai entendu ce genre de bruit, Tilou venait de
faire exploser une de ses machines. Il y avait des morceaux de ferraille
éparpillés dans le champ à côté de sa maison. Mais ça lui avait demandé
plusieurs semaines pour fabriquer sa machine.
Delendir ne comprenait toujours pas :
— C'est quoi une machine ?
Alnard soupira et chercha les mots pour se faire comprendre :
— C'est un outil qui se sert de la force du feu et de la vapeur d'eau
pour fonctionner... Quand tout se passe bien. Tilou sait en fabriquer,
mais il a la fâcheuse tendance à les détruire dans une formidable
explosion.
Un nouveau coup de tonnerre retentit. Alnard fut le premier à réagir :
— Encore ? Alors là, je ne comprends plus !
Ils
approchèrent prudemment de l'endroit où Tilou travaillait, trouvant
l'air de plus en plus irrespirable et enfumé. En arrivant en vue de la
salle, ils virent le jeune forgeron en sortir en courant. Il aperçut ses
amis et leur hurla immédiatement :
— Ça va exploser ! Cachez-vous !
Rulna et Delendir restèrent immobiles, sans comprendre de quoi il
s'agissait. Alnard réalisa immédiatement le danger. Il attrapa ses deux
amis sans ménagement, les plaqua contre la paroi et se colla contre eux
pour les protéger. Quelques instants plus tard, un nouveau coup de
tonnerre se fit entendre, immédiatement suivi par un souffle puissant et
malodorant.
Alnard libéra l'elfe et la naine, se frotta les yeux,
avant de voir Tilou qui sautait sur place, excité et manifestement fier
de lui.
Le jeune forgeron s'approcha de lui, lui saisit les épaules
et le secoua en souriant et en bougeant les lèvres, mais Alnard
n'entendait qu'un sifflement désagréable :
— Qu'est-ce que tu dis ?
Après quelques secondes, le sifflement s'atténua légèrement et il entendit Tilou qui hurlait :
— Ça marche ! Tu te rends compte ! Ça marche ! On va pouvoir libérer les elfes !
Le jeune soldat lui répondit en hurlant à son tour :
— Tu en es sûr ? Parce que là, j'ai plutôt l'impression que tu as encore fait exploser une de tes machines infernales.
Tilou lui donna une grande claque dans le dos :
— C'est exactement ça ! Ton idée était vraiment géniale !
Rulna avait l'air dépité. Elle tapota discrètement sa tempe avec son index. Delendir lui répondit en haussant les épaules.
Tilou prit Rulna et Alnard par la main :
— Venez ! Je vais vous montrer !
Ils
entrèrent dans la salle enfumée. Tilou les guida vers un rocher aplatit
sur sa face supérieure. Lorsque la fumée se fut suffisamment dissipée,
ils remarquèrent que le plateau rocheux portait des traces de feu qui
rayonnaient depuis un point central. Alnard chercha des débris
métalliques :
— Je ne vois pas les restes de ta machine. Ils sont passés où ?
Tilou se baissa, ramassa l'un des nombreux fragments de terre cuite qui jonchaient le sol :
— Les voilà !
Le jeune soldat se gratta la tête :
— C'est tout ?
Tilou jubilait :
— Venez dans la salle voisine, j'en ai encore quelques un.
Sur une petite table, le jeune forgeron avait disposé plusieurs pots de
terre cuite. Certains étaient déjà refermés par un solide bouchon d'où
dépassait une étrange ficelle. D'autres étaient encore ouverts et
contenaient une poudre noire qu'un gros bol de granit avait servi à
préparer.
Tilou y préleva une pincée de sa préparation qu'il déposa
en un petit tas à quelques mètres de distance. Il prit une brindille de
paille sèche qu'il enflamma avant de l'approcher du dépôt noir. La
poudre s'enflamma instantanément en dégageant une lumière vive et une
fumée âcre :
— C'est un mélange de charbon et de sel de pierre,
comme celui que j'avais jeté dans le feu quand j'étais enfant. Ça brûle
très fort en faisant beaucoup de fumée, un peu comme de la vapeur d'eau
sous pression.
Comme tu t'en souviens, c'est la pression de la
vapeur qui faisait exploser mes machines, alors je me suis demandé si
cette poudre noire ne pouvait pas faire exploser des choses elle aussi.
J'ai essayé de trouver le bon mélange, celui qui brûlait le plus fort,
ensuite, j'ai trouvé des petits pots en terre cuite, je les ai remplis
de ce mélange... J'y ai mis feu et... Boum !
Rulna était consternée :
— Tu comptes leur jeter des pots qui font boum !
Elle se tourna vers Alnard, l'air désolée :
— Il est fou !
Alnard assemblait les pièces du puzzle :
— Non, bien au contraire ! Si tu avais vu l'état de sa maison après
l'explosion de sa première machine ! Une armée de trolls n'aurait pas
fait autant de dégâts !
L'œil pétillant d'excitation, il demanda à Tilou :
— Tu peux nous montrer ?
Tilou prit un pot fermé et le tendit à Alnard avec un grand sourire :
— Avec ça, nous pouvons attaquer l'île !
Delendir
avait insisté pour que Raëlnor et ses archers puissent assister à une
démonstration. Le chef des elfes s'était montré réticent et légèrement
méprisant envers les idées des deux hommes. Néanmoins, Naëwen leur
faisait entièrement confiance et décida de voir de quoi il en
retournait. Elle invita donc tous les elfes qui le désiraient à étudier
les possibilités offertes par la création de Tilou.
La démonstration
fut impressionnante, et le jeune forgeron prit le temps d'expliquer à
ceux qui le voulaient la manière de se servir de ces pots infernaux.
Alnard en profita pour adapter le plan d'attaque qu'ils avaient déjà
envisagé, afin de l'adapter à la nouvelle arme de Tilou.
Ils
avaient veillé tard pour tout mettre au point, si bien qu'au petit
matin, Rulna dut venir tirer les deux jeunes hommes du sommeil :
—
Allez les marmottes ! Il est temps de nous mettre au travail ! Il y a
des enfants là-haut qui rêveraient de profiter du confort et de la
sécurité de cette cité !
Alnard s'étira :
— Tu es dure avec nous.
Elle fronça les sourcils, ce qui le fit sourire. Il se leva promptement et ajouta :
— Dure, mais juste !
Il bouscula gentiment Tilou :
— Allez, réveille-toi ! Il parait que tu dois remplir de nombreux pots
de confiture. Il ne faudrait pas que tu te fasses exploser en
travaillant trop vite !
Comme Tilou ne réagissait toujours pas, Rulna poussa Alnard pour passer :
— Laisse-moi faire ! Quand j'en aurai fini avec lui, il n'aura plus envie de dormir avant longtemps.
Le jeune forgeron se redressa alors d'un bond et la naine se tourna vers Alnard :
— Tu vois comment il faut faire ?
Pendant
que Tilou se lançait dans la production d'une grande quantité de
poudre, et que quelques elfes l'aident à confectionner des « pots de
confitures », Rulna et Alnard continuaient à déblayer le passage,
toujours aidés par Delendir et quelques archers. La naine travaillait
avec acharnement et elle progressait d'autant plus vite qu'elle
commençait à pouvoir bouger à son aise dans le passage qu'elle avait
déjà dégagé.
Cependant, en fin de matinée, un elfe prisonnier vint lui demander d'arrêter de faire du bruit :
— Un des chefs troll est dans l'enclos ! Je ne sais pas ce qu'il veut, mais il ne doit pas savoir pour ce souterrain.
Après un long moment de tension dans un silence pesant, le jeune elfe revint catastrophé :
— Il va certainement la tuer, comme il a déjà tué les deux autres.
Rulna lui tenta de le calmer :
— Qu'est-ce qui s'est passé là-haut ?
— Zol'Kor est venu. Il voulait qu'on lui dise où vous trouver. C'est
son obsession depuis qu'il est arrivé sur cette île. Il a attrapé
Astaëlle et il l'a frappée pour qu'elle parle. Comme elle n'a rien dit,
il s'est acharnée sur elle. J'ai bien cru qu'il allait la tuer, mais
Tark'Olg est venu l'arrêter, et Shack'Gan l'a emmenée. Zol'Kor a dit
qu'il finirait de l'interroger demain. Je la connais, elle ne dira rien.
Alors, il va la tuer sous nos yeux pour nous pousser à parler.
La naine s'emporta :
— On ne peut pas laisser faire ça ! Pas si près du but !
Elle se tourna vers Alnard :
— Il va falloir intervenir cette nuit !
Le jeune homme réfléchit quelques secondes :
— Nous ne sommes pas prêts. Il nous faut plus de temps.
— Nous ne l'avons pas ce temps ! Tu l'as entendu ? Ils vont tuer une gamine ! À cause de nous !
Elle réfléchit rapidement et s'adressa au jeune elfe :
— Est-ce que tu crois que certains d'entre vous peuvent venir nous
aider à déblayer. Il y a d'autres passages obstrués. Je ne sais pas où
ils mènent, mais ça peut valoir le coup d'essayer.
Elle se tourna ensuite vers Delendir :
— Est-ce que tu retrouveras le chemin pour rentrer à Rorg Alren ?
L'elfe répondit sans hésiter :
— Je pense oui, et au pire, tu m'as montré le signe pour me diriger.
— Très bien. Prends un morceau de charbon, et à chaque croisement, note
la direction d'où tu viens. Tu vas devoir aller chercher de l'aide et
pousser Raëlnor à accélérer la construction des radeaux. Tout doit être
prêt ce soir. Dis-lui bien qu'avec ou sans lui, moi, je vais sortir les
enfants de là.
Delendir s'exécuta sans discuter. La naine interpela Alnard :
— Je vais passer du côté des enfants, toi, prends un autre marteau et un burin, et attaque ce rocher depuis ton côté.
Lorsqu'ils eurent dégagé un espace suffisant pour permettre à deux elfes de passer en même temps, Alnard mit fin à leur tâche :
— Rulna, la nuit va tomber. Il va falloir finir les préparatifs.
— On en est où ?
— De ce côté, on a dégagé deux passages. Ils mènent vers des cabanes où
les trolls ont installé des couchettes. Nous ne pourrons pas passer par
là.
Elle le rejoignit avec un sourire de carnassier :
— Dans ce cas, rien ne nous empêche de leur offrir de la confiture.
Les enfants qui les avaient aidés durant la journée attendaient de
pouvoir rejoindre leurs camarades. Constatant à quel point ils avaient
accumulé de la fatigue, Delendir leur fit une proposition :
— Vous
êtes épuisés, et cette nuit, vous risqueriez de nous retarder lorsqu'il
faudra évacuer. Si Rulna le permet, vous pouvez nous accompagner à Rorg
Alren. Après tout, vous êtes déjà de ce côté, et vous l'avez bien
mérité.
Les enfants se tournèrent vers la naine, attendant sa réponse. Elle fixa Delendir avec un air outré :
— C'est quoi cette histoire ? Tu ne crois quand même pas que je ne me
suis cassé la tête à dégager ce passage pour abandonner les enfants sur
l'île !
Elle pointa le doigt vers la cité :
— Allez hop ! C'est par là, et on ne traîne pas en route ! Il ne s'agirait pas de vous perdre en chemin !
Lorsqu'ils se furent éloignés en suivant Delendir, Rulna murmura à Alnard :
— C'est encore trop juste. Les enfants sont trop nombreux. Les trolls
ne vont pas se contenter de les regarder s'engager dans ce passage. Je
commencerai à les évacuer avant le début de l'attaque.
Sur le chemin
du retour, Rulna s'arrêta un peu avant la porte de la cité. Elle creusa
rapidement trois trous dans l'arche du tunnel en expliquant :
— Il faudra y mettre des pots de confiture, au cas où les trolls nous suivraient.
Tout
était calme. Un fin croissant de lune éclairait à peine la rivière
lorsque Alnard fixa soigneusement son épée et la longue corde enroulée
sur la grosse branche, bien cachées sous l'épais feuillage, puis il
s'engagea avec son radeau de fortune dans l'eau fraîche du fleuve, et se
mit à nager vers le large, en essayant de viser la dernière arche du
pont. Le courant était un peu plus fort qu'il ne l'avait prévu, et il
s'approcha rapidement de l'île. Arrivé à proximité du pont, Alnard
remarqua trois trolls qui y montaient la garde. Il laissa l'eau le
porter afin d'éviter de les alerter par des mouvements suspects, puis,
le danger passé, il nagea vigoureusement vers la berge. Il parvint à
prendre pied peu avant la pointe de l'île, ce qui lui permit de
s'approcher en douceur, alors qu'un troll faisait son chemin de ronde
entre l'eau et la palissade. Alnard attendit, la main fermement posée
sur la poignée de son poignard, mais fort heureusement, le guerrier
surveillait bien plus les elfes que le fleuve. Lorsque le jeune homme
estima que le danger était passé, il sortit enfin de l'eau, tira la
branche sur la berge, mit son épée à sa ceinture et commença à dérouler
la corde. Il en attacha une extrémité sur un solide rocher, fixa la
seconde sur la branche, vérifia la solidité de ses nœuds et repoussa le
gros rameau dans l'eau. Ceci fait, il prit son poignard et commença à
s'attaquer aux cordes qui maintenaient la palissade, prenant garde de la
laisser en place.
Se tournant vers l'aval, il distingua sa branche
qui s'immobilisait dans le courant. Après un temps qui lui sembla
interminable, il la vit enfin se rapprocher de la berge. Il sourit.
Tilou était à l'œuvre, comme prévu. En peu de temps, le premier radeau,
commença à remonter lentement le courant.
Alnard jeta alors un coup
d'œil vers le groupe des elfes prisonniers. L'un d'eux faisait les cents
pas, signe que l'équipe de Rulna était prête dans les tunnels.
Lorsque le radeau accosta enfin, Alnard s'immergea à nouveau et remonta
le courant sans bruit. Lorsqu'il arriva sous le pont, il fit jouer la
lame de son couteau dans la lumière de la lune. Rien ne se produisit. Il
espérait pourtant que son signal avait bien été reçu.
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