Les cendres de Tirwendel - Chapitre LX
LX
Tilou prodiguait ses
soins à tous ceux qui en exprimaient le besoin, sous l'œil curieux de
Lak'Mor qui essayait de comparer les méthodes des hommes avec celles des
trolls.
Le jeune forgeron venait de refaire le bandage de Astaëlle
et comme personne ne lui demandait son aide pour s'orienter dans cette
immense cité souterraine, Rulna l'aidait désormais à appliquer un
cataplasme bien chaud sur la jambe de Alnard, afin de résorber une
grosse contusion due à l'éboulement.
Delendir frappa à la porte du
local que Tilou avait aménagé comme infirmerie. Le jeune forgeron lui
fit signe d'entrer, mais l'elfe fit un pas de côté pour laisser un jeune
garçon et une enfant qui portait une attelle à la jambe entrer en
premier :
— Je vous présente Lamaën de Medenhil – À l'énoncé du nom de la petite elfe, Lak'Mor ne put masquer
sa surprise – et Odaroël, de Tirwendel. Cette demoiselle insistait pour
rencontrer notre nouvel ami et ce jeune elfe a quelque chose à vous
dire.
Le jeune elfe
avança d'un pas assuré et digne, mais il semblait néanmoins impressionné
par les créatures qui se trouvaient dans cette pièce. Il s'inclina avec
la grâce et l'élégance que donnait l'habitude de côtoyer les grandes
figures du royaume des elfes :
— Je suis Odaroël, de Tirwendel.
Tilou supposa qu'il avait affaire à un prince royal tant chacun de ses
gestes était empreint de raffinement. Il s'inclina à son tour :
— Votre altesse, je suis honoré de votre visite.
Odaroël ne put masquer sa surprise. Paniqué, il se tourna vers Delendir qui se mit à rire :
— Notre jeune ami vient bien de Tirwendel, mais il n'est pas de lignée
royale. Il y a pourtant côtoyé la famille royale et il était très proche
de notre regretté Aëlnor, prince héritier de Tirwendel. À ce titre, il a
des informations à vous donner.
Il encouragea le jeune elfe à parler :
— Pendant notre captivité, nous avons eu tout le loisir d'échanger les
informations dont nous disposions. Jusqu'à la chute de Tirwendel, je
n'avais pas compris ce que cherchaient les trolls. Mais maintenant, je
crois connaître leur stratégie. Ils ont commencé par prendre les cités
des princes qu'ils ont assassinés avec leurs familles. Puis, ils ont
pris Tirwendel...
Il marqua une pause en fermant les yeux avant de reprendre avec émotion :
— Et ils ont assassiné le roi et sa famille. Notre peuple n'a plus de
roi, et tous les héritiers présumés ont été éliminés... Tous, sauf
Naëwen de Nelandir. Elle représente l'ultime espoir des elfes, la seule
personne qui puisse nous guider dans ces heures sombres. Elle est
désormais notre reine.
Tilou devint blême et s'assit sur l'une des
couches, alors que Alnard voyait enfin les épreuves qu'ils venaient de
traverser sous un autre jour :
— C'est pour cette raison que les
trolls ont dépensé une telle énergie pour la retrouver. Elle est le
grain de sable dans leur plan.
Rulna était sidérée :
— Mon amie est la reine des elfes ! Jamais mon peuple ne me pardonnera une telle traîtrise...
Alnard se montra plus pragmatique :
— Pourquoi nous dis-tu tout ça ? Je pense que Naëwen et Raëlnor seraient plus à même de savoir quoi faire de ces informations.
Odaroël baissa son regard :
Je lui ai déjà donné ces informations, mais je doute qu'il les ait transmises à Naëwen.
Rulna répliqua sur un ton bourru :
— Tu n'as qu'à le lui dire directement. Où est le problème ?
Le jeune elfe fit un pas vers elle :
— Raëlnor fait tout ce qu'il peut pour isoler Naëwen du reste du
groupe. Il est pratiquement impossible de parler avec elle. Je crois
bien qu'elle ne sait pas elle-même qu'elle est notre reine.
Tilou s'offusqua :
— Mais qu'est-ce qui lui prend à ce général de pacotille ?
Lamaën vint se placer à côté de Odaroël :
— Depuis la chute de Tirwendel, il est le chef du seul groupe connu
encore en mesure de combattre les trolls. Et d'après ce que nous avons
compris depuis l'île, il leur a fait beaucoup de mal. Il se voit comme
un elfe providentiel, le sauveur de la nation. Mais vous trois, vous lui
faites une trop grande concurrence. Jamais il ne serait parvenu à nous
libérer sans votre aide, il le sait, mais il refuse de l'accepter.
La petite elfe fixa Tilou avec une étrange intensité :
— Il se rêve comme le nouveau chef de notre nation, et à ses yeux,
Naëwen est le moyen idéal de le légitimer comme roi des elfes.
La naine pouffa :
— Naëwen ne légitimera rien pour lui, c'est elle la reine !
Tilou s'affaissa encore plus sur la couche :
— Sauf s'il parvient à s'unir à elle.
Passé l'instant de surprise, Rulna serra les poings et se dirigea vers la porte :
— Je m'en vais lui dire ma façon de penser à ce cynips, ce bouffeur de verdure !
Alnard la rattrapa avant qu'elle ne franchisse le seuil :
— Très mauvaise idée ! Il n'hésitera certainement pas à de faire tuer si tu te rends là-bas dans cet état de colère !
Elle se débattit quelques instants, mais le jeune homme ne la relâcha qu'une fois qu'elle se fut calmée.
Delendir s'avança alors vers eux :
— Raëlnor n'est qu'un problème mineur que les elfes peuvent aisément
régler entre eux. Ce que nous devons comprendre, c'est comment les
trolls ont eu connaissance de la lignée des rois de Tirwendel avec assez
de précision pour pouvoir concevoir leur plan ? Seul un elfe de haute
lignée, susceptible de monter un jour sur le trône, peut connaître ces
informations.
Lak'Mor qui découvrait sa propre histoire sous un jour nouveau s'écria :
— Mais ça n'a aucun sens !
Odaroël qui avait oublié la présence de ce troll sursauta en entendant
sa voix rauque. Le jeune troll ne lui en tint pas rigueur et poursuivit :
— Il faudrait que cet elfe soit proche de Ort'Kan. Mais jamais
nous n'avons vu un elfe dans l'entourage de notre roi. Et puis, pourquoi
Ort'Kan aurait-il déclenché cette guerre pour mettre un nouveau roi sur
le trône des elfes ?
Avant de reprendre la parole, Odaroël fixa Lak'Mor, se demandant à quel point il pouvait faire confiance à ce troll :
— Peut-être que cet elfe est retenu prisonnier. Peut-être a-t-il parlé sous la torture...
Lak'Mor s'offusqua :
— Nous ne pratiquons pas ce genre de chose ! C'est contraire à notre code de l'honneur !
Astaëlle se leva en grimaçant, s'approcha du jeune troll et posa une main sur son bras :
— Toi, tu respectes ce code d'honneur, Shack'Gan aussi, mais est-ce bien le cas de tous les trolls ?
Lak'Mor fixa la jeune elfe avec des yeux surpris. Il observa son visage
tuméfié, son bras, étrangement immobilisé dans une écharpe par Tilou,
ses côtes, toujours enveloppées dans la peau de bête. Il baissa le
regard, plein de honte :
— Non. Je ne comprends pas ce qui est
arrivé à mon peuple. Depuis que Ort'Kan est devenu le roi des trolls,
beaucoup de choses ont changé. Nous sommes devenus une nation, nous
sommes partis à la conquête d'un territoire qui ne nous convient pas.
Il se redressa :
— Nous sommes faits pour occuper les vastes steppes, là où nous pouvons
voir le gibier de loin, là où l'air est sec et où rien ne bloque la
lumière du soleil. La forêt des elfes est un véritable enfer pour nous.
Alnard était sceptique :
— L'hypothèse d'un elfe prisonnier et torturé pourrait expliquer
l'élimination des prétendants au titre de roi des elfes, mais ça
n'explique pas pourquoi le roi des trolls se serait lancé dans cette
guerre au bénéfice de son prisonnier.
Ils restèrent silencieux pendant un long moment, avant que Rulna ne demande :
— Si le bénéficiaire de cette guerre est un elfe, se pourrait-il que cet elfe ait pris le contrôle du peuple trolls ?
Lak'Mor trouva l'hypothèse absurde :
— Ort'Kan n'est pas un elfe ! Jamais un troll ne laisserait une autre
créature lui dicter sa conduite. Si un elfe s'y essayait, il se ferait
massacrer sur le champ.
Le silence s'imposa à nouveau avant que le jeune troll ne se redresse soudain :
— La brume !
Les autres se tournèrent vers lui, sans comprendre de quoi il parlait. Constatant leur surprise, le jeune troll précisa :
— Quand nous avons compris ce qui était arrivé aux elfes de Tirwendel,
Shack'Gan était furieux. Il est allé demander des explications à
Ort'Kan, mais lorsqu'il en est revenu, il était changé. Absent, sans
volonté. Ça ne lui ressemblait pas du tout. Son état ne s'est amélioré
que lorsque nous sommes arrivés sur l'île.
Il s'approcha de la petite elfe qui ne manifesta pas la moindre crainte :
— Il m'a dit que tu étais là, avec les prisonniers. Je ne sais pas ce
que tu lui as fait, ni comment tu t'y es prise, mais il m'a dit que tu
l'avais aidé.
Odaroël n'y croyait pas :
— C'est impossible, elle n'est jamais sortie de l'enclos ! Comment aurait-elle pu l'aider ?
Astaëlle comprit ce que cela impliquait :
— Lamaën est une murmureuse ! Elle peut communiquer avec l'esprit des animaux. C'est comme ça qu'elle a pu aider Shack'Gan.
La petite elfe acquiesça de la tête, et Rulna poursuivit :
— Tu veux dire que ce serait un murmureur qui aurait rendu Shack'Gan léthargique ?
Elle se tourna vers Lak'Mor :
— Vos mages ont-ils ce genre de pouvoir ?
Le jeune troll hocha la tête :
— Non. Avec certaines drogues, Shack'Gan peut lire dans les esprits,
mais il ne peut pas imposer sa volonté. Lorsqu'il m'a aidé à me souvenir
de vous, je savais qu'il était là, il pouvait me parler, mais j'aurais
pu le chasser si je l'avais voulu.
La naine demanda alors aux elfes :
— Les murmureurs peuvent-ils imposer leur volonté à quelqu'un ?
Les elfes semblaient choqués par cette question. Delendir répondit, offusqué :
— Ce serait contraire à toutes nos valeurs ! Nous vivons dans le respect et l'harmonie avec les créatures de la forêt !
Rulna insista :
— Les trolls ne sont pas des créatures de la forêt. Un elfe pourrait-il leur imposer ses volontés ?
Astaëlle baissa la tête :
— Il y a cette vieille histoire, celle de Gorwindel, qui pouvait
soumettre les animaux dangereux à sa volonté. Il en aurait fait des
armes durant la guerre contre les nains.
Delendir ne voulait pas croire à cette histoire :
— Ce n'est qu'une légende ! Et puis il est mort ! Il était enfermé sur
cette île. Un jour, il a voulu s'enfuir en se jetant dans l'eau du
fleuve, et on ne l'a jamais revu. Il s'est noyé. Il est mort.
Lamaën prit la parole :
— C'est pourtant bien ce qui est arrivé à Shack'Gan. Un murmureur a
pris le contrôle sur sa volonté. Un murmureur puissant et expérimenté.
Il m'a fallu plusieurs jours pour réussir à libérer Shack'Gan, mais
celui qui lui a fait ça l'a fait en quelques minutes seulement.
Rulna semblait désolée pour Delendir :
— Quelqu'un a-t-il retrouvé le cadavre de Gorwindel ?
— Non, mais il a bien pu échouer sur l'autre rive.
Elle le fixa quelques secondes avant de suggérer :
— Tout comme il a pu s'échapper par les tunnels de Rorg Alren.
Lak'Mor se redressa soudain :
— Le Noiraud !
À nouveau, tous se tournèrent vers lui sans comprendre, aussi poursuivit-il :
— C'est le conseiller de Ort'Kan. Je ne l'ai jamais vu, je n'ai jamais
été autorisé à entrer dans la tente du roi, mais Shack'Gan n'aime pas
cette créature. Il dit qu'il est trop chétif pour être un troll, sa voix
n'est pas celle d'un troll. Personne n'a jamais vu son visage parce
qu'il s'enveloppe toujours d'un grand manteau à capuche et qu'il reste
toujours dans l'ombre, derrière Ort'Kan. Souvent, il se penche vers le
roi pour lui chuchoter des choses à l'oreille.
Astaëlle demanda :
— Depuis combien de temps est-il au service de votre roi ?
— Personne ne le sait vraiment, à part peut-être Ort'Kan lui-même ou
Zol'Kor. Ort'Kan n'était que le fils de Yart'Rog, chef d'un petit clan
sans importance. Mais en quelques années, Yart'Rog a réussi à rassembler
les clans voisins autour de lui puis, à sa mort, Ort'Kan a poursuivi
dans le même sens. Lorsque les clans ont compris ce qui se passait, il
était trop tard. Ort'Kan était devenu trop puissant. Les premiers clans
qui ont osé lui résister ont été massacrés. Depuis, plus personne n'ose
lui contester le pouvoir, et il est devenu le premier roi des trolls.
C'en était trop pour Delendir qui se dirigea vers la porte d'un pas déterminé. Alnard l'arrêta :
— Où vas-tu comme ça ?
Les poings serrés, l'elfe lui répondit sans le regarder :
— Je dois en avoir le cœur net. Je connais un elfe qui pourra nous en dire plus. Je vais le chercher.
Il
revint quelques instants plus tard avec un elfe d'âge mûr que Rulna
reconnu, car il avait toujours un comportement effacé en sa présence et
évitait autant que possible de la regarder.
Delendir le présenta :
— Voici Aldaron. C'est un vétéran de la guerre des nains.
À ces mots, le nouvel arrivant baissa le regard et tourna la tête du côté opposé à Rulna.
— Il a combattu sous les ordres de Gorwindel et il peut nous en parler.
L'elfe paniqua et pointa la naine du doigt sans la regarder :
— Tu ne m'as jamais dit qu'elle serait là !
Delendir lui répondit, surpris par sa réaction :
— Elle ne te fera rien, je te le promets.
Il interrogea Rulna du regard qui acquiesça silencieusement.
Aldaron lui jeta un rapide coup d'œil avant d'oser enfin lui adresser la parole :
— Comprends-moi bien, je ne te reproche rien... Mais depuis que j'ai
compris ce que nous avons fait ce jour-là... Toutes ces mères, tous ces
enfants... Comment avons-nous pu en arriver là ? Comment avons-nous pu
laisser faire sans réagir ?
Il s'écroula sur la première couche en enfonçant sa tête dans ses mains.
— Je n'ai jamais pu me pardonner cette horreur.
Rulna s'approcha de lui et prit ses mains avec une douceur qui ne lui était pas coutumière :
— Tu n'as plus à te torturer pour ça. Nous autres les nains, nous
sommes trop têtus et trop fiers. Jamais les miens n'aurait accepté la
défaite. Ils se seraient battus jusqu'à la mort, ou seraient morts de
faim bien à l'abri de Rocknor.
Elle marqua une petite pause, comme si elle cherchait les mots qu'elle allait prononcer :
— Vous avez juste précipité les choses et évité bien des morts parmi les vôtres.
Aldaron la regarda enfin, les yeux pleins de larmes :
— Mais nous aurions au moins pu leur laisser le choix, leur expliquer
ce qui allait se passer s'ils refusaient de capituler ! Mais non !
Gorwindel... Nous les avons assassinés dans leur sommeil, sans leur
laisser la moindre chance de s'en sortir !
— Laisser le choix à un
nain de se rendre ou de mourir ! Tu sais ce qu'ils t'auraient répondu.
Ils auraient préféré mourir que de se couvrir de honte en se rendant.
C'est aussi simple que ça. Ils ont décidé de s'enfermer dans Rocknor.
Ils savaient que c'était un piège. L'un d'entre eux, Dornin les a
prévenus. Il leur a laissé le choix de fuir les combats ou de s'enfermer
dans leur propre tombeau. Ceux qui ont choisi d'aller à Rocknor, les
plus nombreux, ont fait leur choix. Rien n'aurait pu leur faire changer
d'avis. Ils avaient porté la plus terrible des attaques contre Dornin en
le traitant de lâche. Suivre le même chemin que lui leur était
désormais impossible. Ils avaient scellé leur propre sort à l'instant
même où ils avaient choisi de suivre Rolgon et maudit Dornin. Tu
n'aurais rien pu y changer.
Elle fixa longuement Aldaron d'un regard doux et compatissant. Puis, elle ajouta :
— Mais aujourd'hui, tu peux nous aider à comprendre le malheur qui
frappe les elfes. Tu peux nous en apprendre beaucoup sur Gorwindel.
L'elfe redressa la tête surpris :
— Qu'est-ce qu'il vient faire dans cette histoire ?
Delendir prit le relais :
— Nous pensons qu'un elfe guide peut-être les trolls dans cette guerre.
Un elfe qui aurait un don particulier. Comme Gorwindel a été enfermé
sur la même île que les enfants, et qu'il a disparu sans laisser la
moindre trace, nous souhaitons que tu nous en dises plus à son sujet.
Aldaron lui lança un regard accusateur :
— Tu penses que le Général serait cet elfe ! Tu divagues complètement !
Le Général était un elfe prêt à tout pour son peuple ! Il ne reculait
devant aucun obstacle, et s'autorisait des méthodes que d'autres, après
coup, lui ont reprochées, mais qui lui ont permis de gagner de
nombreuses batailles en économisant le sang précieux des elfes ! Mais
jamais il n'aurait trahi les siens ! Jamais !
Lamaën vint s'asseoir péniblement à ses pieds et lui demanda sur un ton naïf :
— J'ai entendu des légendes à son sujet. Est-ce qu'elles sont vraies ?
Aldaron se radoucit un peu :
— Ça dépend de la légende, ma petite. Si tu penses aux contes que
raconte ce jeune idiot, non, rien n'est vrai. Mais il y en a qui le
sont. Il y en a même certaines auxquelles j'ai personnellement
participé.
Il s'installa confortablement, lança un dernier regard
courroucé à Delendir et commença à raconter ses aventures à l'enfant qui
ouvrait de grands yeux émerveillés.
Rulna écoutait, elle aussi,
attentivement car, pour la première fois, elle allait entendre
l'histoire de son peuple racontée selon un nouveau point de vue.
Ils apprirent ainsi que Aldaron et Gorwindel étaient des amis d'enfance,
qu'ils avaient vécu de nombreuses aventures bien avant que n'éclate la
guerre des nains, ce qui expliquait son refus de concevoir, ne serait-ce
qu'un instant, que le Général puisse être à l'origine de cette guerre
des trolls.
Tilou s'approcha de Delendir :
— Elle est maline cette petite. Elle a compris que Aldaron ne nous
dirait rien qui puisse compromettre la mémoire de Gorwindel. Mais en lui
faisant raconter ses souvenirs, elle nous permet d'en apprendre plus.
Delendir lui répondit avec un sourire amusé :
— Lamaën n'est encore qu'une enfant, mais elle est déjà deux fois plus
âgée que toi. Ne te laisse pas tromper par notre apparence, nous sommes
tous bien plus expérimentés que tu ne peux l'imaginer.
Le jeune
forgeron fixa son ami perplexe. Quel âge pouvait-il bien avoir ? Et
Naëwen ? Il s'apprêta à le lui demander, mais il se ravisa, estimant
qu'il serait probablement incorrect de sa part de faire preuve d'une
telle curiosité.
Aldaron en vint à raconter une nouvelle péripétie qu'il avait vécue au début de la guerre des nains :
— Nous étions donc piégés dans ce maudit chêne, à court de flèches, et
une bonne centaine de nains nous attendaient en bas pour nous régler
notre compte. Certain avaient même entrepris d'abattre notre arbre pour
accélérer les choses. C'est à cet instant que Gorwindel s'est allongé
confortablement sur une branche en nous disant que c'était le moment
idéal pour faire une sieste ! Il m'a même demandé de le prévenir quand
tout serait fini. Je lui ai répondu que lorsque tout serait fini, nous
serions morts, alors il ne devait pas trop compter sur moi pour l'en
informer.
Rulna ne put s'empêcher de sourire alors que Lamaën écoutait, toujours captivée.
— Et les nains continuaient de tailler notre tronc avec leurs haches,
pendant que Gorwindel dormait paisiblement. Et puis soudain, alors que
j'étais persuadé de vivre mes derniers instants, une harde de sangliers,
si nombreuse que j'ai cru un moment que tous les sangliers de la forêt
s'étaient réunis là, a chargé au pied de l'arbre. Surpris par cette
vague soudaine d'animaux furieux, les nains n'ont pas eu le temps de
fuir. Les plus chanceux sont morts sur le coup. Les autres ont
certainement dû agoniser quelques heures avant de les rejoindre.
Lorsque j'ai enfin compris que nous allions survivre à cette
mésaventure, j'ai secoué Gorwindel : « Ça y est ! C'est fini ! On est
sauvés ! » Il a jeté un coup d'œil au pied de l'arbre et s'est contenté
de dire : « Bon ! Nous n'avons plus qu'à rentrer maintenant ! »
Lamaën jeta un regard satisfait à Delendir qui lui répondit d'un mouvement de tête résigné.
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