Litak du clan de la Forêt Sombre - Chapitre LXXXVIII
LXXXVIII
Le clan de la Forêt Sombre séjournait dans la cité de Valfond, afin de permettre aux guérisseurs de la seigneurie de soigner au mieux les blessés, principalement Bratog. Les orques libres avaient découvert un peuple accueillant, composé d'hommes et d'orques. Évidemment, les citoyens de Valfond furent surpris en découvrant Litak, mais jamais elle n'eut à subir une quelconque hostilité. Sharle lui avait fait visiter la ville et le palais. Il l'avait présentée à Jehan qui l'avait beaucoup impressionnée et à Wanuka avec qui elle avait immédiatement sympathisé. Ils passaient beaucoup de temps ensemble et ce temps-là leur était précieux.
Au dixième
jour, Bratog put enfin se tenir debout et marcher quelques pas. Il
comprit alors que plus jamais il ne serait en mesure de défendre ou de
nourrir le clan. Il convoqua alors Urog et Corg.
— Je vous ai
demandés, car Garnox est mort et je ne pourrai plus diriger le clan. Je
vais donc te passer le commandement mon fils et je voulais te proposer
de prendre Corg comme second. Il a été élevé pour devenir chef, il est
toujours resté loyal et brave, il mérite le poste.
Urog savait que ce jour viendrait, mais il aurait préféré d'autres circonstances.
Corg n'était pas de cet avis.
— Urog a toutes les qualités pour faire un bon chef, mais je pense qu'il ne doit pas être le chef du clan de la Forêt Sombre.
— Que veux-tu dire ?
— Urog ne s'est jamais senti légitime pour devenir chef de ce clan. Je
sais qu'il a toujours pensé que j'aurais dû être le chef.
Bratog,
qui souhaitait garder le contact avec les autres clans, du moins ses
anciens voisins et la nation orque, fit inviter Radax, chef du clan de
la rivière Rouge, Partog chefs du clan des collines, leurs anciens
voisins, ainsi que Hekox, le chef de la Nation Orque.
Le clan
s'était réuni au bord du lac. Jehan, Zarmak et Sharle furent invités
d'honneur et de nombreux citoyens de Valfond s'étaient attroupés à
distance afin d'être les spectateurs d'une cérémonie traditionnelle des
orques libres. Bratog se tenait debout, la hache de cérémonie du clan à
la main. Face à lui, Urog, Corg et Zartog, le fils de Garnox. Le reste
du clan se tenait un peu en retrait.
Bratog leva la hache bien haut pour capter l'attention de l'assemblée.
—
Clan de la Forêt Sombre, nous avons connu de nombreux bouleversements
cette année. Notre territoire ancestral nous est devenu hostile, du fait
de la pression des rafleurs et de nos voisins. Nous avons trouvé un
nouveau territoire et bien qu'il soit déjà revendiqué, nos nouveaux amis
nous ont accueillis généreusement.
Il tendit la main vers Jehan, puis il la porta sur son cœur en signe de paix
— Puis,
lorsque les rafleurs ont attaqué notre camp, Garnox a vaillamment
protégé les nôtres, mais il a succombé sous le nombre. J'ai moi-même été
blessé et Urog a brillamment tenu le rôle de chef pour porter secours à
ceux qui avaient été capturés.
Depuis, avec l'aide des guérisseurs
de Valfond, je me remets de mes blessures, mais il s'avère que je ne
serai plus en mesure de guider les guerriers au combat. J'ai été élu
chef du clan voilà dix-sept ans et ce fut un honneur pour moi que d'être
le chef du clan de la Forêt Sombre, mais aujourd'hui, pour le bien du
clan, je dois céder la place à un nouveau chef.
Bratog
laissa à l'assemblée le temps d'intégrer l'information, puis tendit la
hache cérémonielle à son fils. Urog s'approcha de son père, s'agenouilla
à ses pieds, baissa son regard vers le sol et présenta ses mains,
paumes vers le ciel, dans la position du Noorg, présentation rituelle
des honneurs. À la suite de Urog, tout le clan présenta les honneurs à
Bratog.
Puis, à la surprise générale, Corg saisit la hache de cérémonie, la brandit bien haut au-dessus de sa tête :
—
Clan de la Forêt Sombre et vous, clans des Collines, clan de la Rivière
Rouge, Hekox, Chef de la Nation Orque, je vous le dis : Urog a toutes
les qualités pour devenir chef de clan, mais il ne peut pas être le chef
du clan de la Forêt Sombre.
Il laissa le temps aux orques d'intégrer ces mots.
— Ce clan n'existe plus depuis que nous avons quitté notre territoire.
Il lança un regard appuyé à Radax.
— Nous devons créer un nouveau clan, le clan du Lac Blanc et je propose que Urog en soit le chef fondateur.
Après
le coup de tonnerre de l'annonce de Bratog, la proposition de Corg fut
accueillie avec le plus grand soulagement. Corg s'avança près de Urog,
lui tendit la hache et lui présenta les honneurs rituels, suivi par tout
le clan. Urog leva la hache vers le ciel pour attirer l'attention.
— Je propose que Corg fils de Tornarok soit mon Second. Il est un guerrier redoutable et sage !
Les yeux du clan se rivèrent sur le père de Litak, attendant sa réponse.
—
Le poste de second revient à Zartog, fils de Garnox. Cependant, il
n'est pas encore en âge d'être guerrier. Jusqu'à ce qu'il le soit, je
serai Second et je continuerai de former Zartog à la charge qui sera la
sienne, comme son père l'aurait fait.
Chacun approuva et Sharle
ne fut pas surpris de l'attitude de Corg. Il savait qu'il serait
toujours loyal aux siens et que ses conseils seraient attentivement
écoutés, quel que soit le poste qu'il pourrait occuper par la suite.
Urog leva à nouveau la hache vers le ciel. Lorsqu'il eut capté l'attention de son auditoire, il reprit la parole :
—
Mes amis, si nous pouvons aujourd'hui célébrer la naissance d'un
nouveau clan, nous le devons en grande partie à l'un de ses membres les
plus exceptionnels.
Corg traduisait pour les humains qui
assistaient à la cérémonie, soit parce qu'ils avaient participé au
sauvetage du clan, soit par simple intérêt pour les traditions de la
Nation Orque.
Le colosse se dirigea vers Litak, lui tendit la main et l'entraîna au milieu du terrain.
—
Nous avons subi une attaque massive des rafleurs, qui ont profité de la
faiblesse du clan pour enlever nos compagnes et nos enfants. Garnox est
mort, Bratog et Urtak ont été sérieusement blessés dans cette attaque
et c'est grâce à Litak que huit d'entre eux ont pu s'enfuir. Durant cet
assaut ignoble, elle a courageusement affronté les rafleurs et en a tué
dix. Puis, alors que les rafleurs conduisaient les nôtres vers une vie
d'esclaves, elle les a à nouveau affrontés permettant ainsi à onze
autres membres de notre clan de fuir. Ensuite, alors qu'elle était en
captivité, elle a fait preuve de qualités exceptionnelles, qui nous ont
permis d'attaquer le domaine de Mont Noir et de libérer de nombreux
captifs. Enfin, elle a une nouvelle fois défendu les siens en reprenant
les armes lors de la dernière tentative des rafleurs pour reprendre la
liberté des nôtres. Pour ton courage, ta détermination à protéger les
tiens et ton abnégation, Litak, fille de Corg, je te présente le Noorg.
Il se mit à genoux aux pieds de la demi-orque. Il fut très vite suivi
par Siléa, Zanéa puis tout le clan. Radgog, Laïna, Bénobog, tous ceux de
Mont Noir et même, à la plus grande surprise de l'assemblée, Farabert
et Lina.
La petite métisse, surprise par tant de gratitude, ne
savait plus quoi faire. Elle lança un regard de détresse à Sharle. Il
lui répondit avec un grand sourire :
— Tu le mérites amplement.
Urog
se releva enfin, imité par les autres et tous vinrent voir Litak, lui
glisser deux mots ou l'enlacer. Parmi tous ces gens, Hekox s'était
approché d'elle. Lorsque la demi-orque s'aperçut de sa présence, elle
fut intimidée par le grand chef de guerre. Il n'était pas physiquement
impressionnant, Urog était bien plus grand et bien plus fort, mais il
dégageait comme une aura d'autorité naturelle qui forçait le respect.
Elle ne parvenait pas à décider, si cette qualité lui avait permis de
fédérer les clans, ou si elle lui venait de son expérience de leader de
la Nation Orque.
Il s'approcha de Litak :
— Je t'ai vu naître
là-bas, au pied de la Citadelle Rouge. Ce jour-là, tu t'étais déjà
montrée surprenante. Personne n'avait encore jamais vu une créature
comme toi. Certains pensaient que tu ne survivrais pas, d'autres qu'il
ne fallait pas te laisser vivre. Pour la plupart de ceux qui t'ont vu
naître, tu représentais un danger. J'étais encore un novice à cette
époque et je ne comprenais pas en quoi une petite créature aussi
étonnante que fragile pouvait se montrer dangereuse.
Il plongea son regard dans le sien quelques secondes avant de reprendre :
— Ils n'imaginaient pas à quel point ils pouvaient avoir raison.
Litak n'en était pas certaine, mais il lui semblait avoir perçu une pointe de menace dans cette dernière phrase.
— Mais tu as survécu. J'ai vu combattre ton père durant deux guerres et
je sais que Corg n'aurait jamais laissé personne te faire du mal. En
outre, aujourd'hui, tu n'es plus une tare ni un fardeau, qui diminue le
prestige de ton clan, mais tu t'es montrée un atout précieux. Je connais
Urog, jamais il ne se serait abaissé à te présenter le Noorg si tu ne
l'avais pas amplement mérité.
Il se tut un instant, dévisageant la métisse comme s'il voulait lire en elle.
— Bien évidemment, tous les clans ne partageront pas cet avis. Nombre
d'entre eux restent persuadés que tu es une abomination, un être impur
et bien des orques ne te pardonneront pas le simple fait d'exister.
Elle
était décontenancée. Cet orque avait l'art de souffler le chaud et le
froid et elle ne parvenait pas à savoir ce qu'il pensait d'elle.
—
J'ai eu l'occasion de parler de toi avec tes amis de toujours, ainsi
qu'avec tes nouveaux amis. Intéressant. Je ne comprenais pas pourquoi le
Général s'était donné tant de mal pour vous venir en aide, en vous
acceptant sur ses terres et en intervenant personnellement dans votre
lutte contre les rafleurs. Mais je dois bien avouer que cet homme est
depuis toujours un mystère pour moi. J'ai eu l'occasion de l'observer
durant la cérémonie et je suis persuadé que tu es la raison de son
intervention.
Inquiète, elle le chercha du regard, ce que ne manqua pas de remarquer Hekox.
— Et j'observe, qu'il ne t'est pas indifférent.
Il marqua une petite pause, fixant sur elle un regard inquisiteur.
— Sharle de Valfond est un humain. Es-tu réellement prête à mettre ta vie entre ses mains ?
La réponse de Litak fut sans appel :
— Je l'ai déjà fait. Il m'a sauvé la vie par deux fois.
— Mais c'est un humain. Les humains sont dangereux !
Elle fut surprise par cette remarque.
— Mais il nous a aidés ! Il nous a accueillis, il a risqué sa vie pour nous défendre et il n'a rien demandé en échange.
Il soupira, comme s'il était désolé par la naïveté de cette réponse.
— Je crois cependant qu'il n'a pas fait tout cela gratuitement.
Il
la fixa avec une telle intensité qu'elle brûlait d'envie de fuir son
regard pénétrant, mais elle se força à le soutenir, afin qu'il ne puisse
pas penser qu'il avait réussi à la faire douter.
— Tu es
décidément bien surprenante ! Courageuse et déterminée. Ainsi que l'ont
dit tes amis. Peu de guerriers oseraient me défier de la sorte.
Il eut un sourire fugace.
— Mais sache que les hommes ne font jamais rien gratuitement, pas même ton Sharle.
Elle allait répliquer, mais il ne lui en laissa pas le temps.
—
Je pourrais facilement le haïr comme je hais les humains. Mais il a
tout fait pour empêcher cela et il a réussi. Il lui aurait été aisé de
me tuer, ou pire, de m'anéantir, simplement en me montrant les cadavres
de ma famille. Mais il n'en a rien fait, au contraire. Pourquoi ? Je
n'ai aucune certitude. Mais c'est un humain et jamais je ne pourrais
être son ami. En revanche, je ne suis plus son ennemi, il a su mériter
mon respect, d'abord comme adversaire durant la guerre, puis, pour la
paix dans l'honneur qu'il nous a accordée. Et pour qui me connaît, c'est
déjà beaucoup.
Il se tut un instant et cette fois-ci, c'est
Litak qui le dévisagea comme si elle pouvait voir le fond de son esprit.
Il prit conscience de l'intensité de ce regard et il sourit.
— Je
vais continuer à m'intéresser à votre clan du Lac Blanc. Je suis
curieux de savoir comment des orques libres et une nation humaine
peuvent cohabiter. Je ne crois pas que cela puisse-être possible...
Il désigna Sharle.
—
... Mais cet homme-là m'a déjà montré que l'impossible n'était pas
certain. Et puis, d'après Bénobog, tu as, toi aussi, déjà repoussé les
limites du possible.
Elle ne put masquer sa surprise, ce qui amusa Hekox.
— J'ai fait ce que je pouvais pour protéger des innocents.
Le grand chef de guerre prit la main de la demi-orque.
— Et c'est tout à ton honneur.
Il
la conduisit vers Radax et Partog, à sa grande surprise. Elle constata
qu'ils étaient fort mécontents de la voir approcher et elle tenta de se
dégager :
— Je ne pense pas que ce soit une bonne idée, ils n'ont jamais toléré ma présence !
Hekox ne la lâcha pas pour autant.
—
Au contraire. Ils ont comploté pour vous chasser de votre forêt, ils
ont besoin d'apprendre que les clans doivent se respecter et
s'entre-aider, que c'est le seul moyen de tenir tête aux humains ! Et
toi, tu dois apprendre à tenir tête à ces chefs comme tu l'as fait face
aux humains, surtout s'ils te rejettent pour ce que tu es et non pour
tes fautes. Montre-leur que tu es digne d'honneur. Tu as affronté le
danger pour défendre des orques dont certains t'étaient étrangers, eux
se sont contentés de détruire un clan pour un peu plus de pouvoir !
Lorsqu'ils furent assez proches, Hekox se tourna vers les deux chefs :
— Vous n'avez pas encore eu l'occasion de rencontrer cette personne
extraordinaire. Certains de ceux qu'elle a permis de libérer l'appellent
Aélania, la Lumière de Vie, ou encore Alestera, la Créature Esprit.
Les
deux chefs accueillirent cette information comme une gifle au visage.
Ils connaissaient ces deux légendes et le fait que Hekox en personne lui
accorde ces deux noms était un message on ne peut plus clair.
—
J'ai eu l'occasion de discuter avec ceux qui lui doivent leur liberté et
tous m'ont vanté son courage. Vous rendez-vous compte ? Elle n'a que
dix-sept ans et pourtant, elle a affronté et vaincu une quinzaine
d'hommes. Peu de novices peuvent se vanter d'un tel exploit.
Il les fixa d'un regard froid.
— Elle est désormais sous la protection du clan du Lac Blanc, de la Nation de Valfond et de la Nation Orque.
Il lui fit un sourire chaleureux.
— Je vous le dis, cette petite créature est importante pour notre nation, nous aurons bientôt vent de ses nouveaux exploits !
Ils
affichèrent tous deux une mine décomposée. Le message était passé :
Quiconque s'aviserait de s'attaquer à elle ou même à son clan subirait
désormais les foudres de Valfond et de Hekox.
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